
Parce qu'elle a été la marraine de la COP21 en 2015, la France endosse une responsabilité toute particulière au sein des conférences internationales pour le climat, même si elle négocie désormais au sein du groupe des pays de l'Union européenne et non à l'échelle nationale. La COP27, qui a ouvert ses portes hier à Charm el-Cheik, en Egypte, ne déroge pas à la règle. Ce lundi, Emmanuel Macron a assuré vouloir « mettre la pression » sur « les pays riches non européens » et notamment les Etats-Unis pour qu'ils payent leur part pour aider les pays pauvres face au changement climatique.
Lire aussiClimat : les cinq sujets brûlants de la COP27
En effet, dès 2009, les pays riches se sont engagés à verser, dès 2020, 100 milliards de dollars par an pour aider les États moins développés à baisser leurs émissions de gaz à effet de serre et à s'adapter aux effets du dérèglement climatique. Or cet engagement est loin d'être tenu. En 2020, ce montant a plafonné à 83,3 milliards, selon le dernier bilan de l'OCDE et l'objectif devrait désormais être atteint en 2023 seulement.
Un rythme de réduction des émissions insuffisant
Pour jouer ce rôle moteur, la France mise beaucoup sur son exemplarité. « Le premier message qu'on voudra délivrer à cette COP27, c'est que, à la fois en France et en Europe, on fait le travail », explique ainsi l'Elysée. L'entourage du chef de l'Etat soulignant l'importance de venir à cette conférence internationale « avec des résultats concrets sur nos émissions de gaz à effet de serre [GES] et sur la protection de la biodiversité », rappelant que nous sommes attendus en tant que « Français » et en tant qu'« Européens ».
Alors qu'en est-il vraiment ? La France est-elle un si bon élève en matière climatique ? L'exécutif se targue notamment d'une baisse de 10% des émissions de GES lors du précédent quinquennat, soit une moyenne de 2% par an pendant cinq ans, contre une baisse annuelle de 1% lors de la décennie précédente. Reste que cette baisse, qui a permis de respecter le budget carbone de la France entre 2019 et 2021, reste insuffisante comme le soulignait récemment le Haut conseil pour le climat. En effet, ce respect est « principalement dû à l'effet du Covid », qui a considérablement ralenti l'activité économique, mais aussi à un « relèvement du plafond de ce budget lors de sa révision, en 2019 », pointait le Haut conseil pour le Climat.
La France est aussi pointée du doigt pour son ambition « obsolète » en matière de réduction de ses émissions.
« L'Union européenne a réhaussé ses ambitions et vise désormais une réduction de 55% de ses émissions à l'horizon 2030 par rapport à 1990, mais la France reste elle avec une ambition obsolète de -40% à l'horizon 2030 et elle n'a pas encore formalisé comment elle allait intégrer la nouvelle ambition de l'UE à l'échelle nationale. Quelle part de cet effort va-t-elle prendre ? Ce n'est pas encore clair », pointe Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Une ambition de -40% obsolète
De quoi pousser certaines ONG à qualifier la France « de dilettante vis-à-vis de l'Accord de Paris » ou encore de parler de « déficit climatique du côté français ». La France devrait toutefois mettre très prochainement à jour sa nouvelle cible puisque celle-ci doit figurer dans la future loi de programmation sur l'énergie et le climat dont l'examen est prévu au second semestre 2023.
La nouvelle cible fixée par Bruxelles « implique un doublement du rythme annuel de réduction » dans l'Hexagone, avait affirmé Corinne le Quéré, la présidente du Haut Conseil pour le Climat, qui appelle à un « sursaut ». L'exécutif table sur son vaste plan de planification de la transition écologique pour justement passer à un rythme de réduction annuel de -4%.
Le nouvel objectif tricolore de baisse des émissions devrait, quant à lui, se situer aux alentours de -52% tandis que des pays comme le Danemark, l'Allemagne et la Suède apparaissent plus ambitieux avec des cibles respectives de -70%, -65% et -63%.
Claire sur la sortie du charbon
Emmanuel Macron espère aussi convaincre les pays émergents de sortir très vite du charbon. Un exercice délicat à l'heure où plusieurs pays européens, dont l'Hexagone, ont prévu de recourir temporairement à la roche noire pour produire de l'électricité cet hiver afin de faire face au tarissement du gaz russe.
Plus largement sur la question des énergies fossiles, la France est plutôt bonne élève et claire sur ce point. Elle a décidé dès 2017 d'interdire l'exploitation d'hydrocarbures sur le territoire national et elle ne soutient plus financièrement de projets d'exploitation d'énergies fossiles avec des subventions publiques, rappelle l'Elysée. La France participe également aux côtés d'autres pays occidentaux à un partenariat visant à aider l'Afrique du Sud à sortir du charbon, tout en accompagnant la reconversion de son tissu économique.
Sur la question de la finance climatique et de l'aide à destination des pays pauvres, qui sont en première ligne des effets dévastateurs du changement climatique alors qu'ils y ont très peu contribué, la France se présente aussi comme une très bonne élève. « La France est championne de l'adaptation au niveau international. On est reconnu pour ça », affirme l'Elysée. Dans les faits, l'Hexagone s'est engagé à verser 6 milliards d'euros par an jusqu'en 2025 à destination des pays pauvres. « Cette cible est tenue. Et sur les 6 milliards, on est déjà à un tiers d'adaptation, c'est-à-dire plus de 2 milliards », précise encore l'Elysée.
Finance climatique : grande contributrice, mais peu de dons
« La France est un des plus gros contributeurs après le Japon et l'Allemagne. Elle contribue près de deux fois sa 'juste' part à l'effort de la finance internationale pour le climat, confirme Lola Vallejo. Mais à 85% sous forme de prêts, qui pèsent sur les budgets des récipiendaires, ce qui peut être une des critiques adressées par la scène internationale », note la spécialiste en s'appuyant sur les données de Fair Share.
« Du côté des pays européens, les Pays-Bas ont historiquement beaucoup œuvré pour élever politiquement ces questions d'adaptation. C'est un pays très plat où la question de la gestion des inondations est vraiment majeure. Historiquement, ils ont une vraie expertise et capitalisent dessus à l'international », ajoute Lola Vallejo. Leur Premier ministre a ainsi reçu plusieurs chefs d'Etat africains à l'occasion d'un sommet dédié à l'adaptation tandis qu'aucun autre chef d'Etat européen n'était présent.
Par ailleurs, la France ne semble pas figurer parmi les pays européens les plus allants sur un mécanisme de compensation dédié aux « pertes et dommages » sur lequel les pays pauvres ont pourtant énormément d'attentes. « Ce sujet des pertes et préjudices a été mis pour la première fois sur la table il y a 30 ans. Cela désigne les conséquences irréversibles du changement climatique. Lorsque s'adapter ne sert plus à rien », expliquait récemment à La Tribune, Fanny Petitbon de l'ONG Care.
Frileuse sur la question des « pertes et dommages »
Le coût économique de ces pertes pourrait s'élever à 580 milliards de dollars par an en 2030, mais jusqu'à présent les pays développés ont refusé d'accepter un texte qui reconnaîtrait leur responsabilité et pourrait, de fait, avoir des conséquences légales. Ce dossier, très épineux, a été mis à l'ordre du jour de la COP27 in extremis. La France explique avoir une « position ouverte » sur le sujet, mais semble réticente à la mise en place d'une « nouvelle facilité financière ». « L'argent existe déjà dans d'autres fonds, on a besoin de travailler sur des solutions », explique l'Elysée en mentionnant le système d'alerte précoce ou encore des solutions assurantielles. L'entourage d'Emmanuel Macron souligne ainsi « que le financement de la prévention et de la résilience permet de réduire massivement les pertes et dommages ».
Reste que de leurs côtés, les pays pauvres attendent la mise en place d'un fonds dédié. « On peut penser que la demande des pays pauvres et en développement d'avoir un fonds séparé pour les pertes et dommages réside dans une volonté de lisibilité, afin de ne pas mettre une étiquette différente sur des fonds déjà existants », explique Lola Vallejo. La spécialiste rappelle que « le risque de détachement par rapport au multilatéralisme est très élevé ». « L'épreuve de solidarité va donc être très importante », prévient-elle.
Sujets les + commentés