Gaspillage alimentaire : passons à l'action !

Par Olivier Jan  |   |  1057  mots
Pour Olivier Jan, la lutte contre le gaspillage alimentaire aurait un impact à la fois sur le pouvoir d'achat des français, et sur l'environnement. | DR
Chaque année, près d'un tiers de la nourriture produite est perdue ou gaspillée. Pour Olivier Jan, Directeur RSE chez Deloitte, il y a urgence à agir!

Le 16 octobre fut la première journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire, et nous allons entrer d'ici quelques mois en 2014, déclarée « Année européenne de lutte contre le gaspillage alimentaire » par le Parlement européen. Pourquoi cet intérêt public soudain ? Ce thème mérite-t-il un débat public, alors qu'on pourrait le penser d'une part dépassé en raison de l'abondance de l'offre qui nous est proposée, et d'autre part circonscrit au périmètre des foyers où l'on considère encore que finir son assiette fait partie des principes éducatifs ?

Cet intérêt résulte d'une prise de conscience relativement récente des quantités de produits agricoles et alimentaires perdus aux différents stades de leur chaîne de transformation et de consommation, et de la résonance que prennent ces pertes face à de multiples enjeux économiques, sociétaux et environnementaux.

A l'origine, une première (re)découverte pour la plupart des acteurs: les quantités de nourriture perdues ou gaspillées sont considérables. La FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) a ainsi estimé que globalement, au moins 30% des quantités produites sont perdues ou gaspillées entre le champ et l'assiette du consommateur.

En France, 1 200 000 tonnes de nourriture gaspillée par an

La répartition de ces pertes diffère selon le niveau de développement des régions : de nombreux pays du Sud perdent encore des quantités significatives de produits agricoles faute d'infrastructures de transport ou de stockage adéquates ; les pays du Nord voient les pertes se concentrer sur l'aval du cycle de vie des produits alimentaires, de la transformation industrielle jusqu'à la phase de consommation, incluant les quantités jetées à la poubelle.

L'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) a estimé pour la France que le gaspillage évitable représenterait ainsi 1 200 000 tonnes chaque année. Ces chiffres appellent à l'action dès lors que nous les rapprochons de différents enjeux économiques, sociaux et environnementaux auxquels nous nous trouvons confrontés.


500 euros de manque à gagner par ménage

Au premier rang des préoccupations de nos concitoyens se trouve aujourd'hui le pouvoir d'achat, dont l'INSEE a établi qu'il avait baissé en 2012, entraînant une baisse de la consommation des ménages, la seconde seulement depuis l'après-guerre. L'alimentation est par ailleurs le premier poste du budget des ménages les plus modestes, or les pertes et le gaspillage entraînent un renchérissement des aliments vendus : le coût des chaînes de transformation et de distribution est réparti sur des quantités de produits vendues aux consommateurs inférieures à ce qu'elles pourraient être en l'absence de pertes.

De manière directe, une réduction des quantités jetées par les ménages (de nombreux leviers permettent d'agir directement à ce niveau, depuis une meilleure planification des courses jusqu'à l'art d'accommoder les restes…) leur restituerait immédiatement du pouvoir d'achat : une étude menée au Royaume-Uni a ainsi estimé à 500€ par ménage et par an le potentiel.

 

Un enjeu pour nos PME

Pour ceux qui sont les plus défavorisés et qui dépendent de l'aide alimentaire, l'idée que des aliments consommables ne puissent rentrer dans une chaîne de don malgré la bonne volonté des acteurs est encore plus révoltante : hors en raison d'un manque de clarté sur les questions de propriété et de responsabilité dans le cadre du don, cette transmission est aujourd'hui trop souvent bloquée.

Pour appuyer la volonté de réduire le gaspillage alimentaire, nous pouvons également invoquer le respect du travail des différents acteurs de la chaîne. Les produits alimentaires que nous consommons ont la particularité de provenir d'un tissu économique très majoritairement local et constitué de PME. L'actualité se fait malheureusement l'écho des difficultés de certains de ces acteurs : veiller à ce que les produits qu'ils mettent sur le marché soient préservés et effectivement consommés pour l'alimentation est le plus simple des soutiens qui puisse leur être apporté, tout en contribuant à desserrer l'étau économique d'une filière en contribuant à son optimisation.

 

Un impact environnemental majeur

Un autre enjeu derrière la lutte contre le gaspillage alimentaire est la protection de l'environnement. Une étude de la FAO vient de montrer que si les émissions de gaz à effet de serre imputables à la production alimentaire perdue ou gaspillée étaient intégrées au classement des pays émetteurs, ils arriveraient en 3ème position derrière la Chine et les Etats-Unis. La Commission européenne a de son côté évalué que l'alimentation était le poste de consommation en Europe qui contribuait le plus à un certain nombre d'impacts environnementaux.

Or les projections actuelles arrivent à la conclusion que la production agricole mondiale devra augmenter de 60 à 70% à horizon 2050 pour répondre à l'augmentation de la population et à l'évolution de ses modes de consommation. Une réduction drastique des pertes permettrait de réduire d'autant le besoin de production agricole supplémentaire, dont il est à craindre qu'elle entraîne des dommages environnementaux graves dans de nombreuses régions en raison de son intensification ou de la destruction d'espaces naturels pour disposer de plus de surfaces cultivées.

 

Remettre en cause nos modes de consommation

Face à ces enjeux, la volonté affichée aux niveaux européens et français de diviser par deux les volumes de pertes et de gaspillage paraît totalement louable. De nombreux leviers sont par ailleurs connus, tant au niveau de la restauration collective (taille des portions, meilleure anticipation du nombre de convives, sensibilisation des clients,...) que du marketing des produits vendus dans la grande distribution. Des initiatives récentes comme le site Internet Zéro-Gâchis incitent également à un certain optimisme en montrant comment la créativité vient au secours des bonnes intentions pour les rendre opérationnelles.

Il faut cependant être prêt collectivement à remettre en cause de manière profonde certaines caractéristiques de nos modes actuels de consommation, comme la sensibilisation des consommateurs à l'achat de fruits et de légumes hors "normes esthétiques", ou le renoncement à certaines habitudes marketing incitant les clients à acheter plus que nécessaire. L'objectif mérite d'être atteint, souhaitons que les différents acteurs qui se sont mobilisés autour du pacte national redoublent d'audace !