"Le modèle allemand atteint ses limites"

Par Propos recueillis par Romain Renier  |   |  919  mots
Gilles Moec, économiste, co-directeur de la recherche économique chez Deutsche Bank. Copyright DR
L'Allemagne a été chahutée la semaine dernière en raison des rumeurs de dégradation de sa note Aaa par l'agence de notation Moody's. Ses exportations ralentissent et ses perspectives de croissance sont faibles, alors que l'on entre de plain-pied dans la campagne électorale. Pour La Tribune, Gilles Moec, économiste, co-directeur de la recherche économique chez Deutsche Bank, revient sur les difficultés rencontrées par l'économie allemande, ses défis et sur l'impact que la campagne électorale pourrait avoir sur les stratégies européenne et économique du pays.

La Tribune : La croissance allemande montre quelques signes de faiblesse. Cette tendance est-elle durable ?

Gilles Moec : Les perspectives ne sont pas très bonnes. Nous prévoyons une croissance à 0,3% pour 2013. Mais il faut se méfier des moyennes annuelles, parce qu'elles masquent des mouvements trimestriels. Pour le moment, on traine l'effet négatif de la fin de l'année 2012. La croissance devrait se limiter à 0,1% au premier trimestre et reprendre un rythme entre 0,3% et 0,4% jusqu'au quatrième trimestre. Tout dépend de la bonne tenue des exportations vers la Chine et les Etats-Unis. Pour l'instant, on ne note pas de signe d'accélération. En glissement annuel, on constate que les exportations vers la Chine sont en décélération et qu'elles stagnent vers les Etats-Unis. Et celles vers la zone euro diminuent. Du côté de la zone euro, on espère au mieux une stabilisation. En revanche, le scénario d'une accélération de la demande américaine et chinoise est envisageable cet été.

L'agence Moody's a maintenu la note de l'Allemagne sous perspective négative. Va-t-elle finir par perdre son triple A ?

Si l'Allemagne perdait son triple A, ce serait parce qu'elle accumule dans son hors bilan des dettes contingentes liées aux aides à destination des pays du sud de la zone euro. Il faudrait que la zone euro soit dans une crise telle que l'Allemagne devrait payer plus. Par exemple, si l'Italie et l'Espagne devaient avoir recours au Mécanisme européen de stabilité (MES), il pourrait devoir être élargi, ce qui pourrait déclencher une perte de son triple A par l'Allemagne. Mais pour l'heure, les grands risques systémiques ont été limités.

Et si elle le perd ?

Si elle le perd, la question est de savoir ce qu'il reste à côté. Les Etats-Unis et la plupart des grandes économies l'ont perdu. Les liquidités devront bien aller quelque part. On commence à s'habituer. Plus nombreux sont les pays qui perdent leur triple A, plus l'impact est limité. Et cela signifierait que la zone euro serait dans un tel état de dégradation que l'Allemagne serait toujours considéré comme une valeur refuge.

Quels sont les défis auxquels doit faire face l'Allemagne ?

Le problème en Allemagne, c'est qu'on se dit qu'il n'y a pas de problème budgétaire et pas de problème d'emploi et que la demande intérieure devrait repartir grâce à une hausse des salaires. Mais la hausse des salaires dépend des perspectives des exportations. Et l'effet des craintes sur les exportations sur les investissements est encore plus fort. Dans ces conditions, la demande intérieure ne prend pas le relais pour compenser la baisse des exportations parce qu'elle dépend en partie de la demande extérieure. La vraie question est de savoir si l'Allemagne peut continuer avec ce modèle de croissance. Elle poursuit un but de compétitivité et de stabilité, ce qui s'explique par sa démographie. Mais ce modèle atteint ses limites.

C'est-à-dire ?

Le débat sur la richesse des ménages allemands est intéressant. On voit que la richesse médiane est faible et que la richesse moyenne est haute. On dit souvent que l'Allemagne est un pays riche mais que les Allemands sont pauvres. La faiblesse de la richesse des ménages est compensée par une position financière très confortable des entreprises. Une réorientation vers une redistribution via les salaires ou les dividendes, ou via un effort d'investissement physique supplémentaire, est envisageable après avoir engendré les bénéfices de plus d'une décennie de restauration de la compétitivité.

La campagne électorale qui a débuté en Allemagne peut-elle avoir un impact sur les positions d'Angela Merkel ?

L'effet de la campagne électorale sera quasiment nul sur les positions européennes d'Angela Merkel et de l'Allemagne parce qu'il y a un consensus depuis des mois entre le SPD et la CDU sur ce sujet. La question est cogérée par la droite et la gauche. En ce qui concerne la stratégie économique, c'est différent. Le SPD est en avance sur la question des salaires notamment. On constate un mouvement général de la politique allemande vers la gauche. Même la CDU se déplace vers sa gauche. Elle est aussi consciente que le SPD de la question des salaires et Angela Merkel bouge sur la question de la politique budgétaire. Il y a beaucoup plus de réalisme dans sa position que ce que l'on croit. Par contre, il y a un véritable raidissement sur la question de l'union bancaire. En juillet, on avait peur, tout le monde était prêt à signer. Maintenant que la situation s'est calmée, on laisse filer.

La pauvreté fait-elle partie des débats ?

Les sujets de la pauvreté et de la justice sociale sont au c?ur de la campagne électorale des deux côtés. On constate que tout le monde évolue un peu à contre-emploi. Le SPD veut revenir sur les réformes de Gerhard Schröder et la CDU se montre de moins en moins libérale. La phase de la dérégulation est une phase terminée en Allemagne. Mais ça n'est pas parce que l'Allemagne met fin à cette phase là que la France doit se dire qu'elle est débarrassée de la question des réformes qu'elle a à faire. L'Allemagne est allée au bout de la logique de réforme.