A quelles conditions l'ecotaxe poids lourds pourrait être acceptée

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  765  mots
Ecotaxe : Alain Trannoy (Ecole d’Economie d’Aix-Marseille et EHESS) préconise une exonération pour le transport de produits frais sur tout le territoire. | DR
Pour être acceptée, une écotaxe poids lourds doit véritablement prendre en compte les conditions de production. En exonérant, par exemple, le transport de produits frais, estime l'économiste Alain Trannoy. Et sa mise en place devrait être étalée dans le temps.

LaTribune.fr : Une taxe sur les poids lourds a été instaurée dans plusieurs pays européens, dont l'Allemagne, où elle n'est guère contestée. Comment expliquer les réactions en France ?

Alain Trannoy : Sur le principe, cette taxe permettant de financer les infrastructures routières et ferroviaires a sa cohérence, elle a sa logique pour établir la vérité des prix. Toutefois, sa mise en place en France, et notamment en Bretagne, est problématique pour plusieurs raisons.

D'abord, aucune analyse sérieuse n'a été menée sur l'incidence de cette nouvelle taxe. Qui la paie in fine ? Qui la supporte vraiment ? Quels sont les impacts, région par région ? Secteur par secteur ? Tout cela n'a pas été étudié. La clairvoyance a beaucoup manqué…

Ensuite, s'agissant de la Bretagne, De Gaulle avait lui-même accordé aux Bretons la gratuité des voies rapides en 1969 , répondant là une revendication forte des bretons, sur fond de tentation autonomiste. Du coup, il n'y a aucune autoroute payante en Bretagne mais des 4 voies gratuites.

 D'où ce rejet de l'écotaxe…

Il y a là, clairement, une rupture de contrat, passé entre l'Etat central et la Bretagne. Même si un abattement de 50% a été prévu pour cette région. Du reste, l'Aquitaine et Midi Pyrénées ont droit, aussi, à un abattement (de 30%).

 Comment sont impactés les différents secteurs économiques ?

 Là aussi, cela n'a pas été étudié. Prenez le cas des produits frais. Qu'il s'agisse des légumes ou du poisson, ils sont, pour une large part, transportés de nuit vers Rungis. Les écologistes diront : les producteurs n'ont qu'à utiliser le train. Mais ce n'est évidemment pas possible en toute généralité, compte tenu des délais très courts qui s'imposent en la matière, de l'abandon de voies ferrées et de l'absence de souplesse du transport ferroviaire.

Deuxième problème : la concurrence étrangère. On pourrait dire, un peu facilement, qu'il suffit pour le transporteur de répercuter le coût de l'écotaxe sur le consommateur.

Imaginons que c'est le cas : les marchandises envoyées de Bretagne deviendraient alors sensiblement plus chères que celles qui viennent de l'étranger, qui n'auront pas de taxe supplémentaire à payer. Avec l'ecotaxe, le coût du transport pourrait en effet être accru de quelque 4,1% en moyenne. En revanche, pour les camions en provenance d'Espagne,du Bénélux ou d'Allemagne qui empruntent l'autoroute, qu'ils paient déjà, il n'y aura aucun supplément.

Les produits frais bretons, déjà sévèrement concurrencés, en raison de coûts d'exploitation souvent supérieurs, risquent alors d'être évincés pour une part. On peut donc prévoir que pour ce type de produit, ce sont les producteurs bretons qui vont payer l'essentiel de la taxe et que cela va se traduire par une perte de rentabilité des exploitations dont certaines sont déjà à la limite de la viabilité.

 Que faudrait-il faire, alors ? Abandonner l'écotaxe poids lourds ?

Au moins prévoir une exonération pour le transport de produits frais sur tout le territoire (difficile de faire une exception pour la seule Bretagne) ou restituer les sommes prélevées aux producteurs, pendant une période de transition .. Au-delà, une réflexion est nécessaire sur l'instauration de cette ecotaxe. Si elle était entrée en vigueur le premier janvier, les prix des produits concernés pourraient augmenter de 0,4%, pour le consommateur, ce qui n'est pas négligeable, en ces temps de très faible hausse du pouvoir d'achat. D'autant que la TVA augmentera le premier janvier.

Il faudrait donc étaler se mise en œuvre ?

Absolument. Une montée en charge progressive est nécessaire, compte tenu du contexte économique de croissance très faible et des hausses d'impôts décidées par ailleurs et du temps pour que se développe une offre de fret ferroviaire suffisamment flexible là où c'est encore possible. Une période de trois ans, avant le paiement total de la taxe, pourrait permette son acceptation.

Que pensez vous du contrat passé avec Ecomouv ?

Il est invraisemblable. Il doit être dénoncé. L'Etat peut bien sûr faire appel à une société privée une prestation de service, pour disposer des infrastructures nécessaires - comme il fait appel à une société informatique pour obtenir un logiciel -, mais faire percevoir par l'impôt par une société privée est inconcevable. C'est un véritable retour aux fermiers généraux! Il reviendrait normalement aux Douanes de percevoir l'écotaxe.