N'enterrez pas l'or !

Par Laurent Schwartz*  |   |  1362  mots
Laurent Schwartz. DR
Suite aux annonces de Ben Bernanke, président de la Réserve Fédérale américaine, de mettre un terme aux mesures d'assouplissement monétaire, le cours de l'or s'est encore contracté. Une tendance baissière qui n'a fait que se confirmer depuis le 1er janvier 2013, et qui laisse penser à Laurent Schwartz, président général du Comptoir National de l'Or, que c'est le moment idéal pour investir... car sur le long terme le métal jaune reste un actif qui a des atouts.

L'or connaît encore ces derniers jours une formidable contraction de son cours suite notamment aux dernières annonces de Ben Bernanke, président de la Fed américaine, sur la fin à venir des mesures d'assouplissement monétaire. L'or est coté ce 26 juin 1.233 dollars l'once, soit une baisse de plus de 26,8% par rapport au 1er janvier 2013. Gardons à l'esprit que l'or conserve une hausse de plus de 9,2% depuis le 1er janvier 2010. Est-ce le moment d'investir dans le métal jaune ? Si l'on analyse de près la relation de l'or au sein de l'économie mondialisée, et si l'on regarde les principaux facteurs de l'offre et de la demande qui influencent le cours de l'or, nous pouvons tirer quelques conclusions.

L'or est connu pour ses vertus « stabilisatrices » dans des contextes de fortes perturbations économiques et financières. Au bord de l'effondrement en 2008, les gouvernements n'ont fait que repousser le risque systémique que représentait la faillite d'institutions financières majeures. L'or est un actif décorrélé des principales classes d'actifs, raison pour laquelle de nombreux investisseurs particuliers comme professionnels l'ont adopté. Il est connu pour avoir traversé les siècles, là où les devises n'ont jamais survécu. Il n'offre certes aucun revenu, est stérile à une économie, mais quels arguments peuvent s'opposer à une croissance de 337% du métal jaune depuis 2000 en dollars ?

L'or, un bouclier contre l'inflation

L'augmentation des cours ces dernières années a été le fruit de spéculateurs, notamment sur l'or papier, cet instrument financier permettant à des investisseurs d'acheter de l'or sans le détenir physiquement. Le principal fond dédié à ces produits, le SPDR Gold Trust, a accumulé plus à son plus haut historique 1.353 tonnes (soit près de 70 milliards de dollars) en décembre 2012. C'est plus de la moitié de la production d'or mondiale annuelle, ce qui a entraîné une pression forte sur les cours. Et c'est cette même catégorie d'acheteurs qui entraîne ces derniers mois une baisse significative du cours, puisqu'ils se sont désengagés pour plus de 28% de leurs avoirs depuis le 1er janvier 2013 (969 tonnes à date). Pourquoi et à qui profite le crime ? Beaucoup de questions restent en suspens car il est étrange et contreproductif pour des investisseurs institutionnels de massacrer le cours de l'or comme ce fut le cas en avril dernier et encore ces derniers jours. Tout ceci constitue néanmoins une purge saine qui ramène les cours à des niveaux d'achat.

Du point de vue économique, l'or est un bouclier contre l'inflation. Nous n'enregistrons officiellement qu'une inflation réduite. Le débat qui consiste à remettre en cause le calcul de l'inflation, que l'on dit faible alors que l'immobilier, le pétrole, et les matières premières (alimentaires ou non) ont augmenté de façon significative, n'est plus d'actualité. Certes, il n'y a pas d'inflation sans augmentation des salaires, et cela ne pourra pas arriver dans une Europe minée par la croissance nulle et le chômage croissant. Mais l'inflation reste le seul et unique moyen pour les Etats de se désendetter, et la seule et unique question valable n'est pas s'il y aura de l'inflation mais quand ! Probablement lorsque nous aurons purgé tous les excès des politiques monétaires accommodantes, et que nous serons dans un contexte de reprise économique. Donc pas à court terme. L'or est un actif qui se détient en portefeuille à long terme, il suffit de regarder sa courbe sur le siècle passé comparé aux principales devises. Il est imbattable.

Les politiques monétaires favorables à l'or

Que nous dit l'avenir ? Certes l'or est intéressant lorsque les taux d'intérêts réels sont négatifs, et il est vrai que la Fed américaine tend à relever ses taux. Elle vient d'annoncer la fin proche (mi-2014) des mesures d'assouplissement monétaires destinées à percer les bulles spéculatives (notamment sur les marchés actions). Les marchés ont été dopés par la Fed qui a sauvé le système, mais pour combien de temps ? Car les problèmes n'ont pas été résolus. Les Etats sont plus endettés que jamais, la croissance est bien fébrile même aux Etats-Unis, les marchés actions accusent une chute importante, fruit des excès passés.

Les mesures de la Fed ont déjà entamé le processus de renchérissement du coût de remboursement de la dette des Etats avec des taux remontant depuis plusieurs mois. Jusqu'à quel point des pays comme le Japon (3e économie mondiale) pourra-t-il supporter le poids croissant du remboursement d'une dette dépassant les 250% de son PIB ? Une rigueur renforcée est-elle tenable dans les pays européens et ne va-t-elle pas annihiler les faibles espoirs de reprise économique ? N'a-t-on pas uniquement le choix de passer par une politique monétaire plus accommodante pour l'euro, en espérant que l'Allemagne, touchée par les difficultés économiques de ses principaux partenaires commerciaux (européens), s'y résolve ? Baisse de l'euro, relance des exportations et espoir d'un retour à l'inflation ? Car aujourd'hui, existe-t-il une autre solution que l'inflation pour désendetter les Etats ? Ce scénario entraînant une remontée certaine du cours de l'or impacté par un euro/dollar qui lui serait favorable et une érosion monétaire renforçant la hausse du cours.

Les bijoutiers font leur come-back

Et que dit le marché de l'or d'un point de vue structurel ? Tous les indicateurs sont au vert, sauf les ETF dont nous avons vu le caractère conjoncturel. La demande mondiale d'or physique se renforce notamment du fait des principaux contributeurs. En Chine, la demande globale a atteint 294 tonnes, soit 20% de plus qu'au premier trimestre de l'année précédente. L'Inde a totalisé 257 tonnes, soit une hausse de 27% par rapport à la même période de 2012. Quant au marché de la bijouterie, celui qui consomme la moitié de l'or mondial produit chaque année, il se reprend.

Les principaux fondeurs affineurs étaient ces dernières années nets vendeurs, c'est-à-dire qu'ils revendaient l'or racheté provenant du recyclage au marché interbancaire (marché international de l'or). Aujourd'hui, ces derniers nous précisent que la demande de bijoux est repartie à la hausse, et qu'ils sont désormais nets acheteurs d'or. La raison est simple, pour les fabricants, le cours est à des niveaux attractifs, ce qui leur permet de produire des bijoux à des prix raisonnables. La demande de bijoux en or a augmenté de 12% au premier trimestre de 2013 inscrivant 551 tonnes, marquée par un appétit grandissant de l'Inde et de la Chine pour les bijoux en or avec respectivement 160 et 185 tonnes. Les Etats-Unis ont de leur côté enregistré leur plus importante progression dans ce secteur depuis 2005 avec 6%.

L'or investissement a toujours la côte

Du côté de l'or investissement, la demande mondiale de lingots a augmenté de 8% tandis que celle des pièces de monnaie, notamment les American Eagles et les Maple Leafs, a enregistré 18% d'augmentation. La demande d'or investissement a progressé de 22% en Chine, de 52% en Inde et de 43% aux Etats-Unis par rapport à la même période de 2012. Et c'est justement la hausse de la demande de lingots et de pièces de monnaie à 378 tonnes (+10%) qui a compensé les décaissements d'ETF lesquels se sont élevés à 177 tonnes au cours du premier trimestre.

Il est notable que la fin des mesures de "quantitative easing" de la Fed tend à secouer les marchés financiers. Le CAC40 a récemment enfoncé les 3.600 points. La bulle des marchés action se perce. Les taux continueront leur lente remontée, avec les risques systémiques que cela comporte. L'or a été le premier à accuser une consolidation, à cause des fonds ETF, peut être aussi en raison d'appels de marges et de prises de bénéfices pour compenser les actions. Mais l'or est proche de son coût d'extraction, il reste le seul actif tangible alors que nous n'avons fait que repousser les problèmes. L'histoire démontre la robustesse du métal jaune sur le long terme.


*Laurent Schwartz est le Directeur Général du Comptoir National de l'Or, organisme spécialisé dans le négoce des métaux précieux.