Énergie éolienne : halte aux caricatures !

Par Geoffroy de Clisson  |   |  1911  mots
(Crédits : Reuters)
Le pamphlet contre l'énergie éolienne de Pierre Dumont et Denis de Kergorlay "Éoliennes : chroniques d'un naufrage annoncé" (éditions François Bourin) a reçu un bon accueil dans la presse. Pourtant il caricature son sujet. Les enjeux de la transition énergétique, qui sont multiples et doivent être traités avec un minimum de probité intellectuelle, méritent mieux. Par Geoffroy de Clisson, président de l'Institut Walden pour la Transition énergétique.

Depuis quelques semaines, une partie de la presse relaye avec intérêt les thèses d'un livre présenté comme « accablant », dans lequel Pierre Dumont et Denis de Kergorlay dénoncent la multiplication des éoliennes qui « défigurent nos paysages et plombent notre économie ». Les auteurs reprochent aux pouvoirs publics leur « faiblesse coupable » et dénoncent avec vigueur le cynisme du « lobby éolien ». Nous trouvons dans la presse écrite de larges extraits de ce « réquisitoire à lire d'urgence » tant il brille, lit-on, par « la rigueur de sa logique » et par ses « enchaînements implacables ».

Nous réagissons d'abord sur le fond du livre de Pierre Dumont et Denis de Kergorlay, si tant est que nous puissions parler de fond tant les arguments avancés par les deux auteurs sont de la banale platitude que nous laissait craindre un titre sans nuance : Eoliennes, chronique d'un naufrage annoncé.

Comme trop souvent, malheureusement, dans les ouvrages qui tentent d'emporter l'adhésion en pariant sur l'indignation du lecteur, la partialité des auteurs se dissimule péniblement derrière une logique argumentative qui relève la plupart du temps de la pure improvisation scientifique. L'argumentation s'articule de la manière suivante : (i) les éoliennes sont une atteinte grave au paysage et à la préservation du patrimoine français, (ii) leur implantation procède d'une logique arbitraire (si ce n'est délibérément destructrice du paysage) et anti-démocratique (iii) la colère gronde et l'opposition des riverains monte, (iv) les éoliennes sont des aberrations techniques et économiques (v) leur développement sur le territoire français est dû au très puissant lobby éolien qui influence le gouvernement et corrompt les élus.

Convenons en préambule que la question de l'esthétique des éoliennes et de leur intégration dans le paysage mérite d'être débattue. Le problème, cependant, ne s'applique pas uniquement aux éoliennes mais aux infrastructures en général : routes, ponts, antennes, pilonnes, centrales électriques... Il est vrai, toutefois, que les éoliennes dépassent aujourd'hui souvent les 150 mètres de hauteur et sont par conséquent visibles à plusieurs kilomètres à la ronde. Il ne s'agit donc pas ici d'écarter la question de leur intégration dans le paysage mais, au moins faut-il signaler qu'en la matière, des progrès significatifs ont été fait depuis les débuts de l'éolien. De fait, Pierre Dumont et Denis de Kergorlay se gardent bien de signaler, par exemple, que les éoliennes situées sur « les belles falaises calcaires du pays de Caux si chère à Maupassant » ont été développées et mises en service en 2006 par EDF - qu'on ne peut soupçonner d'appartenir aux lobbys éoliens‒ dans un contexte où l'éolien, alors très peu développé en France, ne faisait pas encore l'objet d'une réglementation très stricte des services de l'Etat. Rappelons que le processus de développement d'un projet éolien mobilise les riverains et les élus locaux pendant plusieurs années, fait l'objet d'une enquête publique, nécessite l'accord des autorités environnementales et la consultation de plusieurs commissions paysagères (commission départementale nature paysages et sites, architectes et bâtiments de France, commission régionale du patrimoine et de l'architecture...). Le développement d'un projet éolien s'étale aujourd'hui en moyenne sur plus de dix années en France, contre environ quatre ans en Allemagne. Par ailleurs, moins de 10 % du territoire français est éligible aux critères d'implantation de l'éolien terrestre. On est donc bien loin de la profusion anarchique que dénoncent Pierre Dumont et Denis de Kergorlay. On s'interroge d'ailleurs sur la probité intellectuelle des auteurs lorsque, faisant preuve d'une indignation à géométrie variable, ils dénoncent le massacre paysager que constituent selon eux les parcs éoliens d'Honfleur et de la Veulettes-sur-Mer, en omettant de mentionner la présence quelques kilomètres plus loin de la centrale nucléaire de Paluel, qui surplombe ces mêmes falaises « sauvages ».

Faire « gronder la colère »

L'objectif, on l'aura compris, est de susciter le mécontentement, de faire « gronder la colère », celles des riverains, d'abord, qui, à en croire les auteurs, manifestent une opposition croissante contre les éoliennes qui « menacent leur environnement et leur santé », mais aussi celles de Français en général, « révoltés par le saccage de leurs paysages et le gaspillage des deniers publics ». Rien, malheureusement, ne vient étayer ce discours. En 2016, un sondage Ifop commandé par la France Energie Eolienne indiquait que 75 % des riverains et 77 % des Français avaient une image positive de l'éolien. En 2018, dans un sondage Harris interactive également commandé par la FEE, nous apprenons encore que 80 % des riverains et 73 % des Français ont une bonne image de l'énergie éolienne. On arguera peut-être que ces études, commandées par un syndicat professionnel éolien n'ont aucune valeur. A supposer que ce soit le cas, cela n'autorise pas pour autant les détracteurs de l'éoliens à affirmer l'inverse de ce qu'elles démontrent.

Intéressons-nous désormais à la partie « technique » de l'analyse. L'éolien est, selon Pierre Dumont et Denis de Kergorlay une aberration économique, couteuse et inefficace. Ainsi déclarent-ils par exemple que l'éolien terrestre produit une électricité à 82 €/MWh, soit deux fois le coût de production du nucléaire amorti. Signalons d'emblée que la Cour des Comptes, qui n'est pas connue pour sa partialité, estime en 2016 que le coût réel de l'énergie nucléaire se situe aux alentours de 60 €/MWh pour le nucléaire amorti, cette estimation ne tenant que très partiellement compte des coûts de démantèlement (dont personne aujourd'hui, pas même EDF, n'est capable d'estimer le montant) et des coûts de traitements de la filière déchets. Signalons encore que le parc nucléaire français est vieillissant et qu'en dépit des prolongations successives de la durée de vie des réacteurs, des tranches entières finiront par sortir du mix énergétique français pour obsolescence dans les dix à vingt prochaines années. En dépit de l'amélioration continue de l'efficacité énergétique des bâtiments et du développement concomitant des réseaux intelligents, ces tranches devront être remplacées par d'autres capacités de production, nucléaires, renouvelables ou fossiles. Aujourd'hui, les nouvelles centrales nucléaires développées par EDF (Flamanville en France, Hinkley Point en Angleterre, Olkiluotto en Finlande) accusent près de dix ans de retard (Flamanville et Olkiluotto), ont couté en moyenne près de trois fois leur budget initial et produiront une électricité dont le coût de revient sera supérieur à 120 €/MWh, soit près de deux fois le tarif moyen de l'éolien terrestre lors du dernier appel d'offres (65,4 €/MWh). Certes, dans un scénario 100 % renouvelable il faudrait, pour répondre à l'intermittence des énergies renouvelables, prévoir des capacités de stockage. Le coût au MW de ces capacités cependant s'effondre en suivant un rythme comparable à celui de l'effondrement des coûts de production de l'énergie solaire durant ces dix dernières années (le coût moyen de l'énergie solaire au sol supérieur à 300 €/MWh il y a 10 ans était de 52,1 €/MWh lors du dernier appel d'offres). L'énergie éolienne est donc très loin d'être une « aberration économique » défendue par quelques illuminés écologistes dogmatiques et relève d'un choix stratégique de politique énergétique dont les objectifs sont actuellement débattus dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Quant à l'argument « choc » selon lequel l'éolien ne produirait en moyenne qu'à 24 % de sa capacité, il doit être mis en perspective avec les 12,5 % du solaire photovoltaïque (qui n'a pas l'air de déranger les auteurs) ou encore avec les 30 % d'efficacité électrique du cycle nucléaire ou des centrales au gaz. De fait, près des deux tiers de l'énergie produite par une centrale nucléaire est perdue. La pertinence économique des énergies doit être mesurée par leur coût global de production et non par la comparaison entre leur production effective et leur capacité ou à l'efficacité énergétique de leur cycle.

Que faire du risque sanitaire?

Admettons. Mais alors que faire du risque sanitaire ? Les éoliennes, nous assure-t-on sont dangereuses pour la santé. On compare d'ailleurs volontiers, en l'absence de toute étude sérieuse sur le sujet, leur supposée nocivité à celle du tabac ou des OGM. Certes, 7 % des riverains se disent gênés par le bruit des éoliennes, mais là encore, des progrès ont été faits et les bridages acoustiques deviennent de plus en plus systématiques. Selon un arrêté de 2011, les éoliennes ne doivent pas rajouter au bruit ambiant si ce dernier est supérieur à 35 décibels (dB), plus de 5 dB le jour et 3 dB la nuit, à une distance de 500 mètres. Aujourd'hui, une éolienne à distance minimum obligatoire d'une habitation produit environ 30 dB ce qui équivaut au bruit existant dans une chambre à coucher.

Enfin vient l'argument financier, celui qui souvent s'intègre dans une théorie plus générale du complot. L'énergie éolienne, affirme-t-on d'un ton péremptoire, « donne lieu à des montages financiers souvent opaques qui ne profitent qu'à un petit nombre d'initiés ». Voilà qui assurément aiguise notre curiosité. Des montages financiers opaques ? Des dessous de table ? Un nouveau terrain de pétanque pour la mairie ? Une salle des fêtes flambant neuve ? Et tout ça sur le dos des Français qui, nous dit-on, supportent le coût de cette politique irresponsable « par leurs impôts et par les taxes perçues sur les factures d'électricité » ? Que les Français se rassurent, ils payeront aussi le prix du démantèlement des centrales nucléaires, et fort cher. Cela n'aura rien à voir avec le « lobby » éolien dont l'influence, au même titre que celle du « lobby » solaire, est au demeurant très exagérée. Cette dénonciation très virulente, pour ne pas dire outrancière de ces « lobbys » (qui sont en réalité des syndicats professionnels), est d'ailleurs curieuse de la part de Denis de Kergorlay, président du Cercle de l'Union de l'interalliée, club parisien très fermé dans lequel on retrouve notamment les dirigeants de la plupart des grandes entreprises françaises et des personnalités politiques de premier plan. Nul doute, par conséquent, que le Comte de Kergorlay s'y connaisse en lobby.

Entendons-nous bien, il ne s'agit pas ici de faire le procès de l'énergie nucléaire ou d'opposer les énergies les unes aux autres. Nous sommes aujourd'hui engagés dans un processus de transition dont les enjeux sont multiples et complexes et qui ne peuvent en tout état de cause se réduire aux visions caricaturales et aux contre-vérités relayées par le livre de Pierre Dumont et Denis de Kergorlay. Qu'une certaine presse se fasse l'écho de ce genre d'ouvrage sans aucune précaution oratoire ni recul critique doit nous interpeller et nous inquiéter. La transition énergétique est un sujet trop important pour être abandonné aux querelles idéologiques et aux conceptions féodales de l'aménagement du territoire. Les enjeux de la transition énergétique sont multiples et doivent être traités avec l'objectivité et la probité intellectuelle dont nous sommes collectivement capables. Nous espérons que la France sera à la hauteur de ce défi !