Avec la crise sanitaire, des Français de plus en plus protectionnistes !

Par Pierre-Pascal Boulanger (*)  |   |  1812  mots
(Crédits : FLickr/MPD01605. CC License by.)
SONDAGE EXCLUSIF. 60% des Français sont désormais favorable au protectionnisme. Le chiffre était de 51% en mars dernier selon un même sondage OpinionWay pour le Printemps de l'économie et l'INSEEC U. On relève aussi une baisse de 11 points pour les partisans du libre-échange passant de 46 à... 35%. Inquiets, les Français, majoritairement en faveur du protectionnisme depuis la crise sanitaire, attendent de l'Etat et de l'Union Européenne une réorientation de leurs politiques. Par Pierre-Pascal Boulanger, Président-fondateur du Printemps de l'économie (*)

La COVID-19 et l'insécurité économique qui résulte de la pandémie sont passées par là. L'état d'esprit des Français face aux risques de conflits s'est transformé entre mars et octobre 2020, comme en attestent les deux vagues du même sondage OpinionWay pour le Printemps de l'économie et l'INSEEC U.

Déjà le virus et le dérèglement climatique s'étaient bizarrement manifestés : le Printemps en automne ? Chapeau ! Au moins le report de la 8è édition du Printemps de l'économie « Guerre(s) et Paix », de mars à octobre, aura-t-il permis d'interroger les Français deux fois sur les mêmes questions, permettant ainsi de mesurer l'évolution de leur rapport aux risques de conflits.

Des résultats riches d'enseignements

Les Français avaient déjà pleinement conscience en mars dernier que les Etats-Unis et la Chine s'affrontaient dans une lutte sans merci. 57% d'entre eux pensaient que les deux puissances mondiales étaient en guerre économique (47% que le monde l'était de manière générale, 46% pour les Etats-Unis et l'Union Européenne, 43% pour la Chine et les 27). Si à leur yeux la plupart des espaces géopolitiques étaient en conflit, seules l'Union Européenne et la France apparaissaient épargnées, malgré le BREXIT, les différends commerciaux, le mouvement des gilets jaunes et celui sur la réforme des retraites. Sans doute parce que, même s'ils étaient alors très partagés sur la question européenne, 50% d'entre eux pensaient que l'appartenance de la France à l'Union renforce leur protection, et 52% qu'elle apaise les tensions sociales. Pas étonnant alors, lorsqu'on leur demande sans leur citer de nom quel personnage vivant symbolise la guerre économique, ce soit le président américain qui arrive largement en tête (29%), très loin devant Vladimir Poutine ou Xi Jinping (1% pour chacun d'eux, soit 29 fois moins que le locataire de la Maison Blanche !). Face à lui, les dirigeants russe et chinois ne font pas le poids : le grand méchant, c'est Donald Trump. Pourtant, la Chine est également en guerre, pour preuve les nombreuses mesures de rétorsion vis-à-vis des Etats-Unis. Mais c'est Trump qui apparaît aux Français comme celui qui a déclenché les hostilités. De quoi ne pas les rendre sereins...

Les motifs d'inquiétude des français ne manquent pas. Attendu, dirait Alain Minc qui souligne souvent leur pessimisme légendaire - ils seraient « plus pessimistes que les Afghans » ! Mais quand même... en mars dernier, c'est sur tous les sujets quels qu'ils soient qu'ils se montraient plus inquiets que sereins. Nous n'étions alors qu'au début de la COVID-19 dont on savait peu de choses. L'OMS ne savait pas encore si on pouvait parler d'épidémie ou de pandémie. Qui se doutait à cette époque de l'ampleur de la crise économique à venir, et qui allait résulter de la crise sanitaire ? Pourtant, ils se montraient déjà inquiets autant sur des sujets proches qu'éloignés d'eux, tel un panachage de préoccupations nationales et mondiales. Les épidémies n'arrivaient alors qu'en 7è position. Cités dans l'ordre d'importance, pour ne prendre que les sept premiers, le dérèglement climatique les préoccupait pour 52 % d'entre eux, la mainmise des géants du numérique sur les données personnelles pour 48%, les migrations 46%, l'avenir des retraites 44%, la lutte entre les grands pays pour l'accès aux ressources naturelles 44%, les épidémies à égalité avec la reprise de la course aux armements pour 41% d'entre eux.

Et puis la déferlante de la COVID-19 est passée par là

L'épidémie et ses conséquences ont totalement bouleversé la hiérarchie des préoccupations de nos concitoyens. Si l'inquiétude s'est en règle générale légèrement tassée sur tous les sujets, c'est peut-être parce qu'il faut « composer avec », apprendre à « vivre avec », résignés sans doute à force de ne pas savoir. Après une longue période de confinement, puis de déconfinement, d'annonces d'une sinistre série de mauvaises statistiques et prévisions économiques (saluons au passage l'excellent travail de l'INSEE), de division de la communauté scientifique, est arrivée après une courte et bien étrange pause estivale une nouvelle période d'incertitude sur le moment et la puissance de la seconde vague, d'accélération précoce de l'épidémie, d'annonces de nouvelles mesures de fermetures d'établissements ou de reconfinement partiel. Mais les faits sont là : la hiérarchie des sujets d'inquiétude s'est profondément modifiée depuis mars.

Mondialisation, politiques à mener, Europe : comment la COVID-19 a changé l'état d'esprit des Français.

Si le réchauffement climatique reste en tête des sujets de préoccupations pour 45% d'entre eux, l'avenir des retraites passent du cinquième au second rang (43%), devant les migrations qui stagnent toujours à la troisième place. Les épidémies grimpent du septième au quatrième rang (38%), mais au quatrième rang seulement, juste devant la mainmise des géants du numérique qui perd onze points, rétrogradant de la seconde à la cinquième place. Qu'en est-il advenu de la lutte pour l'accès aux ressources, des différents commerciaux, de la course au leadership technologique, ou de  la reprise de la course aux armements ? Relégués en seconde zone, loin derrière. 
Les Français se sont visiblement recentrés sur les menaces pesant directement sur eux. C'est donc tout logiquement plus de protection qu'ils demandent désormais. Mais quelles protections et de qui les attendent-ils ?

Les difficultés d'approvisionnement en produits et équipements médicaux nécessaires à la maîtrise de l'épidémie ont été largement relayées dans les médias. La dépendance de nos économies nationales sur des produits stratégiques a mis en lumière les failles de la mondialisation. De plus, le fait que les gouvernements du monde, que ceux des pays membres de l'Union Européenne ont peiné à se coordonner, a contribué à développer l'idée qu'il ne fallait que miser sur le niveau national pour prendre les mesures nécessaires (voir à ce sujet le Policy Brief 77 de l'Ofce).

60% des français favorable au protectionnisme

C'est donc en toute logique que désormais 60% des Français sont en faveur du protectionnisme, alors qu'ils n'étaient que 51% en mars dernier. Un bond de 9 points en quelques mois et une baisse de 11 points pour les partisans du libre-échange passant de 46 à... 35%. Fait notable : les 18-24 ans, connus traditionnellement pour être en faveur de l'ouverture au monde, expriment une nette méfiance vis-à-vis du libre-échange : 11 points de moins. Ils ne sont plus que 49% à en être partisans, contre 60% en mars dernier. Les écarts se resserrent nettement puisque désormais 44% des très jeunes sont en faveur du protectionnisme contre 37 en mars. Quant aux 50-64 ans, ils le préfèrent de loin : 67% contre 59 % en mars. Un moyen, selon eux, de « protéger et développer les entreprises nationales » et de « relocaliser les productions ». L'adhésion au protectionnisme est non seulement  majoritaire dans l'ensemble de l'opinion, mais progresse quelle que soit la catégorie sociale : de 51 à 53% pour les CSP favorisées, de 56 à 61% pour les catégories défavorisées. Bref, le protectionnisme fait un tabac, et les français le demandent sans forcément savoir si et comment c'est réalisable.

Réorienter les politiques

Education, emploi, protection sociale, sécurité, santé, lutte contre les inégalités, pour ne citer que les six premiers, tels sont les domaines pour lesquels le seul niveau national apparaît aux yeux d'une majorité de français comme étant le plus efficace pour améliorer les choses, plus encore et dans plus de domaines en octobre qu'en mars dernier. Et ce serait bien plus si on lui agrègeait le niveau local. Un bond spectaculaire est remarquable concernant la lutte contre les inégalités, la sécurité ou la politique commerciale. Quant à l'Union européenne, elle n'apparaît jamais comme pouvant être le bon niveau décisionnel, à une exception près : la lutte contre l'instabilité financière (37% contre 26 en février pour l'UE, 36% contre 33 pour le niveau national, le niveau mondial s'effondrant de 35 à 22%). Mais ce n'est pas pour autant que l'Union est discréditée, car la demande que lui adresse les Français est bien là, une demande de changement de politique.

Réorienter les priorités de l'Union Européenne

Les quatre principales priorités que devrait avoir l'Europe pour les 10 ans à venir sont toute autre à l'automne que ce que les mêmes Français disaient au Printemps. Ainsi, développer une politique industrielle au niveau de l'Union pour qu'apparaissent de grandes

entreprises européennes devient l'objectif numéro un (28%, soit un point de plus), développer un modèle social européen est le second malgré une légère baisse de trois points (27%). Mettre en oeuvre un protectionnisme européen devient la 3è priorité (25% soit trois points de plus), et en quatrième approfondir l'intégration européenne avec un petit nombre de pays plutôt qu'à 27 (25% soit deux points supplémentaires). Que l'Europe redonne aux nations plus de souveraineté semble désormais nettement moins prioritaire, passant au cinquième rang (20% soit quatre points de moins). Qu'il semble loin le temps où le débat portait sur l'euro, les critères du Pacte de stabilité ou plus de politique de la concurrence (3% cite cette dernière comme devant être une priorité, en baisse de six points).

Nul doute que l'épidémie de la COVID-19 et l'incertitude liée à la crise sanitaire et économique ont donné une leçon aux Français. Leur état d'esprit s'est transformé. Légèrement moins mais encore majoritairement inquiets sur tout, convaincus que le monde est en guerre économique tout en en étant (pour combien de temps encore) préservés en Europe et en France, ils découvrent à l'occasion de la pandémie la dépendance du pays dans des ressources clés, vitales, stratégiques, et ils sont devenus majoritairement en faveur du protectionnisme, ou du moins d'une mondialisation mieux régulée. Et c'est vers l'Etat et l'Union Européenne qu'ils se tournent. Pour en faire plus ? Pas sûr. Pour en faire moins ? Certainement pas. Mais pour d'autres réformes structurelles que celles dont on leur parlait depuis des décennies. Reste à voir si ces évolutions de l'état d'esprit seront durables.

Dans cette histoire, tout laisse à penser que les médias ont bien fait leur boulot. Les Français, pourtant critiques à leur encontre, semblent bien informés. Par contre, leurs interprétations, leurs conclusions sont ce qu'elles sont : elles leur appartiennent.

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(*) Par Pierre-Pascal Boulanger, Président-fondateur du Printemps de l'économie

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