Hollande : un pacte irresponsable ?

Par Raphaël Didier  |   |  895  mots
Le pacte de responsabilité annoncé par François Hollande ne considère que la compétitivité-prix des entreprises, oubliant totalement les autres aspects. par Raphaël Didier, économiste et enseignant à l'IUT de Moselle-Est

L'annonce par le président de la République d'un « pacte de responsabilité » a été vue par de nombreux commentateurs comme un changement de cap de l'économie française. Les milieux patronaux se sont ainsi réjouis que le gouvernement place l'entreprise au cœur de ses préoccupations, le président du MEDEF allant même jusqu'à revendiquer la paternité de ces mesures. Mais est-ce bien certain que ce pacte soit la réponse au problème de compétitivité de nos entreprises ?

Deux composantes pour la compétitivité: prix et hors prix

Rappelons tout d'abord que pour une entreprise, la compétitivité est sa capacité à vendre durablement ses produits à un prix supérieur à ses coûts, en faisant face à la concurrence. La compétitivité peut être divisée en deux composantes que sont la compétitivité-prix, qui repose sur l'évolution des prix domestiques comparée à l'évolution des prix dans les pays concurrents, et la compétitivité hors-prix, qui trouve son origine dans d'autres déterminants que le prix, comme par exemple l'innovation, la qualité, le niveau de gamme, etc.

Le pacte responsabilité se focalise sur une seule d'entre elles

Le pacte de responsabilité se focalise donc uniquement sur la première composante, c'est-à-dire les coûts. L'idée consiste dès lors à supprimer d'ici 2017 les cotisations sociales familiales employeurs (environ 35 milliards d'euros par an et rebaptisées charges sociales par un savant glissement sémantique), afin de reconstituer les marges des entreprises et créer l'équivalent d'une dévaluation qui déboucherait sur une hausse des exportations.

Des contreparties qui risquent de faire long feu

 En contrepartie, l'État attend des engagements chiffrés du patronat sur les questions d'embauches et de dialogue social, qui devront être définies au niveau national, puis déclinées par branche. Mais ces contreparties, en plus d'être très vagues à ce stade, risquent fort de faire long feu puisque le Medef a refusé de s'engager sur des chiffres précis, alors même qu'il avançait la possibilité de créer 1 million d'emplois...

Pourtant, il faudra bien financer cette baisse de cotisations sociales. Si les embauches ne sont pas au rendez-vous et que l'activité ne redémarre pas, alors cela devra se faire par des réductions de dépenses publiques puisque le gouvernement ne souhaite plus augmenter ni la dette publique ni les impôts (la grande réforme fiscale a-t-elle déjà été enterrée ?).

Le risque de faire replonger l'économie française dans la récession

Or, au moment où la France n'est même pas encore convalescente, couper dans les dépenses publiques à hauteur de 50 milliards d'euros, n'est-ce pas prendre inutilement le risque de replonger notre économie dans la récession, d'autant plus que le dernier moteur de la croissance, la consommation, s'essouffle désormais ? Faut-il rappeler que, contrairement à une croyance bien ancrée, les dépenses publiques ne sont pas par nature stériles : près de la moitié de la dépense publique est versée aux ménages sous formes de prestations sociales en espèce ou en nature, ce qui contribue évidemment à soutenir leur consommation… et donc la croissance !

Un gain minime en compétitivité

Mais en fin de compte, peut-on au moins attendre de ce pacte de responsabilité un gain de compétitivité conséquent ? Malheureusement pas tant que ça, car il faut se souvenir que le coût du travail représente en moyenne entre 20 et 25 % du coût de production total. Ainsi, en mettant en regard le total des rémunérations versées par les entreprises - c'est-à-dire salaires nets + cotisations employés et patronales, soit environ 700 milliards d'euros en 2012 - et les cotisations patronales (170 milliards d'euros), on voit de suite que la suppression des cotisations familiales patronales (35 milliards d'euros) permettra aux entreprises de gagner en compétitivité quelque chose de l'ordre de 1 % ! Tout ça pour ça ? Surtout quand on pense qu'une simple appréciation de l'euro, menace tout à fait crédible en raison de l'excédent courant croissant de la zone euro, suffirait à annihiler ce faible gain de compétitivité-prix.

L'erreur de se battre seulement sur la variable prix

Tous les gouvernements successifs semblent ainsi, pour des raisons électorales ou par méconnaissance de l'économie, avoir fait passer la compétitivité hors-prix au second plan, oubliant que ce qui compte n'est pas uniquement le coût salarial unitaire mais surtout le couple coût/niveau de gamme. Si nos entreprises ne doivent se battre que sur la variable prix, alors on se destine au moins-disant social et même à la tiers-mondisation en cherchant à s'aligner sur les niveaux de prix des industries asiatiques !

Ériger la compétitivité-prix en cause nationale n'est donc pas une vision d'avenir de l'économie française, encore moins une révolution tant cela fut une pratique courante les dernières années, l'actuel gouvernement n'ayant rien fait d'autre que de poursuivre le mouvement en organisant sans le nommer jusqu'à présent un transfert massif d'argent des ménages vers les entreprises. C'est donc tout simplement un pacte irresponsable qui « oublie » que sans demande les entreprises n'iront pas mieux !

Raphaël DIDIER

Économiste et enseignant à l'IUT de Moselle-Est

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Dernier livre publié (septembre 2013) :

Les grands débats économiques actuels, éditions Ellipses