Prochainement, le retour de la France

Par Robert Jules  |   |  1162  mots
Robin Rivaton, lui aussi, souligne la nécessité de réformes, mais pour lui, la différence est qu'aujourd'hui nombre de Français y sont prêts, la crise ayant fait son douloureux travail de désillusion sur la situation réelle de « l'exception française ».
Dans « La France est prête » (éd. Les Belles Lettres), Robin Rivaton, un jeune économiste, montre combien les Français ont changé au cours des 10 dernières années. Ils ont intégré la mondialisation, la culture de l'innovation et celle de l’entrepreneuriat, développer une méfiance croissante envers l'omnipotence de l’État. Surtout, ils sont devenus réalistes face à une classe politique de plus en plus sclérosée. Des ingrédients qui devraient permettre à la France de rebondir.

« La France est prête », c'est le constat en forme de titre d'un livre (éditions Les Belles Lettres) signé par un économiste de moins de trente ans, Robin Rivaton, dont le nom devrait s'imposer dans un proche avenir. « Nous avons changé », souligne-t-il en sous-titre. Le problème est qu'on ne s'en est pas aperçu.

Et il y a des circonstances : croissance en berne, déficits qui se creusent, chômage élevé, exil de milliers de jeunes et d'entrepreneurs, hausse des prélèvements obligatoires, société bloquée et personnel politique disqualifié...


Une réponse à "La France qui tombe"

Pourtant en moins de 200 pages à l'argumentation serrée - chiffres et références à l'appui-, l'auteur va s'employer à montrer combien la France a évolué depuis plus d'une décennie, comment elle s'est adaptée au mouvement de la mondialisation. Une partie de la population a avancé sans bruit, intégrant la culture du progrès généré par la révolution des NBIC, les nanotechnologies, la biologie, l'informatique et la cognition. Robin Rivaton, qui est par ailleurs un spécialiste de l'économie des robots, multiplie les exemples pour montrer que la dynamique de l'innovation est bien présente en France, assurant que le pays est bien préparé pour s'adapter à l'évolution de l'économie mondiale et en tirer profit dans les prochaines années.

Un tel constat à de quoi surprendre, nombre de Français ayant intégré qu'ils vivaient un déclin inexorable à l'échelle de l'histoire. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de voir dans « La France est prête » une réponse au petit livre paru il y a un peu plus d'une décennie : « La France qui tombe : un constat clinique du déclin français », signé par Nicolas Baverez. Le livre du biographe de Raymond Aron visait à tirer la sonnette d'alarme sur une situation qui se dégradait en appelant à l'adoption de réformes capables de réenclencher une nouvelle dynamique. Il aura finalement alimenté un courant pessimiste au sein de la société française.


Suppression de l'IS et revenu universel

Robin Rivaton, lui aussi, souligne la nécessité de réformes, mais pour lui, la différence est qu'aujourd'hui nombre de Français y sont prêts, la crise ayant fait son douloureux travail de désillusion sur la situation réelle de « l'exception française ».

Ce climat propice permettrait selon l'auteur de mener une révolution entrepreneuriale, parce qu'un grand nombre de Français et de Françaises de tous horizons souhaitent aujourd'hui créer leur propre entreprise, au nom de la responsabilité et de l'autonomie. Une tendance qui devrait aboutir à une transformation des relations entre employés et employeurs, notamment en accordant plus de souplesse aux modalités d'embauches, et de licenciement. Car dans une économie qui retrouve son dynamisme, la peur de perdre son travail s'atténue car les chances d'en retrouver un nouveau sont plus élevées.

Parmi les nombreuses mesures avancées par Robin Rivaton, on compte une révolution fiscale, notamment en supprimant l'impôt sur les sociétés (46 milliards d'euros) en lieu et place d'un Pacte de responsabilité (41 milliards d'euros potentiels), dont il rappelle qu'il profite davantage aux grands groupes qu'aux PME. De même, pour en finir avec les « usines à gaz » que prise la haute fonction française, il milite pour un prélèvement des ménages à la source avec seulement deux taux d'imposition : 5% et 20% au-dessus de 12.000 euros, avec une contrepartie : un revenu universel.


"Lib-réalisme"

L'un des freins actuels à la mise en application de telles réformes est la classe politique elle-même dont la faiblesse (pas celle des individus en tant que tels) est un handicap. Selon l'auteur, celle-ci a été alimenté entre autres par l'illusion créée par la bonne tenue de l'économie française dans les années 1990 - la fameuse « cagnotte » de Lionel Jospin -, qui a endormi par la suite toute velléité de réformes au sein de la classe politique. Cette dernière a depuis compté davantage sur une reprise liée à l'environnement international que sur les forces propres au pays, ce qui a notamment entraîné un retard - plutôt qu'un déclin - dans l'adaptation de la France à la concurrence mondiale.

Rivaton, issu d'une génération qui n'aura pas été façonné par la fin des « grands récits » et l'idéologie post-moderne dont les charmes se sont rapidement épuisés sous l'effet de la crise, plaide pour un retour au bon sens, ou encore au sens commun. Au grandiose de la révolution qui va tout transformer, il préfère l'ambition modeste mais pragmatique qui s'incarne non pas dans les affrontements mais dans une culture de la négociation. Selon lui, la France y est aujourd'hui culturellement prête.

C'est la raison pour laquelle il préfère parler de « lib-réalisme », un néologisme qui se substitue au libéralisme, « idéologie politique », constate l'auteur, qui « fait peur aux hommes et femmes politiques ». Il préfère « un libéralisme pragmatique, réaliste, réaffirmant sa foi dans le progrès et la science pour sortir la France de l'ornière. » Bref, un libéralisme populaire réellement existant même s'il prend des aises avec la pureté de la doctrine.

Puissance moyenne, et alors ?

Un tel pragmatisme rappelle aussi combien le courant individualiste en France est toujours prégnant, tout en restant impuissant face à un État qui exerce une tutelle tatillonne mais de plus en plus inefficace. C'est là aussi une tendance qui s'affirme durant ces dix dernières années sous la forme d'une forte abstention lors des élections: les Français rejettent cet État, « débordant de ses traditionnelles missions régaliennes », qui « est devenu un prestataire de services publics peu efficace et dispendieux », dont il faut remettre à plat le coût de fonctionnement et ses missions. L'auteur rappelle ainsi que la part des prélèvements obligatoires est passée de 31% du PIB en 1960, à 40%  en 1980 et 47% en 2013. Ou plus emblématique car touchant la jeunesse, dans l'Éducation nationale, la dépense par élève dans l'enseignement secondaire est passée (en euros constants de 2010), de 5.900 euros en 1980 à 9.700 euros en 2011, sans que la formation n'en ait été améliorée dans les mêmes proportions.

Mais au final ce qui fait l'originalité de ce livre, c'est le regard neuf et décomplexé porté sur la situation du pays. Loin de se référer à un passé idéalisé et sacralisé sur la grandeur de la France, Robin Rivaton adopte une jugement laïcisé quand à notre place dans le monde. Nous sommes une puissance désormais moyenne ? Et alors? On peut bien vivre dans une économie dynamique sans vouloir à tout prix dominer. A l'image des deux prix Nobel français, Patrick Modiano (littérature) et Jean Tirole (économie), qui ont travaillé sans tapage depuis des décennies et font rayonner aujourd'hui l'excellence française.