La France se lève, et maintenant ?

Par Philippe Mabille  |   |  835  mots
L'éditorial de Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction de La Tribune.

Tristesse, émotion, mais aussi espoir. C'est une magnifique image que la France a offert au monde hier où tout un peuple s'est levé en masse pour répondre à l'agression terroriste qui a frappé le journal Charlie Hebdo et tué 17 personnes. A l'évidence, il y aura un avant et un après ce 11 janvier 2015, qui va s'inscrire au Panthéon de l'histoire comme un  événement refondateur de la République. En montrant un pays debout, uni pour les valeurs de la République, les millions de personnes qui ont marché ce week-end ont impressionné le monde entier. La France montre qu'elle est et reste une grande démocratie au message universel et apporte le démenti le plus clair à tous ceux qui pensaient le pays endormi, comme condamné au déclin. Quelque chose s'est passé en France ce dimanche qui montre que le pays est prêt à se réveiller et à s'unir quand les valeurs fondamentales qui nous rassemblent sont menacées.

Les terroristes, qui voulaient nous diviser et provoquer un affrontement entre les communautés, ont perdu la bataille, pour l'instant en tout cas. Le peuple français, dans sa sagesse, a compris le piège dans lequel les islamistes veulent nous enfermer et y a apporté la meilleure des réponses : l'unité au nom de la liberté, de la laïcité et du refus du racisme et de l'antisémitisme, valeurs qu'incarnait l'esprit Charlie Hebdo.

Mais derrière l'émotion et le sentiment légitime de fierté devant la calme détermination de la foule, en réalité, tout commence en ce lundi 12 janvier. Que faire de cette union sacrée ? Comment la faire vivre et perdurer alors que la menace terroriste va obliger le gouvernement à prendre des mesures fortes dans les jours et les semaines à venir pour répondre à un danger dont tout laisse penser qu'il est là pour longtemps ? Banlieues difficiles, prisons, éducation, c'est toute la république et le « vivre ensemble » qui  est à reconstruire et les événements que le pays vient de traverser vont changer la face de la fin du quinquennat de François Hollande.

Pour le chef de l'Etat, ce moment « Charlie Hebdo » est un levier majeur pour renverser la vapeur et regagner en crédibilité dans l'opinion. Comme président de la République, il va devoir se montrer à la hauteur des défis qui l'attendent pour maintenir la cohésion nationale et répondre à la demande de sécurité que va lui adresser la population. Il ne sera pas seul dans ce combat. La présence des principaux dirigeants européens à Paris dimanche constitue un soutien de taille. Face à un danger qui pèse sur tout le continent (des journaux ont été menacés en Allemagne et en Belgique dimanche -, c'est aussi à Bruxelles que les réponses vont devoir être recherchées. Déjà, la question de la fermeture de l'espace Schengen revient sur le devant de la scène afin de protéger les frontières poreuses de l'Europe de l'entrée ou du retour des djihadistes. Alors que la France et le Royaume-Uni sont en première ligne dans la guerre contre le terrorisme, en Irak contre l'Etat islamique ou en Afrique, la question de l'unité de la diplomatie et de la défense européenne va aussi revenir au premier plan.

La question sécuritaire va prendre le dessus sur tout autre considération, y compris économiques. Inutile de dire que la menace terroriste va forcément peser sur le climat des affaires à un moment décisif pour la reprise économique. La France devra-t-elle comme les Etats-Unis prendre des mesures de restriction de certaines libertés publiques pour combler les failles qui sont apparues dans notre arsenal anti-terroriste ? Faudra-t-il voter l'équivalent d'un « Patriot act », ce dont s'inquiète déjà les défenseurs des libertés ? Faudra-il protéger les écoles de confession juives, les quartiers où vivent les 600.000 juifs de France ? Les journaux et les journalistes devront-ils bénéficier encore longtemps d'une protection policière ?

La France va aussi devoir réviser en profondeur sa politique pénitentiaire alors que nos prisons sont le chaudron où naissent les vocations au djihad, ce qui va nécessiter des moyens budgétaires. Il faudra aussi apporter des réponses au sentiment d'abandon et de désespérance sociale des jeunes de nos banlieues. Tout un programme qui prendra bien sûr du temps. Et pourrait bien fissurer l'union nationale entre les partis politiques alors que chacun voudra récupérer à son avantage la force du mouvement qui s'est levé ce dimanche. Une chose est sûre, ce climat de tension aura forcément une incidence politique sur les élections à venir, aux départementales de mars comme aux régionales de décembre, et pèsera sur les élections présidentielles de 2017. Le Front national, exclu de la manifestation parisienne dimanche, pourrait bien être le principal bénéficiaire si François Hollande ne parvient pas à rassurer les Français.