Régions : ce qui va se passer maintenant, localement

Par Armand Laffineur  |   |  1639  mots
La France métropolitaine sera redécoupée en 14 nouvelles régions. /Elysée
Sensée permettre des économies, la mise en œuvre de la réforme des régions sera d'abord complexe et coûteuse. Par Armand Laffineur, Consultant en développement économique et aménagement du territoire

La décision est prise, la France va passer à 14 Régions, dans un souci de simplification et d'économies …. Vu de Paris, tout à l'air simple.

 A l'issue de ce meccano géographique, il faudra bien trouver un nouveau nom pour ces Régions et définir une capitale pour accueillir fonctionnaires et élus. Ceci fera des mécontents. Plusieurs villes y perdront leur statut de capitale régionale et les emplois qui y sont attachés.

Il s'agit des emplois directs de la Région (fonctionnaires des conseil régionaux), mais également des directions régionales des services de l'Etat (Préfecture de Région, DIRECCTE, DRAAF, DRAC, DREAL, DRJCS, DRFIP, Rectorat), des agences publiques présentes en Région (ADEME, ANAH, ANRU, etc ..) ou encore des directions régionales des grandes entreprises (La Poste, EDF, GDF, Orange, etc …). La liste n'est pas exhaustive.

 Une féroce bataille en région

Une féroce bataille va s'engager en coulisse pour désigner les futures capitales de Régions et les perdantes chercheront à conserver un maximum d'emplois publics. Les élus concernés trouveront dans les syndicats de fonctionnaires leurs meilleurs alliés dans leur combat. Petit tour de France.

 1)     Fusion Haute-Normandie + Basse Normandie.

Le nom de la Région : Ici pas de Débat, il s'agit de réunifier la Normandie. C'est une vieille revendication identitaire, qui butait à chaque fois sur le choix de la …. Capitale de Région. La Normandie possède une identité, une histoire et un fond de civilisation commun.

La capitale de la Région : Il y a débat depuis des années. Rouen ou Caen ? Rouen, capitale historique de la Normandie risque de l'emporter en raison de sa proximité avec Paris et de son poids démographique. Reste à trouver une utilité au conseil Régional Basse Normandie, aménagé dans la magnifique Abbaye aux Dames à Caen. Un compromis serait de fusionner les Cours d'appel de Rouen et Caen, au profit de Caen.

 

2)     Fusion Picardie + Champagne Ardenne

Le nom de la Région : aucune identité historique, linguistique ou géographique entre ces entités. Qu'y a-t-il de commun entre la Somme avec Amiens et l'Aube avec Troyes ? La seule convergence concerne la géographie avec des plaines à betterave et à céréales. Un compromis du genre Picardie-Champagne tiendrait la corde …

La capitale de Région : Amiens et Chalons en Champagne sont les capitales régionales et ce sont des villes qui ont peu d'activité économique en dehors de leur rôle administratif (présence de nombreux fonctionnaires, y compris de l'Etat). Elles n'ont donc aucune raison de lâcher leur titre de capitale régionale. Certains avancent une solution de compromis, en faisant de Reims, plus centrale au plan géographique, la capitale de la nouvelle Région. Mais il faudra construire un nouveau siège de Région pour les élus et les fonctionnaires, qui devront déménager. Que fera-t-on des Hôtels de Région à Amiens et Chalons en Champagne ?

 3)     Fusion Lorraine + Alsace

Le nom de la Région : Alsace-Lorraine étant marqué sur le plan historique on préférera Lorraine-Alsace ? Pas d'identité commune sur le plan historique ou linguistique. En Lorraine, seul le département de la Moselle est de langue germanique comme l'Alsace. Et encore les dialectes germaniques sont différents (francique en Lorraine et Alémanique en Alsace) et. En Lorraine-Alsace, créer une région comparable à un Lander Allemand repousse plus qu'elle n'attire et rappelle plutôt de mauvais souvenirs.

La capitale de Région : Strasbourg devrait s'imposer car c'est la plus grande ville et c'est une capitale européenne, mais elle serait alors totalement décentrée par rapport à la Région, coupée en deux par les Vosges.

 4)     Fusion Bourgogne-Franche-Comté

Le nom de la Région : Il s'agit ici de recréer la Bourgogne historique, séparée depuis 1477 et la mort de Charles le Téméraire. La Franche-Comté, c'était le Comté de Bourgogne, dit Franc(he) car relevait de l'Empire Germanique et pas du Royaume de France. On pencherait pour Bourgogne ou Burgondie (un royaume au temps des mérovingiens).

La capitale de la Région : Dijon va s'imposer au détriment de Besançon.

 5)     Fusion Rhône-Alpes - Auvergne

Le nom de la Région : Gros point d'interrogation tant les territoires regroupés sont différents. Il n'y a aucune communauté historique ou linguistique entre ces territoires. Quels points communs entre le Cantal et le Dauphiné ou la Drôme ? Les pôles de Lyon, de Grenoble et des Savoie vont de tirer la couverture à eux en mobilisant les financements et les projets au détriment des territoires du Massif Central (Auvergne+Ardèche).

La capitale de la Région : Lyon va s'imposer sans problèmes. Ce qui finira d'achever Clermont-Ferrand, qui ne bénéficiera plus d'aucuns investissements d'infrastructures.

 6)     Fusion Midi-Pyrénées - Languedoc-Roussillon

Le nom de la Région : Vu de Paris, c'est lointain, mais il s'agit de créer un monstre territorial en mariant la plus grande Région de France, avec 8 département s'étendant des Pyrénées au Massif Central, à la région Languedoc-Roussillon ce qui donnera un territoire couvrant 13 départements. Espérons que ces mêmes départements seront conservés car la Lozère ou le Gers auront le plus grand mal à survivre au sein d'un si vaste ensemble. Georges Frêche avait naguère proposé de renommer sa région Septimanie, mais le nom qui s'imposera sera certainement Occitanie, terme tout autant géographique que politique. Ceci permettra ensuite aux élus régionaux d'imiter la Corse et de demander la co-officialité de l'Occitan avec le Français sur le territoire de cette future Région, qui constituera la « Mistralie » rêvée de Frédéric Mistral.

La capitale de Région : Toulouse s'imposera face à Montpellier, bien que cette dernière soit très dépendante des emplois publics.

 7)     Fusion Centre-Limousin-Poitou-Charentes

Le nom de la Région : On peine à trouver des points communs à tous ces territoires désignés pour former une Région. Elle serait formée de 13 départements et s'étendrait de l'Atlantique au Massif Central et du val de Loire au à l'estuaire de la Garonne. Cette entité protéiforme réussirait l'exploit de s'étendre de part et d'autre de la frontière linguistique entre langue d'oil et langue d'Oc. Sur le plan économique, l'Eure & Loir et le Loiret fonctionnent plutôt avec l'Ile de France quand les Charentes sont tournées vers l'Aquitaine. L'axe Blois-Tours-Poitiers est quant à lui orienté vers les Pays de Loire. Enfin, le Limousin, l'Est de la Charente ou le Nord des Deux-Sèvres seront totalement marginalisés dans cet ensemble …

Le nom de Loire-Atlantique étant déjà utilisé par un département, celui de Atlantique-Val de Loire serait trop proche et celui Centre-Atlantique plutôt technocratique … Les paris sont donc ouverts …

La capitale de région : Orléans serait logiquement la capitale, mais elle présente le désavantage d'être totalement décentrée par rapport au territoire de la future Région et mal desservie par le train. Poitiers devrait donc s'imposer, profitant de sa position plus centrale et de sa desserte autoroutière et ferroviaire, mais sans légitimité politique, historique ou démographique.

 Aucune ligne directrice, pas de prise en compte des bassins économiques, des déplacements

 Ce rapide tout d'horizon montre que cette réforme territoriale n'est guidé par aucune ligne directrice et ne repose ni sur des bassins économiques, ni sur des logiques de déplacements, ni sur des réalités humaines, linguistiques ou historiques. Si la réunification de la Normandie est bien actée, celle de la Bretagne est abandonnée. Comment fonctionnera un territoire aussi vaste que l'ensemble Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon ? Comment pourrait s'assembler la réunion du Centre, du Poitou-Charentes et du Limousin ? L'Auvergne est sacrifiée à une Région Rhône-Alpes déjà riche et puissante. La fusion de la Picardie et de Champagne-Ardenne, c'est la regroupement des perdants de la globalisation, de territoires désindustrialisés qui subissent de plein fouet la réforme de la Politique Agricole Commune …

 Quelles économies?

Difficile d'identifier des économies car il sera impossible de déménager les fonctionnaires travaillant actuellement pour les Régions qui vont être supprimées, ni de réduire leurs traitements. Par exemple, un actuel directeur régional à Limoges ou à Besançon restera dans ces villes avec le même traitement, même s'il devient sous-directeur régional, ajoutant au passage un niveau hiérarchique. Si l'Etat peut supprimer un Préfet de Région, il faudra du temps pour déplacer l'ensemble des services déconcentrés, et par exemple l'actuel directeur régional de l'Agriculture, en Limousin ou en Auvergne restera en poste avec son salaire.

 Une réforme d'abord coûteuse et complexe

Avec le risque de confondre vitesse et précipitation, la mise en œuvre de cette réforme va se révéler coûteuse et complexe. Localement il faudra négocier pour satisfaire les élus locaux, et les fonctionnaires. A ceci s'ajoute un calendrier parlementaire serré, le gouvernement souhaitant faire voter ce projet de loi avant l'été car des élections sont prévus à l'automne pour renouveler le Sénat. La gauche risque d'y perdre la majorité, rendant très périlleux le vote de cette réforme …. Enfin, le report des élections régionales à fin 2015 permet de se donner du temps mais va faire des mécontents car l'objectif serait de réduire au global le nombre de conseillers régionaux plutôt que de l'augmenter. Et Il faut pour cela tenir compte des équilibres démographiques des nouvelles régions afin de représenter équitablement chaque territoire.

 

Armand LAFFINEUR

Consultant en Développement économique et Aménagement du Territoire