L'Europe, un jeu qui se joue à 28… et à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne !

Par Jean-Christophe Gallien*  |   |  936  mots
Quoi qu'il arrive, quel que soit le résultat des élections européennes, l'Allemagne a tout fait pour sortir gagnante du jeu des nominations aux différents postes de l'exécutif européen. Par Jean-Chrisophe Gallien*

L'Union Européenne ressemble au Football du siècle précédent : « L'Europe est un jeu qui se joue à 28 ... et à la fin c'est l'Allemagne qui gagne ! ». Par 382 voix pour Jean Claude Juncker contre 245 à Michel Barnier, l'inoxydable luxembourgeois a ruiné les espoirs de l'actuel commissaire au marché intérieur et aux services, candidat de la France et de l'UMP. Ejecté du Luxembourg en 2013 par Xavier Bettel, Jean-Claude Juncker revient sur la scène européenne en candidat du PPE à la Présidence de la Commission. En candidat d'Angela Merkel devrions-nous dire tant la Chancelière s'est démenée pour imposer son poulain à quelques 800 délégués peu convaincus, ce week end encore, par la candidature « sollicitée » d'un homme qui en « privé » ne rêve que de succéder à Herman Von Rompuy à la Présidence du Conseil européen.

L'Allemagne sera de toutes façons gagnante

Comme à son habitude européenne, la scénarisation allemande est habile et surtout holistique. Quel que soit le résultat final des élections au Parlement européen, l'Allemagne sera gagnante. La présidence de la Commission, on pourrait ajouter la Présidence du Conseil européen, ne devraient pas échapper à l'une des deux principales familles politiques européennes, PPE donc ou PSE. L'Allemagne a donc imposé Juncker comme tête de liste du PPE et Martin Schultz, membre du SPD et actuel président allemand du Parlement européen sera le candidat des socialistes européens. Même si sa candidature a débuté bien avant sa constitution, nul doute que la coalition qui gouverne désormais l'Allemagne a intégré voire même programmé activement l'hypothèse d'un succès, allemand, de Martin Schultz.

La Chancelière ne veut pas que le patron de la Commission dépende de la future couleur du parlement européen

En réalité le choix s'organisera au coeur d'un grand marchandage intégrant la présidence du Conseil européen, la tête de la diplomatie de l'Union et la présidence du Parlement. Bien que le traité de Lisbonne leur recommande de tenir compte du résultat du vote aux élections du Parlement européen, de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement, dont la Chancelière, demeurent opposés à ce que l'issu d'un vote citoyen, leur impose le nom du prochain patron de la Commission.

Un accord entre le PPE et les socialistes européens?

Hypothèse la plus probable, le soir du 25 mai malgré une forte poussée des eurosceptiques le PPE ou le PSE gagnent les élections d'une courte tête, et ont des difficultés à réunir une coalition majoritaire au Parlement. Le 27 mai, réunion informelle du conseil, Jean-Claude Juncker est coopté pour succéder à … Herman Van Rompuy. On murmure qu'un accord serait déjà conclu entre PPE et PSE. Martin Schulz prendrait dans ce cas la tête de la Commission. Avant les élections européennes, la messe semble écrite. Et c'est Angela qui rédige.

Une mince chance pour Michel Barnier

Il n'est pas exclu, pour autant, que de nouveaux postulants émergent, notamment en cas de blocage sérieux entre le Conseil et le Parlement européens. C'est désormais la seule et mince chance de Michel Barnier et de la France. Se coaliser avec les libéraux et les verts ou chercher des alliances régionales. Martin Schulz ne plait ni aux libéraux ni aux verts qui l'accusent de trop plaire aux gouvernements …

L'Europe, une affaire allemande, pour l'Allemagne

En réalité l'Allemagne a presque déjà gagné et depuis longtemps. Il faut sans cesse le rappeler, l'élargissement européen à l'est de 2004 a profondément modifié les paradigmes allemand et européen. Dans l'Europe à 25 et encore davantage avec l'entrée récente de la Croatie, l'Allemagne a retrouvé un « hinterland » lui offrant une nouvelle respiration économique européenne mais surtout une autonomisation et une puissance diplomatique renouvelées avec des alliés fidèles au cœur du processus européen.

Héritière d'un mouvement continu d'élargissement de la géographie de l'influence et de la puissance de l'Allemagne, Angela Merkel sait, comme ses concitoyens, il faut enfin le comprendre, que son destin national est européen. L'Allemagne pense l'Europe comme une affaire allemande. Les Allemands ont depuis longtemps compris que les affaires européennes sont des affaires intérieures, pas la France.

Une nouvelle perte d'influence de la France

L'Europe a changé, regardons la en face. Nous sommes 28 dans, la France n'est plus seule à la tête du projet européen. Y-est-elle encore vraiment ?

La faiblesse annoncée par le profil des candidats éligibles de l'ensemble des listes françaises aux futures élections européennes, le rééquilibrage des postes en cours au cœur des institutions et en particulier de la Commission au profit, encore, des entrants de 2004, … tout pousse à craindre une nouvelle perte d'influence de la France au cœur des institutions. Nous n'avons plus le choix. La « Marque France » a besoin d'une véritable stratégie d'influence européenne. Barnier avait-il seulement le soutien total de l'UMP au sein du PPE ?

Travaillons d'urgence à définir autre chose au mieux qu'un amateurisme militant d'une autre époque ou au pire des abandons de positions coupables ! La France doit s'y projeter pleinement, sans faiblesse. La France doit scénariser ses objectifs, mettre en scène ses positions et les diffuser par tous les moyens existants. Faute de quoi c'est toujours l'Allemagne qui gagne !

 

 Jean Christophe Gallien

Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne

Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals