Crise des gilets jaunes  : le macronisme face à ses contradictions

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1014  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Un enseignement à tirer de la crise des gilets jaunes est que la stratégie de multiples réformes à petits pas voulue par Emmanuel Macron n'est pas payante. En choisissant d'augmenter les taxes au lieu de réduire le poids de l'Etat, le président n'a pas réuni les conditions pour favoriser le dynamisme économique de la France. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.

Après 10 années de croissance continue de la pression fiscale sur les classes moyennes, les dernières mesures « anti-automobile » ont déclenché un mouvement de protestation et de contestation du pouvoir sans précédent. Le 10 décembre, lors de son allocution télévisée, le président Emmanuel Macron a révélé une série de mesures visant l'amélioration du pouvoir d'achat des travailleurs à faible et moins faible revenu, à hauteur de 10 milliards d'euros ainsi que la suppression de la taxe controversée. Surfant sur la révolte des gilets jaunes contre la taxation excessive des classes moyennes, certains essayent de la transformer en révolte contre la redistribution supposée injuste de la richesse. Ces voix réclament notamment plus de taxes sur les revenus et patrimoines élevés, sur les grandes entreprises et le rétablissement de l'ancien ISF.

Un lien non linéaire

Il y a un lien entre redistribution des richesses et création de richesses, mais ce lien n'est pas linéaire. Un excès d'inégalités des revenus peut affaiblir la croissance, tout comme un excès d'égalitarisme, résultant d'un excès de charges sur les entreprises ou les hauts revenus. Dans un monde de mobilité des capitaux, la taxation excessive fait fuir les capitaux et les emplois que l'investissement aurait soutenus. Il nous apparaît que le problème de la France d'aujourd'hui n'est pas celui d'un déficit d'égalitarisme, mais son excès. En effet, en termes de création de richesse, la France est mal en point comparée à ses partenaires commerciaux.

Cela fait bientôt 20 ans que la France a rejoint l'euro et le nouveau souffle promis n'a jamais été au rendez-vous. Pendant ces vingt années, la France a doucement mais sûrement décroché vis-à-vis de ses partenaires traditionnels et l'examen des chiffres avec l'Allemagne et les Etats-Unis est inquiétant. Le PIB par habitant de la France en 2017 était de 42.600 dollars (38.600 en parité de pouvoir d'achat), contre 46.000 dollars (44.400) pour l'Allemagne, et 53.100 dollars (54.000) pour les Etats-Unis (données Trading Economics). Pour rattraper ce retard en création de richesse, il faudrait à la France entre six et sept ans d'une croissance de deux points de pourcentage supérieure à celle des Etats-Unis. S'il est vrai que la France compensait sa richesse par habitant plus faible par un taux de pauvreté plus faible, cela reste légèrement vrai face aux Etats-Unis mais pas face à l'Allemagne. De même, les salaires des travailleurs non-qualifiés sont inférieurs en France à ceux des Etats-Unis ou d'Allemagne (Trading Economics) où la distribution des revenus est plus égalitaire (Banque Mondiale). Enfin, le taux de chômage français est plus du double des taux de chômage allemand et américain (9% contre moins de 4%).

Des réformes mal expliquées

Le gouvernement actuel n'est bien sûr pas le seul responsable du décrochage de l'économie française. A son actif, il a tenté de mettre en place des mesures destinées à alléger le carcan de règles et le poids des taxes qui freinent la croissance des entreprises et donc de l'emploi. Si ces réformes vont dans la bonne direction, outre d'être timides et largement insuffisantes, elles ont été plutôt mal expliquées par ce gouvernement dont la communication n'est pas le point fort. De plus, des réformes structurelles urgentes comme la réforme du code du travail, que le gouvernement avait su accompagner, sont mises en danger par des décisions budgétaires brutales, comme la taxe sur les carburants, insuffisamment expliquées et qui pouvaient attendre. En revanche, le gouvernement n'a pas osé remettre en cause des facteurs clefs comme les 35 heures, la protection excessive du CDI ou le salaire minimum unique. Les syndicats ont eu gain de cause sur l'inversion des normes ou la gestion de l'assurance chômage, perpétrant ainsi une organisation du travail inefficace, dont les origines corporatistes remontent à la seconde guerre mondiale.

On a cru qu'Emmanuel Macron allait réussir à ramener la France à un déficit inférieur à 3% du PIB, mais il semble que ça ne sera pas le cas avec ces 10 milliards de dépenses supplémentaires. Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, n'a mis en place aucune mesure crédible de réduction des dépenses publiques alors que son niveau est excessif, équivalent à 56,4% du PIB, et est le plus élevé des économies avancées. Pour le réduire, il aurait fallu profondément réorganiser l'Etat en sortant de la sphère publique plusieurs activités, tout en renforçant les fonctions régaliennes. Tout particulièrement le gouvernement s'est refusé à s'attaquer aux dépenses de fonctionnement excessives de l'Etat qui représentent un tiers des dépenses et sont pointées du doigt par la Cour des Comptes.

La réforme des retraites tarde à être lancé

De même, il n'a pas lancé de réforme courageuse des retraites. Sans contester la réalité de certaines retraites modestes, il faut savoir que le montant moyen des retraites en France est parmi les plus élevés des pays de l'OCDE et l'âge effectif de départ à la retraite des hommes est le second le plus faible devant le Luxembourg (données OCDE, 2017).[1] Le poids des dépenses publiques de retraite dans le PIB est de 14,9% en moyenne sur 2013-2015, comparé à 10% pour l'Allemagne.

La crise des gilets jaunes révèle que la stratégie de multiples réformes à petits pas, sans réduction du poids de l'Etat et accompagnée d'augmentation des taxes n'a pas permis au pays de retrouver son dynamisme économique. Pire encore, cet échec risque de compromettre le message réformateur que portait Emmanuel Macron et ouvre la porte au discours populiste redistributif d'une richesse qui ne risque pas de croître si les préconisations des populistes sont mises en œuvre.

[1] https://www.oecd.org/els/emp/average-effective-age-of-retirement.htm Panorama des pensions 2017. Les indicateurs de l'OCDE et du G20 DOI:https://doi.org/10.1787/pension_glance-2017-fr