Croissance net zéro ou décroissance, que choisir  ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1400  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)
OPINION. La COP27 débute en Egypte dans un contexte économique international dominé par la persistance de l'inflation et les risques de récession. Si ces problèmes devraient se résoudre à moyen terme, il n'en est pas de même de celui du dérèglement climatique. Deux visions s'affrontent: l'une considère qu'il faut changer l'organisation économique actuelle, l'autre, au contraire, juge que la solution passe par le marché et les entreprises. Quant aux responsables politiques, au delà des discours, ils manquent d'ambition pour relever réellement le défi climatique. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.

L'Europe s'apprête à traverser une période économique difficile dans les mois à venir. Certains pays européens sont déjà entrés en récession. Si la plupart des pays devrait y échapper, ils n'échapperont pas à une période de faible croissance. En revanche, tous les pays vont subir une période de plusieurs semestres d'inflation élevée. La baisse de pouvoir d'achat qu'elle engendre s'est imposée comme le problème numéro 1 de nos concitoyens et donc de nos dirigeants.

Cette période de récession et d'inflation élevée reste un problème conjoncturel au contraire du réchauffement climatique qui lui est un problème structurel de très longue période. Nos dirigeants ont à traiter simultanément les deux problèmes sachant que si le problème de pouvoir d'achat est le plus aigu actuellement, il va se résoudre. Le ralentissement économique orchestré par les politiques monétaires restrictives des banques centrales va finir pas réussir à ramener l'inflation à 2%. Le gaz russe va finir par être remplacé par d'autres alternatives et le choc d'offre né du Covid-19 va finir par disparaître.

Nécessité de politiques fortes et volontaristes

En revanche, la stabilisation du réchauffement climatique ne va pas se résoudre d'elle-même. Elle nécessite des politiques fortes et volontaristes qui passent malheureusement au second plan actuellement avec la réouverture en urgence des centrales à charbon et les aides publiques à la consommation d'énergie fossile. Cette pause est inquiétante car la décarbonation de l'économie est en retard pour l'atteinte de l'objectif des accords de Paris. Après la conférence de Glasgow de novembre 2021 et les différents engagements des pays, des organisations internationales et des organisations industrielles, il restait encore entre 17 et 20 gigatonnes de carbone en trop émises dans l'atmosphère conduisant les températures vers 2,4° en 2100, loin au-dessus de l'objectif de 1,5 degrés.

S'il y a consensus sur la lutte contre le réchauffement climatique, de nombreuses divergences subsistent quant aux moyens d'y arriver.

En effet, certains considèrent qu'il faut changer l'organisation actuelle des sociétés occidentales et rejettent les solutions qui permettraient de garder le mécanisme d'économie de marché intact mais à zéro émission de carbone. Ils jettent le masque lorsque fleurissent les solutions de capture de carbone et affirment que le carbone et le réchauffement ne sont qu'une partie d'un problème plus vaste de surcroissance, surconsommation, surpopulation et d'épuisement des ressources, eux-mêmes inhérents au capitalisme.

A l'opposé, d'autres se focalisent uniquement sur le carbone et le réchauffement qui en découle et y voient l'avenir de l'économie de marché. Leur conviction est que le système d'économie de marché est le seul capable de mobiliser et guider l'intérêt individuel vers le bien commun, qui inclut dorénavant la transition énergétique, si les bonnes contraintes et les bonnes incitations sont appliquées. Ainsi, l'imposition d'une taxe sur la production de carbone ou l'existence d'un marché des droits d'émission de carbone représentent une solution simple dans son principe. Elle assurerait la décarbonation sans interférer avec la liberté de tester plusieurs solutions (technologies de batterie, hydrogène, solaire, éolien, fusion nucléaire) pour ne garder que celles qui émergeront comme les meilleures de la bataille concurrentielle.

Internaliser l'externalité

En l'absence d'externalités, l'intervention de l'État vise à assurer la concurrence qui suffit à mener le système vers le maximum d'efficacité. En présence d'externalités de production et de consommation, l'État doit utiliser le levier démocratique pour rendre chaque agent conscient de son vrai impact sur l'environnement. Plus précisément, dans le cas du réchauffement climatique, l'État doit déterminer le coût que chaque tonne supplémentaire de carbone émise impose sur la société, toutes générations confondues, et présenter la facture à ceux qui émettent du carbone. Ainsi l'externalité est internalisée et les agents peuvent mobiliser toutes leurs ressources pour identifier des moyens alternatifs de production et de consommation à faible ou zéro impact. De nombreuses études ont pu évaluer ce coût social du carbone, dont le rapport Stern-Stiglitz pour la Banque Mondiale en 2017.

Pour ceux qui considèrent que le réchauffement climatique est consubstantiel à l'économie de marché tout en ne constituant qu'une de ses détestables manifestations, la seule solution est de limiter autoritairement la production de carbone via une nouvelle planification. Des comités de fonctionnaires mandatés par l'État auraient autorité pour déterminer les activités essentielles et non-essentielles (façon crise du Covid-19 à la française) et les produits et services autorisés ou non à la consommation. Le débat sur l'éclairage des chef-d'œuvre architecturaux, sur l'opportunité d'organiser des compétitions sportives, sur les véhicules de type SUV ou les jets privés est révélateur de cette volonté de contrôle et d'interdiction. La délivrance d'autorisation d'utilisation de biens et services générateurs de carbone se ferait après soumission d'un bilan carbone détaillé et d'un rapport sur l'importance sociale de l'activité, assorti d'un plafond carbone à ne pas dépasser. Consommation solidaire, décroissance équitable et sobriété constituent les objectifs à définir par les autorités et remplacent consommation et production issues spontanément de la quête individuelle du bien-être et du profit.

Le bien public dépend aussi de services publics qui génèrent du carbone

Il y a beaucoup de posture dans cette logique d'interdiction puisque ceux qui les réclament savent parfaitement que c'est complètement inapplicable. Fustigeant les entreprises et les riches, ils feignent d'ignorer que si le bien public dépend du climat et de l'environnement, il dépend aussi des autres services publics. La santé, l'éducation, la sécurité, la construction de logements sociaux, la culture, le sport, sont des services publics dont la production génère du carbone sans finalité de profit. De même, la mise au pilori des entreprises se fait en feignant d'ignorer l'ensemble des parties-prenantes. Les entreprises ne sont pas que des repaires d'actionnaires et de dirigeants surpayés. Elles sont également le lieu où les citoyens s'intègrent socialement, acquièrent leur autonomie budgétaire et déploient leurs talents au service de l'ensemble. Enfin, c'est l'entreprise qui est le principal vecteur de progrès économique et d'innovation au service du bien commun. La principale innovation dans la lutte contre le Covid-19 fut emmenée par le secteur privé dans une dynamique mixte de recherche du profit et de bien public.

Entre les deux camps il y a les politiques, l'œil sur les élections et leur popularité ce qui les amènent à prendre des postures fortes contre le réchauffement. A ce jour, aucun gouvernement européen ne semble nostalgique du planisme à l'ancienne et les interdictions ont plutôt une visée symbolique comme l'éclairage des vitrines la nuit. En même temps, ces mêmes gouvernements évitent l'adoption de mesures économiques fortes. La plupart des modèles économiques considèrent que le montant minimum d'une taxe carbone efficace devrait avoisiner 100 euros/tonne de carbone, et devrait s'appliquer à l'ensemble des émissions. Le marché européen du carbone ne couvre qu'environ 40% des émissions. Le prix des droits d'émission y est monté jusqu'à 100 euros la tonne de CO2, ce qui est encourageant, mais est retombé à 70 euros la tonne de CO2 après l'émission de 200 millions de crédits carbone supplémentaires par l'Union européenne après l'invasion de l'Ukraine. Cette faiblesse des mesures prises par les politiques risque de faire le lit de solutions administratives simplistes, visibles mais aussi peu efficaces que discriminantes.

Selon un sondage de l'institut OpinionWay pour le compte d'AXA Prévention en septembre 2021, 85% des Français disent être prêts à changer certaines habitudes pour contribuer à la baisse des émissions. En septembre 2022, nous avons sollicité le même institut de sondages pour demander aux Français s'ils estiment qu'il est dans l'intérêt de la société de voir le prix des combustibles fossiles augmenter davantage que le prix des autres biens sur les dix années à venir. Seulement 11% ont répondu par l'affirmative (14% pour les diplômés du supérieur). Il y a encore du chemin à faire pour aller au-delà  des bonnes intentions.