Drones : la France a perdu une bataille, mais pas la guerre

Par François Chopard*  |   |  751  mots
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Alors que la France va acquérir 12 drones américains, estimant avoir raté le coche de cette technologie militaire, le consultant en stratégie et innovation de l'aéronautique François Chopard appelle les entreprises françaises à développer son atout : les drones à usage civil.

« La France a raté le rendez-vous des drones », constatait Jean-Yves Le Drian. L?annonce récente par le ministre de la Défense de l?achat de 12 drones militaires américains de reconnaissance et de surveillance a provoqué une controverse sans précédent. Dans cette période de crise où l?on favorise le « made in France », le juteux contrat estimé à environ 670 M? a comme un goût amer pour les industriels français.

Evoluer d?un mode de fonctionnement en projet tiré par la DGA à une gamme de produits poussée par les industriels

Il faut avant tout que les industriels brisent leur fort lien de dépendance vis-à-vis de l?État. Il faut passer d?une logique de projet à une logique de produit. Les industriels doivent proposer une gamme de drones sur la base de plateformes modulaires avec des charges utiles interchangeables qui sont segmentées en fonction des attentes clients. Israël y arrive très bien et est aujourd?hui le premier exportateur de drones dans le monde (4,6 Md$ entre 2005 et 2012 d?exportations de drones et services) (1) loin devant les Etats-Unis et le reste du monde. De plus, des pays comme la Chine et l?Inde sont en train de monter en puissance et leurs programmes de développement sont très ambitieux.

Combler l?ensemble de la chaine de valeur
La France est malgré tout très présente sur le marché de la charge utile du drone, c'est-à-dire les systèmes et équipements qui vont lui permettre de réaliser sa mission spécifique: reconnaissance, renseignement, surveillance, protection, tout cela à l?aide de radars en tout genre, systèmes de communication et systèmes d?observation. C?est le cas de Thalès qui, à partir d?une plateforme de drone israélien, équipe l?armée britannique avec le Watchkeeper et fournit un service global, de la fourniture de la « payload » de l?appareil en passant par le lancement jusqu?à la garantie de disponibilité et un contrat de fonctionnement à l?heure de vol.

Laisser les industriels s?organiser
Enfin, l?État ne peut pas forcer les industriels à coopérer en les poussant dans des groupements d'intérêt économique et autres consortiums qu?ils ne veulent pas. Cela a été le cas pour les drones militaires, mais aussi pour l?A400M. Ce n?est pas la meilleure solution et cela peut coûter très cher. Il vaut mieux aujourd?hui laisser les industriels venir par eux même proposer leurs schémas de recherche et développement. C?est comme cela que l?on trouvera la meilleure efficacité et c?est le meilleur qui gagnera.

Dualité du marché civil et militaire
Il y a surtout un marché potentiel énorme sur lequel la France possède un avantage, c?est celui des drones à usages civils. En effet, la France fait figure de précurseur en Europe et dans le monde en ayant instauré en avril 2012 une réglementation relative à l?utilisation des drones dans l?espace aérien. Il est désormais possible de faire voler des drones à usage civils de moins de 25kg à une altitude inférieure à 150m. Les États-Unis par exemple n?ouvriront leur espace aérien aux drones à usages civils qu?au minimum en 2015. Les applications des drones de petites tailles sont multiples et potentiellement sans limite : cartographie aérienne, agriculture de précision, surveillance, inspection d?infrastructures (réseaux électriques, ferrés, etc.) ou de sites industriels, sécurité civile (incendie, avalanches, inondations, etc.). Selon une étude (2), le marché potentiel aux États-Unis est estimé à 13,6 Mds$ sur les 3 premières années et favoriserait la création de 70 000 emplois sur cette même période. On peut ainsi prévoir pour la France un marché de 700 M? par an sur les 3 prochaines années.

Il reste maintenant aux acteurs français comme Delta Drone en passe de s?introduire en Bourse, de franchir le cap de l?industrialisation et de segmenter correctement les besoins clients afin de développer les bonnes plateformes avec les bons équipements associés au bon « business model » entre vente et location, pour réussir sur le marché des drones civils là où leurs homologues militaires ont pour le moment échoué.

*François Chopard est conseiller en management, stratégie, innovation et processus de développement dans l'aéronautique.

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1. Etude de Frost and Sullivan ? Mai 2013

2. Etude ?The economic impact of unmanned aircraft systems integration in the United States? ? Association for unmanned vehicle systems internationnal