"Le G20 a une approche très naïve de la lutte contre les paradis fiscaux"

Par propos recueillis par Ivan Best  |   |  805  mots
Pour le chercheur Gabriel Zucman, les annonces récentes concernant la lutte contre les paradis fiscaux restent insuffisantes. Il craint une "normalisation de façade": en l'absence de vérifications et de sanctions, les banques des places off-shore continueraient de soigner la clientèle au très gros patrimoine. Il plaide pour la mise en place d'un cadastre financier mondial

 -De plus en plus de pays -on parle d'une quarantaine- se disent favorables à la lutte contre la fraude fiscale, approuvant le principe d' un échange automatique d'informations entre administrations fiscales. Dans votre livre, « La richesse cachées des nations »* , vous avez défendu la mise en place de cet échange automatique. Les paradis fiscaux sont-ils donc en voie d'extinction ?

 -Cette conclusion me paraît bien hâtive. Et l'approche qui voudrait faire de l'échange automatique d'informations la solution absolue, qui mettrait fin à tout problème, me paraît bien naïve. Comment peut-on croire que les îles Caïman ou Singapour, dont tout le modèle économique est fondé sur l'évasion fiscale, vont coopérer pleinement, tout d'un coup ?

Même si les autorités de ces pays prennent des engagements, sous la pression internationale, les banques et intermédiaires locaux ne vont pas se faire hara kiri juste pour complaire aux pays riches. Le scénario du pire, ce serait celui d'une normalisation de façade : on fait comme si les paradis fiscaux ne jouent plus aucun rôle majeur, ceux-ci, pour donner le change, éliminent d'ailleurs leur clientèle moyenne -quelques millions d'euros de fortune- pour se concentrer sur les très gros patrimoines, dont le nombre va croissant, et la messe est dite. Ce serait d'une grande hypocrisie.

 -Que faut-il faire, alors ?

Il y a deux choses à faire. D'abord, mettre en place ce que l'appelle un cadastre financier mondial. De quoi s'agit-il ? En France, il a été décidé au XIXème siècle d'établir un cadastre, afin de recenser toute la propriété foncière et immobilière, de savoir précisément qui possède quoi.

Il faut faire de même, aujourd'hui, avec les titres financiers, il faudrait pouvoir savoir précisément à qui appartient quel titre, cela permettrait de mettre fin au trou noir de la richesse financière : on ne connaît pas le propriétaire de 20% des actifs financiers, ceux-ci étant abrités dans des paradis fiscaux et détenus par des sociétés écran.

 -N'est-ce pas beaucoup plus complexe de mettre en place un tel cadastre, par rapport au recensement des terres et biens immobiliers ?

- Pas tant que ça. Les chambres de compensation, comme Clearsteram, au Luxembourg, ou Euroclear, en France, ont cette vision précise, possèdent ces informations. Mais il en existe plusieurs -elles ne sont pas inter-connectées- et elles sont de droit privé. Il faudrait rassembler ces données en une seule structure, de droit public, qui diffuserait bien sûr les informations à toutes les administrations fiscales.

 -Qui pourrait le faire ?

- Ce pourrait être le rôle du Fonds monétaire international (FMI). Cela contribuerait à son rôle de stabilisation financière. En 2008, lors de la faillite de l'assureur britannique AIG, la surprise a été grande au sein du Fonds de voir qu'une telle défaillance déstabilisait une série de banques américaines. C'est parce que nul ne connaissait la dissémination des titres financiers, notamment dérivés.

Avoir une connaissance précise de qui possède quoi permettrait donc de mieux jouer ce rôle de stabilisation de la finance mondiale. En tous cas, cela me semble être un préalable.

 -Vous évoquiez une seconde priorité…

- Il faudrait prévoir une série de vérifications et de sanctions à l'égard des paradis fiscaux. Le G20 évoque la lutte contre les paradis fiscaux, mais il n'évoque jamais cette question. Comme si le bon vouloir des uns et des autres allait suffire, comme si les banques dont c'est le business principal allaient obtempérer dans la plus grande transparence. Tout cela est très naïf.

Il ne suffit pas de faire la grosse voix, de placer ces territoires sur des listes grises. Il faut mettre en place des sanctions financières à la hauteur des gains que retirent les paradis fiscaux de l'évasion fiscale.

 -De quel ordre ?

-Beaucoup de paradis fiscaux, comme la Suisse ou le Luxembourg, et comme tous les petits pays, sont très ouverts sur l'extérieur. Ils importent beaucoup de biens, mais exportent aussi énormément. Il s'agirait de taxer les produits qu'ils entendent vendre à l'étranger. L'OMC ne pourrait s'y opposer, puisqu'il s'agirait simplement de compenser une subvention déguisée qu'ils se sont attribués à travers le secret bancaire.

 -S'agissant des trusts et autres sociétés écran, n'y-a-t-il pas une action spécifique à mener ?

-Absolument. Les règles en vigueur prévoient qu'il doit être possible le bénéficiaire final de toute structure. Il est possible, techniquemnent, de remonter cette chaîne. C'est là aussi une question de volonté.

 

* Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, Enquête sur les paradis fiscaux, La République des idées, Seuil, 11,80 euros