Eviction du gaz dans les logements neufs : pourquoi l'Europe doit suivre la France

Par Jean-François Moreau (*)  |   |  814  mots
Le mois dernier, la Commission européenne a encore démontré, en l'espace de 24 heures, l'incohérence de son action pour le climat. L'UE annonçait d'abord une baisse de 60 % des émissions carbone d'ici 2030 et, le lendemain, informait d'un vote de subventions en faveur du gaz naturel. (Crédits : Kacper Pempel)
OPINION. La France, qui a dévoilé les contours de la future réglementation environnementale française, signe la fin des bâtiments neufs chauffés au gaz. Une excellente nouvelle pour la planète. Alors qu’il pollue presque autant que le charbon, le gaz naturel trouve pourtant encore sa place dans les politiques de subvention européennes. Par Jean-François Moreau (*)

À moins de trois décennies d'un objectif de neutralité carbone partagé par l'immense majorité des nations, cela pourrait paraître évident. Alors que l'urgence climatique frappe à notre porte et inflige à notre planète méga-incendies, tempêtes et épisodes caniculaires à répétitions, l'abandon de combustibles fossiles extrêmement polluants au profit d'énergies décarbonées à l'impact quasi-nul sur l'environnement ne devrait plus faire débat. Et emporter tous les suffrages, quelles que soient les appartenances politiques, les contraintes économiques ou les habitudes locales. Pourtant, en cette fin d'année 2020, les énergies fossiles ont toujours de l'avenir en Europe. Malgré le fameux Grenelle de l'environnement qui entrera dans sa quinzième année fin 2021. Malgré l'Accord de Paris qui a fait rayonner l'Hexagone à travers le monde. Malgré le nouveau pacte vert pour l'Europe qui veut faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique.

Le mois dernier, la Commission européenne a encore démontré, en l'espace de 24 heures, l'incohérence de son action pour le climat. L'UE annonçait d'abord une baisse de 60 % des émissions carbone d'ici 2030 et, le lendemain, informait d'un vote de subventions en faveur du gaz naturel. Car à Bruxelles, on vise surtout la diminution des consommations d'énergies, via une meilleure efficacité énergétique, plutôt que celle des émissions de CO2. Or, en l'absence d'une baisse de la demande et d'un développement suffisamment rapide des énergies renouvelables,  les gisements d'économies ne sont pas illimités.

Le gaz passe par la grande porte en Europe

La duplicité de l'UE se retrouve d'ailleurs dans la décision, début novembre par les commissions Budget et Environnement du Parlement européen d'augmenter le seuil de dépenses du plan de relance en faveur du climat et de la biodiversité de 30 à 40 % à partir de 2026. Et quand, dans le même temps, les hydrocarbures ne sont pas explicitement exclus des financements dit « verts »... Le 16 septembre dernier, les députés européens ont même inclus les projets de gaz naturel parmi ceux pouvant recevoir des subventions dans des régions dépendantes d'énergies encore plus polluantes. « Une trahison pour la jeune génération », a réagi Silvia Pastorelli de Greenpeace, qui accuse les eurodéputés de « laisse[r] les lobbyistes (des hydrocarbures) écrire les règles ». « Tout en déclarant l'urgence climatique, ils ouvrent les vannes pour davantage de subventions européennes à la rescousse des énergies fossiles », concourt Markus Trilling de Climate Action Network. Manque de vision à long terme ou cadeau pour l'industrie fossile : qu'importe, l'erreur pourrait être fatale pour la planète ! Car le gaz naturel, ce combustible extrait à plusieurs hectomètres sous des sols souvent inhospitaliers et transporté à travers le globe pour finir brûlé par le consommateur final, est bien plus polluant que ne laisse paraître sa réputation de « moindre mal ».

La RE2020 reste fidèle à son objectif bas carbone

En matière d'émissions de CO2, le GN est certes un peu moins polluant que les autres combustibles les plus utilisés dans le monde, avec respectivement 227 grammes d'équivalent CO2 par kWh, contre 325 pour le fioul et 380 pour le charbon, d'après les calculs de l'ADEME. Il émet cependant près de deux fois plus de CO2 que toutes les énergies décarbonées réunies (photovoltaïque, géothermie, hydraulique, éolien et nucléaire). Et dissimule un autre défaut de taille : les fuites de méthane, au pouvoir d'effet de serre 28 à 36 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur un siècle. À eux seuls, les rejets de méthane du secteur des hydrocarbures, principalement lors de l'extraction et du transport, sont responsables de 6 % des émissions totales de GES dans le monde.

De quoi, pour le gaz naturel, faire jeu quasiment égal avec le charbon en termes de pollution. Alors, disons-le une bonne fois pour toutes : non, le gaz naturel n'est pas une énergie de transition acceptable pour lutter contre le réchauffement climatique ! Et si son lobby fait de la résistance à l'échelle européenne, il n'est pas non plus en reste en France, où la filière gaz a tout tenté pour se maintenir dans les politiques de bâti neuf. Et d'élaborer un dispositif du nom de Méthaneuf visant à autoriser la construction de logements chauffés au gaz naturel en échange d'une contribution financière à des projets de biométhanisation. Une tentative de « passer par la fenêtre » qui serait revenu, ni plus ni moins, à acheter un « droit à polluer » le parc immobilier français pendant les prochaines décennies. Nous ne pouvons que saluer la décision ferme du Gouvernement, qui entérine la disparition progressive des logements neufs chauffés au gaz. Un exemple à suivre pour toute l'Europe.

_______

(*)  L'auteur intervient après la révélation des arbitrages du Gouvernement concernant la RE2020, réglementation environnementale des bâtiments neufs.