Réforme fiscale : les trois principes oubliés par Jean-Marc Ayrault

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1218  mots
Pierre Yves Cossé, ancien commissaire général au Plan, souligne les risques pris par Jean-Marc Ayrault et François Hollande, en lançant une remise à plat de la fiscalité
Une réforme est infaisable à prélèvements constants, un vieil impôt est plus facilement accepté, et les partenaires sociaux sont peu légitimes en l’occurrence: voilà trois règles que l'exécutif semble avoir oubliées, alors qu'il annonce une "remise à plat" de l'impôt. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire général au Plan

La France dispose d'une puissante administration fiscale. Cela ne peut surprendre compte tenu du poids et de la complexité de l'impôt dans notre pays. Sa compétence est reconnue à l'étranger. Beaucoup de pays font appel à nos experts, qu'il s'agisse de mettre en place un impôt (la TVA est une invention française) des outils de gestion modernes ou d'améliorer les relations entre administration et contribuables. Cette compétence est également admise par une grande majorité de Français, qui contestent la loi fiscale et le montant des prélèvements, plus que les agents du fisc. L'informatisation et le regroupement de services contribuent à améliorer la qualité du service rendu, même si la fréquentation de ce service est rarement agréable.

Ce que l'administration ne peut pas faire

C'est dire que le gouvernement a intérêt à consulter son administration fiscale avant de toucher au système. Son administration ne lui dira peut être pas ce qu'elle doit faire mais elle lui dira ce qu'elle ne peut faire.

 

Trois règles à respecter

Si MM Hollande et Ayrault l'avait consultée ces derniers jours, elle lui aurait rappelé trois règles :

 

1-   Une réforme fiscale  coûte nécessairement aux finances publiques

Toute réforme fiscale coûte aux finances publiques. A terme, elle est source d'équité et d'efficacité. Dans l'immédiat, elle opère des transferts, allégeant la charge des uns et augmentant celle des autres. Pour la faire accepter, il faut faire un « cadeau » aux contribuables dont l'impôt va augmenter le plus (étalement dans le temps, décote..) même si la hausse est fondée. Des hausses trop brutales engendrent un rejet. C'est d'ailleurs la crainte de transferts massifs-parfaitement justifiés- qui bloque depuis des dizaines d'années la réforme des impôts locaux

Pour financer ces « cadeaux » un gouvernement doit disposer de marges financières. Il n'en a pas. Le projet de la campagne présidentielle consistant à simultanément augmenter fortement l'impôt et faire une grande réforme était infaisable, compte tenu des engagements pris sur les déficits publics. Celui consistant à faire une « mise à plat » du système à coûts constants en 2015 ne l'est pas plus.

 2-  Souvent, un bon impôt est un vieil impôt

   Un impôt doit non seulement être juste et économiquement efficace mais aussi accepté. De « vieux impôts » économiquement et socialement contestables, peuvent avec le temps être supportés par le contribuable sans récrimination. Ainsi, lorsque j'étais commissaire au plan, je me suis battu pour une forte réduction de la taxe sur les transactions immobilières, qui est une entrave à la mobilité des salariés particulièrement nécessaire en période de mutations.

Mais cet imposition est noyée dans « les frais de notaires » et ne suscite aucune contestation. J'ai échoué et c'est un impôt que l'on cherche aujourd'hui à relever, avec l'espoir que la hausse passera inaperçue. Un fiscaliste expérimenté conseillera de bien réfléchir avant de supprimer un « vieil impôt » bien toléré au profit d'un impôt « intelligent «  et plus juste mais qui, comme toute nouveauté fiscale, engendre au mieux la méfiance.

 

3-   La réforme fiscale ne saurait résulter d'une concertation sociale.

Par définition, les organisations socioprofessionnelles défendent leurs mandants et ne peuvent que chercher à transférer l'impôt sur les autres catégories sociales. C'est un jeu de mistigris qui ne profite à personne. Leur légitimité et leur compétence dans ce domaine ne sont nullement évidentes. Dans le passé récent, je ne connais qu'un cas où un syndicat a milité en faveur de la création d'un impôt nouveau, la CFDT lors du débat sur la CSG de Michel Rocard, combattue par le Ministre de l'Economie, Pierre Bérégovoy et la majorité de la gauche.

Rappelons de plus que le Parlement a été créé pour consentir à l'impôt, que c'est à lui et à ses commissions de débattre de l'impôt. Certes des avis doivent être demandés à tous les niveaux, de la conception à la mise en œuvre (les détails importent en la matière) Mais il s'agit d'avis.

 Les économistes devraient intégrer à leur réflexion les aspects sociologiques des réformes fiscales

Les avis des praticiens sont plus opérationnels, lorsqu'il s'agit de modifier ou non l'impôt, que ceux des théoriciens. On souhaiterait qu'un excellent économiste comme Thomas Piketty, qui avec raison cherche à intégrer l'ensemble des sciences sociales à ses travaux, inclue dans son approche les aspects sociologiques décisifs en matière fiscale.

Bien sûr des réformes fiscales sont possibles et nécessaires à condition qu'elles soient peu nombreuses, longuement expliquées - comme le montre le cas de l'écotaxe, une bonne réforme que l'on n'avait pas pris le soin de le vendre- et que l'on évite le « choc fiscal » au détriment d'un groupe social. Toute réforme fiscale doit être conçue compte tenu du contexte économique, social et politique. En 2012, une réforme cohérente de la fiscalité des plus-values s'imposait et la retenue à la source était envisageable. Mais pas « un grand soir fiscal » impossible et dangereuse dans un pays affaibli et divisé.

Osons une comparaison avec nos voisins. Depuis près de deux mois, avant la constitution d'un gouvernement, CDU et SPD négocient un programme détaillé, incluant la fiscalité, celle de l'énergie notamment. En France, après dix- huit mois de gouvernement, une consultation s'ouvre sur la réforme fiscale. Où sont les amateurs, où sont les professionnels ?

Avec les impôts, les meilleurs dirigeants se sont faits piéger

 Peut-être que MM Hollande et Ayrault ont consulté les experts de l'administration par l'intermédiaire des nombreux énarques qui les entourent mais ils n'auraient pas suivi leurs avis. Politique d'abord. Si c'est le cas ils ont pris un risque extravagant. S'agissant de fiscalité, les meilleurs se font piéger. VGE, par exemple, a connu un échec sur la fiscalité des plus-values. C'est d'ailleurs à ce moment là qu'il a créé une direction de la législation fiscale pour disposer de toute l'expertise fiscale nécessaire. Il n'est pas le seul à avoir reculé, les armoires des ministères sont pleines de réformes fiscales avortées

 Un coup politique?

D'aucuns diront qu'il s'agit uniquement d'un coup politique. Le Président veut faire savoir au pays qu'il ne va pas changer de Premier Ministre, en le chargeant d'une réforme qui ne sera pas achevée à la fin du quinquennat.

Pour une telle annonce, pourquoi choisir un détour aussi douloureux ? Pour le Premier Ministre qui ne peut prendre que des coups dans cette aventure et s'affaiblir un peu plus. Pour le pays, à qui le mot impôt fait horreur et qui va en entendre parler constamment sans perspective d'allègement. Pour le Président de la République, qui, campant sur son engagement de réduire les déficits, ira d'atermoiements en reculs. Une nouvelle phase de commissionite s'ouvre dont les résultats seront limités, au mieux.

A croire que François Hollande, veille faire de son Premier Ministre un nouveau Saint Sébastien ou cherche à s'autodétruire pour le plus grand profit de ses adversaires.

 

Pierre-Yves Cossé