Les banques et le grand saut dans l'inconnu

Par Séverine Sollier  |   |  1382  mots
Georges Pauget, ancien directeur général de Crédit Agricole SA
Georges Pauget, auteur de "Banque : le grand saut ?", l'ancien patron du Crédit agricole s'essaie à l'art de la prospective. Il identifie trois scénarios possibles pour l'avenir des banques européennes.

Sans vertige, Georges Pauget envisage le « grand saut » des banques. C'est sous ce titre, que son dernier livre passe en revue tous les scénarios futurs possibles pour les banques, des plus audacieux au plus probables. L'homme, il est vrai, a pris de la hauteur : depuis 2010, il a quitté son habit de banquier pour prendre celui de conseiller au sein de la société Économie Finance et Stratégie, qu'il a fondée. Il se dit « heureux » de sa nouvelle vie et, surtout, sans regrets. Il avoue « travailler autant qu'avant » quand il était directeur général de Crédit agricole SA, la structure cotée du groupe.
Avec une différence de taille cependant : moins de management et d'action, plus de recherche intellectuelle et d'écriture. L'originalité de son approche est sans doute de marier la démarche scientifique et la traduction opérationnelle. Il peut mettre à profit sa double connaissance du monde de la finance et celui des entreprises, car il n'a jamais cessé de rencontrer ses clients quand il était patron de banque.

Un modèle fondé sur trois variables

Pour ce titulaire d'un doctorat en sciences économiques, enseignant à Sciences-Po et à Dauphine, la période actuelle est une mine quasi inépuisable. Après s'être interrogé en 2009 dans Faut-il brûler les banquiers ? (JC Lattès, 2009), avoir prédit La Banque de l'après-crise (La Revue Banque, 2010), Georges Pauget s'essaie à l'art de la prévision en examinant les conséquences de cinq années de crise. Dans une première partie de son nouveau livre, il analyse les deux crises qui se sont enchaînées, celle des subprimes et celle de la dette souveraine dans la zone euro. Il identifie sept phases des crises financières récentes. « Les phénomènes observés ne peuvent plus être considérés comme accidentels, ils font désormais partie intégrante d'une situation que les entreprises financières doivent savoir gérer », estime-t-il.Pour limiter l'impact de la crise, les régulateurs et la Banque centrale européenne (BCE) ont utilisé des armes monétaires et prudentielles. La BCE a agi sur tous les fronts, notamment en rachetant des actifs des banques, en allouant des liquidités à taux fixe et à long terme (trois ans), en facilitant le refinancement en dollars grâce à des accords de swap avec la Fed, en rachetant sur le marché secondaire de la dette les titres des États fragiles. « En évitant une trop grande perte de valeur des dettes publiques, la BCE a protégé les banques des pays considérés qui en détenaient dans leur bilan », explique Georges Pauget. Autant d'actions qui ont porté leurs fruits en réduisant le risque de contagion au système bancaire européen. Reste que pour stopper la crise ce n'est pas suffisant. « Il faut traiter le problème à la source, c'est-à-dire revisiter la gouvernance de la zone euro », affirme l'auteur.
De ce point de vue, le sommet européen des 28 et 29 juin change la donne. Si l'ancien patron du Crédit lyonnais puis du Crédit agricole reconnaît que « la peur du chaos a accéléré la construction européenne », il n'hésitait pas, jusqu'à la semaine dernière, à juger timides les nouvelles mesures prises de sommet en sommet. Selon lui, il y a cette fois un progrès même s'il reste limité. Suffisant en tout cas, pour faire plancher Georges Pauget sur une actualisation de son livre qui sera très prochainement accessible sur le site internet de la Revue Banque.
Sur le fond, sa grille d'analyse n'est pas remise en cause par les événements récents, au contraire, elle prouve sa pertinence. Selon son modèle fondé sur trois grandes variables - la croissance économique, le niveau de coordination des politiques budgétaires, la maîtrise des déficits budgétaires et de la trajectoire de la dette publique -, c'est le scénario de l'enlisement qui lui semblait le plus probable il y a encore quelques jours. Dans ce scénario, les gouvernements de la zone euro trouvent toujours au dernier moment les moyens d'éviter le pire, mais les marchés restent très instables. « Les blocages à répétition conduisent les banques à se refinancer largement auprès de la BCE dont le bilan ne cesse d'augmenter » et le financement de l'économie se fait laborieusement. « La conséquence d'un tel scénario est le ralentissement de la croissance économique », indique Georges Pauget, et par conséquent une très faible croissance aussi pour l'industrie de la banque et de la gestion d'actifs. Ce n'est finalement que le prolongement de la situation que le secteur connaît depuis deux ans avec la réduction des activités de banque de financement et d'investissement et d'activités spécialisées, comme le crédit à la consommation.
Le scénario pessimiste, celui de « l'euro - » se résume à celui de la rupture. En clair, une Europe bloquée, avec des marchés qui jouent l'éclatement de la zone euro, des politiques budgétaires peu efficaces et une sortie de la Grèce de la zone euro. « Le scénario de rupture devient moins probable. Il y a eu le vote grec et la décision d'intervenir, par l'intermédiaire du mécanisme européen de stabilité, pour racheter la dette des États en situation difficile dès lors qu'ils acceptent de respecter leurs engagements de réforme », commente aujourd'hui Georges Pauget.
Est-ce à dire que la vision optimiste du scénario de « l'euro + » va l'emporter ? Avec une zone euro qui deviendrait première zone économique mondiale, des politiques budgétaires efficaces qui respecteraient la règle d'or, un gouvernement économique européen efficace et une union bancaire européenne... « Il y a une évolution positive depuis le som-met de juin », avance prudemment Georges Pauget. « L'aide qui va être apportée aux banques espagnoles ne passera pas par l'État mais par le mécanisme européen de stabilité. De plus, la mise en place d'une supervision bancaire unique en Europe, avec l'implication de la Banque centrale européenne, a été annoncée. Donc, c'est un pas dans la bonne direction », ajoute-t-il. Mais il manque encore un élément essentiel : le fonds de garantie des dépôts européen, qu'il s'agisse d'un système unique ou de garanties croisées entre fonds nationaux. Or un tel dispositif impliquerait davantage de solidarité financière entre les États. Son absence fait que « nous ne nous trouvons pas dans mon scénario euro + », observe Georges Pauget, mais plutôt dans une situation intermédiaire entre l'euro + et le scénario de l'enlisement. « Nous verrons avec l'Eurogroupe, qui réunit les ministres de Finances européens le 9 juillet, si les déclarations se traduisent en décisions opérationnelles », ajoute-t-il.

La restructuration du modèle français

L'horizon n'est pas encore éclairci pour les banques. Sous la pression des nouvelles normes bancaires de Bâle III en cours d'adoption en Europe dans la directive CRD4, Georges Pauget craint une « renationalisation » des modèles bancaires car « si la directive passe en l'état, chaque pays pourrait avoir des niveaux de fonds propres bancaires différents ».Pour ce qui concerne le modèle français, il prédit une restructuration significative de la banque de détail sous l'effet conjugué de la transformation réglementaire, de l'absence de croissance et des modifications de comportements des consommateurs qui traversent une crise de confiance. Concrètement, cela se traduira par « une réduction des moyens de production et de distribution », même s'il affirme qu'il y a « des stratégies de réactions possibles ». Dans chaque métier, il faut désormais réévaluer les attentes des clients, les produits, les besoins en capital et en liquidité, les process de production et de distribution. Il faut aussi redéfinir le profil de risque et le niveau de rentabilité recherché, adapter l'organisation pour faire face à un environnement plus instable et enfin revoir la gouvernance pour instaurer un meilleur contrôle des risques et plus de transparence. Bref, pour les banques européennes, le grand saut, c'est maintenant.

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Banque : le grand saut ? 
Les conséquences de 5 années de crise par Georges Pauget. RB Édition/ Eyrolles, 2012, 248 pages, 25 ?.