L'accommodant monsieur Juncker

Il aurait aimé devenir le premier président de l'Union européenne le 1 er janvier prochain. Mais les électeurs irlandais en ont décidé autrement. En attendant, il se contentera donc de rester le primus inter pares des grands argentiers de la zone euro qui doivent le reconduire ce matin à Nice à la tête de l'Eurogroupe. Un poste de " président permanent " que le Premier ministre et ministre des Finances luxembourgeois occupe depuis sa création en 2005. Le Belge Didier Reynders, qui avait espéré lui succéder, n'a même pas jugé bon de s'opposer. " Le traité de Lisbonne n'étant pas encore entré en vigueur, ses chances étaient nulles " , estime une source bruxelloise. " Jean-Claude Juncker a complètement assis l'autorité de la fonction " , assure l'eurodéputée socialiste Pervenche Berès. " Il lui a donné une dimension, un espace. " Le président de l'Eurogroupe " n'est pas un homme heureux " , lâchait récemment le Luxembourgeois devant des députés européens. Pourtant, il semble adorer le job. " Ce poste lui donne une tribune. Il trouve un plaisir à la fonction ", assure un ancien collaborateur. Sans compter les bénéfices qu'il en tire au plan intérieur. " Sa vraie force, il l'a trouvée à la fin des années 1990 grâce à son ascension au niveau européen ", explique le député Vert luxembourgeois François Bausch.L'homme est peu souriant et s'exprime sur un ton monocorde. Malgré cela, l'orateur fait mouche. Lorsqu'il lâche, devant le même parterre d'eurodéputés : " Heureusement que le ridicule ne tue plus, sinon les rues de Bruxelles seraient jonchées de cadavres " , la salle s'esclaffe. Il visait alors la " cohorte " de banquiers centraux nationaux qui suivent le président de la BCE dans le moindre de ses déplacements et nous " couvrent de ridicule " face aux Américains et aux Chinois. Voilà qui en dit plus sur les problèmes de représentation extérieure de la zone euro que bien des discours. En dépit de ce franc-parler, ce chrétien-social de 54 ans qui se définit lui-même comme " le dernier communiste du Luxembourg " , semble n'avoir que des amis.Souvent qualifié de " mécanicien de l'Europe " , il est la personne à appeler en cas de difficulté. Au sommet européen de juin 2007 par exemple, alors que les Polonais bloquent la négociation du nouveau traité, c'est lui qui accompagne Nicolas Sarkozy dans les entretiens en aparté avec l'irascible président Kaczynski. Les critiques glissent sur lui. Peu après le déclenchement de la crise financière, Nicolas Sarkozy, dans l'avion qui le ramène d'une visite à Budapest, déclare : " Quelle initiative a-t-il prise ? Il n'est pas absurde que le président de l'Eurogroupe s'interroge ! " Réplique de l'intéressé : " Je ne commente pas des propos en l'air ! "À la veille de sa reconduction, il justifie tout de même son bilan. À l'entendre, l' " évolution modérée des salaires du secteur public " et " la grande retenue en matière de fiscalité " dans une période d'inflation et de ralentissement économique sont à mettre au crédit de l'Eurogroupe. Face aux déséquilibres inquiétants entre économies de la zone euro, sa marge de manoeuvre apparaît limitée. Tout au plus peut-il espérer obliger Berlin, Paris, Madrid ou Rome à se parler. Au-delà des résultats qu'il revendique, ses homologues apprécient sa discrétion et sa maîtrise à toute épreuve. " Si moi, grand chef de ce petit orchestre, je rapportais devant la presse, à Nice ce vendredi matin, tous les propos tenus pendant la réunion, je risquerais mon poste... et aussi celui des autres " , s'amusait-il cette semaine.
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