Énergie, erreur sur les tarifs !

Par Pascal Lorot, Institut Choiseul  |   |  724  mots
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Ancien chef économiste du groupe Total et ancien membre de la Commission de régulation de l'énergie, Pascal Lorot, aujourd'hui président de l'institut Choiseul, interpelle les pouvoirs publics sur les possibles effets pervers que le projet de loi sur les tarifs de l'électricité et du gaz, pourraient induire. Pour lui, il faut à tout prix éviter la confusion entre niveau de revenu et niveau de consommation énergétique.

Promesse de campagne oblige, le gouvernement entend introduire une progressivité dans les tarifs de l'électricité et du gaz payés par les Français. L'objectif du texte actuellement en cours de discussion à l'Assemblée est double : inciter à une meilleure efficacité énergétique (consommer mieux et moins) et lutter contre la précarité énergétique.

Une progressivité dans les prix de l'électricité et du gaz supportés par les particuliers peut bien sûr inciter les plus énergivores d'entre eux à faire davantage attention à leur consommation, voire à entreprendre des travaux visant à une meilleure isolation. A ce titre, introduire une différenciation tarifaire peut avoir du sens.

L'objectif social qui consiste à tirer de la précarité des presque 4 millions de foyers qui consacrent plus de 10% de leurs revenus à leur facture énergétique est, quant à lui, beaucoup moins réaliste. Aucune corrélation avérée n'existe en effet entre niveau de revenu et niveau de consommation. Les ménages les plus démunis sont aussi souvent ceux qui vivent dans des "passoires thermiques", c'est-à-dire des logements généralement vétustes et très mal isolés, et l'on voit mal comment, à moins de mettre en place des dispositifs ad hoc pour lesquels aucun financement n'est clairement prévu, ils pourraient supporter le coût de travaux d'isolation de leur habitation. Sans compter l'extrême difficulté, comme l'expérience le montre, qu'il y a à identifier les ménages se trouvant dans ce type de situation.

Au-delà, un grand nombre des articles de ce projet de loi portent en eux des effets potentiellement pervers. Instaurer un "moratoire hivernal" sur les coupures comme le prévoit le texte, reviendra, par exemple, à donner une prime aux mauvais payeurs, qui représentent la majorité des défauts de paiement observés, et ce aux frais des "bons consommateurs" qui devront assumer le coût de ce moratoire, puisque celui-ci sera répercuté dans le tarif.

Autre exemple, l'effet d'aubaine dont ne manqueront pas de bénéficier ceux ayant une résidence secondaire qui, pour bénéficier du bonus annoncé par le gouvernement, déclareront celle-ci comme étant leur domicile principal.

Ensuite, autre illustration, comment ne pas évoquer les possibles distorsions de concurrence entre les énergies en réseaux et, par exemple, le fuel domestique qui, à ce jour, n'est pas couvert par le texte, alors même qu'une part importante de ceux qui se trouvent en situation de précarité énergétique vivent en zone rurale et se chauffent au fuel...

Enfin, il convient de souligner l'extrême lourdeur et, finalement, le coût élevé qui découlera de l'enregistrement des profils énergétiques et fiscaux de quelque 40 millions de ménages consommateurs (10 pour le gaz, 30 pour l'électricité, un grand nombre se cumulant) auprès des services fiscaux, puis chez les opérateurs.

Pour atteindre l'objet social du projet, il serait incontestablement beaucoup plus simple, efficace et, surtout, moins coûteux, de relever le seuil des ayants droits aux tarifs sociaux, en les portant par exemple du seuil de la CMU-C à celui du seuil de pauvreté type INSEE. Plus de 3 millions de foyers sortiraient ainsi automatiquement de cette "précarité énergétique" qui fait légitimement débat.

Au-delà, en prenant de la hauteur, on ne peut qu'agréer la finalité du projet qui est tout à fait recevable. Seulement, l'angle retenu fait débat. Plutôt que d'opposer toujours les Français les uns aux autres (en l'espèce, ceux qui consomment beaucoup, ou mal, à ceux qui consomment peu ou bien), plutôt que de manier la carotte et le bâton avec la création d'un système de bonus / malus et finalement, de faire le choix de la contrainte, il eut été bien plus positif, efficace et moderne de proposer une approche tournée vers l'avenir, où les particuliers seraient responsabilisés et incités à maitriser leur consommation par la mise en place, par exemple, de dispositifs financiers innovants, et où la technologie, par définition pourvoyeuse d'emplois, aurait toute sa place avec, par exemple, la promotion de l'investissement dans des technologies intelligentes et les interfaces Internet, qui permettent de mieux contrôler et réguler les besoins.
Un projet moderne, voilà ce qui est nécessaire, c'est-à-dire qui serait débarrassé de tous les oripeaux idéologiques de la campagne électorale. Chiche ?