Alstom : construire un avantage stratégique durable en une semaine

Par Nicolas Forcade  |   |  661  mots
Comment une entreprise de près de 100 ans et 93 500 collaborateurs a su retourner de fond en comble sa stratégie en moins d’une semaine au point de se préparer à se séparer d’une branche qui représente 75% de son chiffre d’affaires pour pouvoir se reconstruire de manière durable ? Par Nicolas Forcade, Directeur Général, Anaplan France.

En ces temps d'incertitudes la stratégie retrouve des couleurs après des années de domination du court-termisme. Comment en effet prévoir l'imprévisible ? A quoi sert de réfléchir sur l'avenir quand l'inconnu domine ? A l'heure de la numérisation à outrance de l'entreprise dans toutes ses dimensions, de l'accélération des marchés, de l'entrée imprévisible de nouveaux concurrents disruptifs et dangereux, l'exercice stratégique avait perdu de sa superbe. Le temps serait à l'opportunisme et à la réactivité immédiate toutes deux opposées au long terme et à la vision stratégique d'entreprise.

 

Le changement est à la mode 

A l'évidence, une telle attitude revient à se résigner à subir les aléas inévitables de la conjoncture.  Nassim Nicholas Taleb l'a démontré, les cygnes noirs existent, ils sont aussi inévitables qu'imprévisibles. Ils changent le monde brutalement et avec violence. Face à eux certains jouent l'autruche et prient pendant que d'autres saisissent les rênes de leur destin tout en comprenant leur incapacité à tout prévoir et tout maîtriser. Comme le souligne Morten Hansen, professeur de management à University of California, Berkeley (School of Information) et à l'INSEAD, le changement est à la mode mais cette mode est délétère :

« Dans ces temps incertains, les entreprises les plus performantes sont celles qui changent moins que leurs concurrents. Le chemin le plus sûr vers la  médiocrité est celui des changements chroniques. ».

L'erreur stratégique consiste à opposer long et court terme et abandonner la construction de l'avenir pour privilégier un pseudo contrôle du présent. Pourtant, les entreprises doivent embrasser le présent comme l'avenir, la vision et l'opportunisme. C'est la démonstration faite récemment par Alstom. En quelques jours, les dirigeants d'Alstom ont su revisiter totalement leur stratégie pour se préparer à saisir une opportunité majeure. L'exercice demande une vision stratégique de haute altitude et la compréhension parfaite du contexte et de ses implications.

 

Pourquoi se défaire de son avantage concurrentiel ?

De quoi s'agit-il ? Simplement d'abandonner un actif stratégique (la branche Alstom Energie soumise à une concurrence rude des acteurs historiques mais aussi de nouveaux compétiteurs issus des pays émergeants) afin de se concentrer sur le secteur des transports, plus porteur en Europe. Ajoutons à cela le fait que, malgré un ralentissement du secteur de l'énergie depuis 2008, Alstom dispose malgré tout de nombreuses cartes à jouer dans ce domaine.

L'exercice intellectuel est difficile. Comment seulement envisager de se défaire de ce que l'on a mis si longtemps à construire et qui constitue un avantage concurrentiel ? Cela suppose une vision stratégique claire (la place que veut occuper Alstom sur ces deux marchés hyper sensibles et très politiques que sont l'énergie et les transports) et de considérer l'actif comme un moyen et non plus comme une fin. Cela suppose aussi et surtout la capacité à calculer quasi instantanément les impacts opérationnels, commerciaux et financiers de décisions radicales.

L'ultime atout d'Alstom 

Nous ne connaissons pas aujourd'hui la fin de cette histoire. Qui de General Electric ou de Siemens rachètera la branche énergie d'Alstom, fleuron de l'industrie Française, qui annonce se donner un mois pour prendre une décision (en réponse aux demandes du gouvernement français) ? Mais il est d'ores et déjà essentiel de comprendre que dans cette bagarre, l'agilité stratégique est un avantage concurrentiel majeur. La stratégie instantanée, la capacité à revisiter et bousculer ses positions au service de sa vision est l'atout ultime dans un monde incertain.

Pour disposer de cet atout, il faut aux dirigeants d'entreprise beaucoup d'agilité intellectuelle et une excellente compréhension de leur modèle. Modélisation et stratégie vont de pair pour bouleverser les organisations et entrer de plain-pied dans un monde instantané sans perdre sa perspective stratégique. La stratégie doit être instantanée et s'inscrire dans la durée pour devenir l'ultime atout concurrentiel.