Snowden, l'espion qui nous veut du bien

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  586  mots
Edward Snowden, l'ancien technicien de la CIA qui a travaillé comme sous-traitant pour la National Security Agency (NSA) / DR
Quel emmerdeur, quand même, ce Snowden ! C'était plutôt bien parti. Les ruades françaises sur l'exception culturelle mettaient un peu de sel dans le débat. Mais elles n'empêchaient pas d'entrevoir une issue heureuse aux négociations du grand traité de libre-échange transatlantique qui devaient commencer la semaine prochaine.

On était en route pour de longues fiançailles suivies d'un beau mariage. Et voilà que cet espion aux motifs obscurs se met à distiller ses petites bombes à retardement. Un jour dans Der Spiegel. Un autre dans The Guardian. Et l'on découvre que notre bel allié nous surveille à une grande échelle.

Quelle surprise ! Vraiment, on ne s'en doutait pas. Ce n'est pas comme si le Parlement européen n'avait pas publié en 2001 une longue enquête sur le système américain Échelon, révélant l'ampleur des interceptions réalisées pour partie depuis la campagne du Yorkshire. Pas comme si Thomson ou Airbus ne s'étaient pas plaints dans le passé que leurs négociations commerciales soient régulièrement court-circuitées par la NSA, l'agence de surveillance électronique américaine. Pas comme si les Européens n'avaient pas consenti à laisser le département américain de la Justice piocher dans les données passagers de ses compagnies aériennes après les attentats du 11 septembre 2001. Pas comme s'ils n'avaient pas dû emprunter les canaux de l'Otan pour parler des applications militaires de Galileo, tant ils savaient les systèmes de communication des institutions européennes perméables. Là, on aurait pu soupçonner que le secret des communications en Europe n'était pas garanti. Mais dans l'ignorance de tout cela, nous avons voulu croire que notre meilleur allié était aussi le plus respectueux de notre « privauté ».

À PRÉSENT, GRÂCE À EDWARD SNOWDEN, nous découvrons que les Google, Apple et autres Skype, ces géants inoffensifs, tournés uniquement vers la maximisation de leur cours de Bourse et dirigés par de sympathiques quadragénaires aussi cool que richissimes, siphonnent allègrement nos boîtes e-mail, scrutent le contenu de nos téléphones mobiles et suivent nos déplacements grâce au miracle de la géolocalisation... pour le compte des services américains, lesquels jouissent de l'appui, jamais démenti, de leurs alliés britanniques. « Trahison ! », clame le ch?ur politique européen depuis ces révélations. Admettons qu'il y a quand même quelque chose d'assez surprenant dans cette vague d'indignation tant la curiosité de l'éléphantesque appareil de renseignement américain est notoire. D'ailleurs, les Européens ne sont pas en reste. Le BND, l'agence allemande de renseignement extérieur, se fait construire en plein coeur de Berlin un nouveau siège aux dimensions pharaoniques dont le chantier est visible depuis plusieurs années derrière de larges pancartes indiquant clairement sa destination. La caserne du boulevard Mortier, à Paris, va prendre un sacré coup de vieux.

Reste à savoir, une fois cette vague d'indignation passée, ce qu'il est acceptable de tolérer de la part de Washington. Tous les services de renseignement européens sont peu ou prou liés aux États-Unis par des accords de coopération, certains au point d'avoir participé à l'odieux programme de kidnapping de supposés terroristes mené par la CIA. Mais l'Europe manque d'une doctrine commune en matière de renseignement. Espérons que ses dirigeants s'emploient à la concrétiser aussi énergiquement qu'ils ont été prompts à passer du déni à l'indignation après la révélation des programmes Prism et Tempora. L'équilibre entre les impératifs de sécurité et de liberté, entre la poursuite de la guerre commerciale et le respect dû aux alliés est difficile à trouver. Il l'a toujours été. Mais à force de ne pas le chercher, on finit par laisser les autres décider à notre place.