Pourquoi il faut faire entrer les études de genre dans les écoles de management

Par Emmanuel Zenou  |   |  654  mots
La sensibilisation à l'égalité homme-femme à l'école primaire, d'accord, mais dans les grandes écoles ? Pour Emmanuel Zenou, enseignant-chercheur en finance et membre de la Chaire en gouvernance d’entreprise du Groupe ESC Dijon-Bourgogne, il faut absolument qu'elles s'y mettent...

Après les polémiques et nombreux fantasmes générés par la mal nommée « théorie du genre », plusieurs voix ont rappelé à juste titre que cette « théorie du genre » n'existe pas. Seules valent des « études de genre », qui visent à une sensibilisation sur les sujets d'égalité entre hommes et femmes et la prise de conscience des jugements et des stéréotypes qui peuvent être véhiculés sur ces questions.

 

Prendre conscience de la réalité de l'inégalité homme-femme

Ces polémiques ont concerné notamment des études sur le genre enseignées dans les écoles primaires. Mais pour ce qui est de notre système français d'éducation supérieure, qu'en est-il par exemple dans nos Grandes Écoles, importantes pourvoyeuses de futurs cadres et managers ?

En quoi les études de genre peuvent-elles être utiles à des étudiants qui d'ici peu de temps entreront dans le monde du travail ? Correspondent-elles à une réalité qu'ils retrouveront dans leurs prochaines fonctions et futurs environnements professionnels ?

La réponse est - malheureusement - très simple. Dans le monde du travail que nos étudiants et étudiantes trouveront à la sortie de l'école, les inégalités salariales entre hommes et femmes demeurent : plus de 19% d'écart dans le secteur privé et semi-public, même en ne prenant que les salaires à temps complet (Dares Analyses n°016, mars 2012).

Et c'est pire encore justement pour les cadres supérieurs et chefs d'entreprise (29%). Il s'agit donc de tout sauf d'une chimère ou d'un sujet de polémique : faudrait-il éviter d'en parler et cacher cette réalité ? Ou faut-il les préparer à y faire face et en prendre conscience, pour finalement tenter d'améliorer les choses ?

 

La parité améliore les compétences des conseils d'administration 

Lions cela à un autre exemple fort présent à l'heure actuelle dans l'actualité économique des entreprises : la gouvernance et les conseils d'administration. Nous avons depuis 2011 une loi sur la proportion obligatoire de femmes aux conseils d'administration des grandes entreprises (40% d'ici 2017). 

Ici encore plusieurs études, issues du monde académique comme du monde professionnel, ont montré que la diversité de genre permettait aux conseils d'administration d'élargir la gamme de leurs solutions et ressources stratégiques, d'améliorer les compétences du conseil, voire d'innover et d'améliorer la performance des entreprises.

Prégnance des stéréotypes

N'y a-t-il pas lieu dès lors d'aborder ces questions avec nos étudiants, en leur montrant l'intérêt d'éviter les stéréotypes sur les compétences managériales des hommes et des femmes ? Une récente étude expérimentale menée dans plusieurs grandes écoles de management montre ainsi que lorsque l'on donne la possibilité aux étudiants de sélectionner les membres du conseil d'administration, ils commencent quasiment systématiquement par choisir d'abord des hommes, et ensuite seulement des femmes.

Quand ils les choisissent, ils prennent plutôt des hommes relativement âgés et expérimentés, et les femmes choisies sont plutôt plus jeunes. Quand il s'agit de choisir des ingénieurs, là encore ils sélectionnent plutôt des hommes et ont du mal à imaginer des femmes ingénieures. Enfin, ils choisissent davantage d'hommes dans le secteur automobile, et bien sûr plus de femmes dans le secteur des produits de luxe…


Des questions qui les toucheront rapidement 

Alors la conclusion est claire : il n'est pas raisonnable de se passer des études de genre pour former les futurs managers de nos entreprises. À moins de considérer que ce n'est pas à notre système éducatif de donner aux étudiants de l'enseignement supérieur des outils pour prendre conscience de ces situations.

Il s'agit pourtant non seulement de vraies questions qui les toucheront très vite, en tant qu'objet de ces inégalités ou acteurs de leur gestion, mais également d'une facette de la vie des entreprises et des organisations qui est tout sauf un fantasme ou une fiction.