Dette : pourquoi il faut sanctionner l'Argentine

Par Pascal de Lima  |   |  871  mots
L'Argentine, qui s'est fermé l'accès aux capitaux privés par son comportement, cherche désormais à obtenir des fonds publics pour renflouer ses caisses. Mais pourquoi obtiendrait-elle des privilèges auxquels aucun pays pauvre n'a accès? Par Pascal de Lima, Fondateur d'Economiccell, Enseignant à Sciences-po Paris

L'Argentine ne veut plus honorer ses dettes. Après un défaut de paiement en 2001, elle doit toujours près de 10 milliards de dollars aux membres du club de Paris. En tant que troisième plus grande économie d'Amérique Latine, l'Argentine a pourtant les moyens de rembourser sa dette, mais elle a fait le choix d'ignorer ses créanciers, s'excluant ainsi des marchés internationaux depuis une décennie. Son comportement lui ayant donc fermé les portes des capitaux privés, l'Argentine se tourne à présent vers le secteur officiel pour renflouer ses caisses.

Une insolvabilité organisée, aucune réforme structurelle

Ainsi, en janvier Axel Kicillof, Ministre de l'économie et des finances a proposé de rembourser sa dette sur dix ans, mais à quelques conditions majeures. La première est que seulement 20% de la somme soit remboursée en liquidités et 80% par émissions obligataire, tandis que ce remboursement n'interviendra que si les créanciers investissent dans l'économie argentine et que l'ensemble de l'opération doit se faire hors du contrôle du FMI.

On ne comprend pas bien pourquoi l'Argentine s'entête. Elle a organisé son insolvabilité, par exemple en plaçant ses actifs à la BRI de Bâle, et dans le même temps, elle n'a mis en œuvre aucune réforme structurelle, élément crucial pour ouvrir des négociations avec le club de Paris. Pire encore, par une politique économique irresponsable et dispendieuse, en se reposant sur les matières premières et en choisissant de s'isoler des marchés, l'Argentine n'a pas diversifié son économie ni renforcé sa compétitivité, ce qui condamne le pays à être, selon Neil Shearing,  Chef économiste de Capital Economics spécialisé sur les marchés émergents, « au bord d'une nouvelle crise de balance des paiements ». Et pendant ce temps, la corruption demeure et Moody's a dégradé la note de l'Argentine à Caa1, au même rang que le Venezuela ou le Pakistan.

Des comptes trafiqués

De son côté, l'Argentine accuse souvent le FMI d'être responsable de la crise économique de 2001 et refuse, depuis 2006, de participer aux consultations annuelles de l'article IV (pourtant obligatoires pour tous les membres). A cela s'ajoute un signal de défiance fort envers le FMI envoyé par les pouvoirs publiques  en utilisant en 2006, ses maigres ressources en devise étrangère pour payer par anticipation les 9,8 milliards de dollars de sa dette au FMI (au taux privilégié de 4,6%), avant de remplir ses caisses par l'émission d'obligations en dollars à des taux deux fois plus élevés. A la limite vis-à-vis du FMI chacun a son point de vue.

Mais le pire c'est que dans le même temps, l'Argentine n'a eu de cesse de trafiquer ses comptes en renvoyant les statisticiens indépendants de l'INDEC, en menaçant des économistes et en interdisant les estimations divergeant des chiffres officiels. C'est pourquoi l'Argentine est devenue le premier pays censuré par le FMI pour ne pas avoir fourni des données exactes sur son inflation et sa croissance. Ça c'est quand même un problème.

Des choix absurdes de politique économique

Si l'Argentine se trouve en défaut de paiement depuis plus de dix ans, elle le doit à ses choix absurdes de politique économique. Au bout d'un moment on ne peut pas toujours céder à tout, il faut un cap, une borne à ne pas dépasser quand même et il est absolument certain que si le club de Paris cède à l'Argentine, alors que sa légitimité est déjà aujourd'hui contestée par les marchés financiers et les puissances émergentes, il perdra le crédit qu'il lui reste encore et incitera ses futurs débiteurs à adopter le même comportement que l'Argentine. Il serait dommageable que le cas de l'Argentine gâche le long travail du club de Paris, qui, depuis près de cinquante ans, a négocié, sur la base de ses principes, des centaines d'accords avec 90 pays endettés, sur un montant de plus de 470 milliards de dollars.

Membre du G20, et des privilèges que n'obtient aucun pays pauvre

Comment justifier que l'Argentine, pays pourtant membre du G20, obtienne des privilèges auxquels n'ont pas droit les pays pauvres lourdement endettés qui, eux, pourraient réellement les nécessiter ? Malgré l'absurdité de cette position, la France soutient ardemment l'Argentine, au grand dam de certains des principaux créanciers du pays, comme le Japon et l'Allemagne qui détiennent les deux tiers de la dette argentine et qui exigent un paiement des dettes sous surveillance du FMI et uniquement en liquidités.

Mais la France, hôte du Club de Paris, cherche à forcer un mauvais accord et prend le risque de s'isoler diplomatiquement. Son rôle historique devrait plutôt être au contraire de renforcer la stabilité financière internationale et de condamner tout comportement contraire aux règles internationales car il est impératif que toute restructuration de dette souveraine soit ordonnée, souple et transparente. En effet, si une entorse devait être faite à ce principe de bon sens, d'autres Etats du monde pourraient y voir une promesse d'impunité en matière d'emprunt et seraient tenter d'escroquer à leur tour d'éventuels prêteurs.