L'économie chinoise connaît-elle un tournant majeur ?

Par Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier  |   |  945  mots
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Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier, stratégistes, sont co-fondateurs du cabinet indépendant de recherche macroéconomique et financière PrimeView. Ils publient à la fin du mois "La Chine, une bombe à retardement" (Editions Eyrolles).

La situation économique de la Chine semble de plus en plus épineuse. Les derniers chiffres de la croissance du PIB au premier trimestre 2012 (+8,1% en glissement annuel), et de la production industrielle (+9,3%) confirment le ralentissement de l'économie chinoise. La croissance de la production est ainsi à son niveau le plus bas depuis le printemps 2009, période au cours de laquelle le pays subissait de plein fouet les répercussions de la crise des subprimes. Les données disponibles sur le commerce extérieur, comme celles relatives à la production d'électricité, démontrent cependant que ces chiffres officiels sont largement surestimés. Une fois de plus, nous nous trouvons confrontés à la difficulté d'analyse de l'économie chinoise, du fait de statistiques exotiques et souvent manipulées par les autorités politiques.

Les chiffres du PIB chinois étant biaisés, il faut donc se tourner vers un baromètre objectif de la croissance : la production électrique, très corrélée à la croissance réelle de l'économie. Celle-ci a stagné à +0,7% sur un an en avril, contredisant les bons chiffres officiels de la production industrielle (cf. le graphique ci-dessous). Et pour cause : l'escalade des coûts de production entraîne la disparition progressive de nombreuses usines dans les clusters industriels orientés vers l'export.

 


Les importations liées à la consommation ont quant à elles progressé de seulement +2,1% (contre +11% attendus) sur un an en avril, et les exportations de +4,9% (contre +10% attendus). La crise financière des pays développés se répercute sur le secteur exportateur chinois, dont la croissance ne cesse de ralentir. Une fois de plus la théorie du découplage de l'économie chinoise est mise en défaut. Certaines sociétés présentes à la foire de Canton font état d'une baisse de -20% sur un an de leurs exportations vers l'Amérique du Nord et l'Europe. La perte de vitesse de la Chine en termes de compétitivité, combinée à l'affaiblissement marqué de la demande mondiale, en particulier européenne, s'est traduite par une évolution négative des prises de commandes : -2,2% sur un an à fin avril.

Autre facteur d'inquiétude, les importations de matières premières, de pièces détachées et de machines-outils (liées à la production) ont elles aussi baissé par rapport à l'année dernière. Le ralentissement encore plus marqué des importations que celui des exportations (cf. graphique ci-dessous) traduit deux phénomènes. D'une part, il démontre que la demande intérieure chinoise est décevante, mettant en lumière l'échec de la relance par la consommation intérieure prônée depuis deux ans par les autorités (la croissance des ventes au détail a ralenti). D'autre part, elle préfigure la tendance future des exportations, du fait du fort contenu en importations des exportations (près de 50%).


Alors que la plupart des entreprises privées ont un besoin accru en trésorerie du fait de leurs difficultés, elles doivent faire face à une baisse brutale de la distribution mensuelle de crédits de -46% en avril. Ce tarissement de l'accès au crédit s'est fait aussi ressentir sur le nombre de ventes de terrains résidentiels dans les 20 plus grandes villes chinoises, en contraction brutale de -92% en une semaine !

Pour contrer ce ralentissement brutal, la banque de Chine vient de procéder à la troisième réduction du ratio prudentiel de fonds propres bancaires de 20,5% à 20%, (ce qui en théorie devrait permettre de débloquer près de 48 milliards d'euros de crédit bancaire). Cependant, le pays ne dispose plus de marge de man?uvre suffisante pour contrer le credit crunch en vue, conséquence de l'orgie passée de crédit et de l'envolée des créances douteuses. Un point d'inflexion décennal de la croissance semble donc avoir été atteint par l'empire du Milieu. Ouvrir à nouveau les vannes du crédit risquerait de relancer la même mécanique malsaine plutôt que d'enclencher un nécessaire assainissement financier.

Dans ce contexte de ralentissement économique brutal, et au moment même de la passation de pouvoir au sommet du gouvernement, le problème politique de la Chine prend toute son ampleur. La chute de Bo Xilai, qui devait être promu au politburo, a révélé l'intensité des luttes internes. Allié à la faction la plus dure du régime, Bo Xilai a-t-il cherché à concurrencer le tandem dirigeant pré-désigné qui doit succéder à Hu Jintao et Wen Jiabao en 2013 ? Le prince rouge aurait franchi plusieurs fois la ligne jaune, en entretenant des liens avec certaines unités militaires, ou encore en mettant sur écoute des dirigeants du parti. Cette affaire accentue les tensions entre les partisans d'une vision plutôt traditionnelle du socialisme, que défendait notamment Bo Xilai, et les promoteurs d'une ligne plus libérale. L'avantage d'un pouvoir politique stable en Chine et favorable aux investisseurs étrangers est en train de se fissurer.

Coincées dans une impasse, les autorités chinoises, dont la légitimité repose sur la croissance, tentent de faire diversion en accentuant leur agressivité diplomatique. Le projet de forage en haute mer dans la zone disputée avec Taiwan des Iles Paracel, ou les tensions au sujet de la vedette militaire dans les eaux des Philippines, en sont des preuves patentes. Une telle stratégie permet de rassembler la nation contre un agresseur commun mais présente aussi des risques sérieux. On se souvient de la guerre des Malouines qui avait permis à la junte argentine de restaurer son autorité pour un temps...jusqu'à ce qu'elle perde la guerre ! Cet échec contribua alors à la chute du régime...