Le pari absurde d'une croissance sans investisseur et sans entrepreneur

Par Michel Rousseau  |   |  727  mots
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Michel Rousseau est président de la Fondation Concorde, un think tank français fondé en 1997 par un groupe d'universitaires et d'hommes et femmes d'entreprises. La fondation rassemble plus de 2.500 membres et plusieurs experts qui participent au débat en élaborant des rapports et en formulant des propositions, transmises ensuite aux décideurs politiques.

EurofinsScientific, leader mondial dans les services bioanalytiques ; Sword Group, fournisseur de services informatiques et de logiciels ; Storengy, filiale stockage gaz de GDF-Suez. Ces trois sociétés viennent d'annoncer leur intention de délocaliser leur siège social au Luxembourg.

Ces délocalisations, qui ne se limitent pas à quelques dirigeants, sont désastreuses pour notre économie. Quels que soient nos emplois, nous en sommes tous affectés. Nos entrepreneurs, qui espéraient un choc de compétitivité, anticipent désormais un choc fiscal de 29 milliards d'euros pénalisant autant les entreprises (réduction des exonérations de charges salariales, hausse des cotisations retraites, hausse de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE)) que les investisseurs qui risquent de supporter des taux de prélèvements confiscatoires. Il est vrai que si l'on combine les taux marginaux de prélèvements annoncés avec le rétablissement du barème ISF antérieur et une nouvelle tranche à 45% de l'impôt sur le revenu, on aboutit à de réelles "aberrations" fiscales pour les tranches les plus élevées.

Plus que jamais, notre fiscalité constitue une machine infernale à exporter les capitaux, les entreprises et les emplois.

Un investisseur ne peut plus résider en France. Le mouvement d'expatriation du capital, des entreprises et des emplois qu'avait largement amorcé l'instauration de l'ISF ne peut que s'accélérer. Ce phénomène est systématiquement minimisé par les pouvoirs publics. Pourtant, selon le cabinet d'avocats bruxellois Dekeyser & Associés, spécialisé dans les questions d'expatriation, la Belgique compte environ 60.000 immigrés français pour des raisons fiscales ; par ailleurs, sur les 5.500 fortunes étrangères imposées "au forfait" en Suisse, 2.000 sont d'origine française et 44 exilés français figurent parmi les 300 premières fortunes suisses.

On estime ainsi entre 50.000 et 100.000 le nombre de Français résidants à l'étranger pour des raisons fiscales. Si l'on fait l'hypothèse minimale d'une perte fiscale moyenne de 40.000 euros par expatrié, on aboutit au total à une expatriation de recettes fiscales annuelle comprise entre 2 et 4 milliards d'euros.

Le mouvement a toujours été délibérément sous-estimé par les autorités françaises qui ne recensent que les exils des Français redevables de l'ISF et non ceux des chefs d'entreprise propriétaires de leur outil de travail non redevables de l'ISF, qui sont pourtant les cas de figure les plus courants.

La France est donc aujourd'hui le pays, seul contre tous, qui commet cette double faute au regard de la morale et de ses propres intérêts :
- Pousser à l'exil de façon insistante ses citoyens parmi les plus entreprenants et les plus talentueux, prouesse sans exemple comparable dans le monde.
- Entamer ainsi une course vers la pénurie d'entreprises et d'emplois tout en criant haut et fort que la lutte contre le chômage est un de ses principaux objectifs.
Aucun autre pays dans le monde ne contribue plus à la fortune de ses voisins et concurrents!

La Fondation Concorde recommande, pour mettre fin à ce contresens pour résister à la concurrence fiscale en Europe, que des décideurs éclairés proposent à la société française une remise à plat de quelques grands principes de fiscalité dans l'intérêt général.

Alignons l'imposition du capital sur le travail, mais faisons-le réellement, c'est-à-dire en intégrant :
- La dévalorisation du capital par l'inflation (pour les revenus obligataires, les plus-values mobilières et immobilières).
- le téléscopage dramatique de l'ISF avec celui de l'impôt sur le revenu en évoluant vers un seul prélèvement fixe modéré proche de celui de nos concurrent et permettant de garder nos compatriotes fortunés.
- Le cumul de l'impôt sur les sociétés avec l'impôt sur le revenu qui nécessite une neutralisation de l'impôt sur les sociétés par un avoir fiscal à 100%.
- En fixant une limite maximale aux prélèvements fiscaux à 50% des revenus, règle qui devra être intégrée dans la Constitution pour garantir la stabilité fiscale demandée par les investisseurs et nos expatriés fiscaux. Nos élus doivent comprendre que la concurrence fiscale en Europe nous vide.

Enfin, la France doit engager une réduction courageuse de sa dépense publique, seul moyen de retrouver stabilité et modération fiscale, nécessaires à la croissance.