Matthieu Lassalle : “Primagaz a un vrai rôle à jouer dans la transition énergétique des territoires”

ENTRETIEN. Primagaz s'est fixé pour objectif de distribuer 100% de biogaz liquides à ses clients à l'horizon 2040. Son PDG, Matthieu Lassalle, défend la place de ces gaz dans la transition énergétique, aussi bien pour l'habitat que pour les mobilités, dans un pays où la culture de l'électricité est très forte. Il plaide pour une taxation du biopropane alignée avec son empreinte carbone.
Juliette Raynal
Matthieu Lassalle, PDG de Primagaz : Le gouvernement estime que le gaz a plus un rôle à jouer dans la mobilité que dans l'habitat. Nous ne sommes pas d'accord avec cette vision et estimons que les gaziers ont un vrai rôle à jouer dans l'habitat.
Matthieu Lassalle, PDG de Primagaz : "Le gouvernement estime que le gaz a plus un rôle à jouer dans la mobilité que dans l'habitat. Nous ne sommes pas d'accord avec cette vision et estimons que les gaziers ont un vrai rôle à jouer dans l'habitat." (Crédits : DR)

En France, environ 27.000 communes sur 34.000 villes ne sont pas raccordées au réseau de gaz naturel. Pour alimenter les quelque 10 millions de particuliers et artisans de ces territoires, souvent situés en zones périurbaines et rurales, quatre acteurs (Antargaz, Primagaz, Butagaz et Vitogaz) distribuent du gaz liquide sous forme de citernes ou de bouteilles. Deux gaz sont commercialisés ainsi : le propane et le butane. Tous deux sont des dérivés du pétrole et du gaz naturel et appartiennent donc aux énergies fossiles.

Mais le distributeur Primagaz (détenu par le groupe familial néerlandais SHV energy) s'est fixé pour objectif de distribuer 100% d'énergies renouvelables à ses clients à l'horizon 2040, en proposant du biopropane et du biobutane, issus d'huiles végétales et recyclées.

Alors qu'aujourd'hui, les gaz liquides ne représentent qu'une part marginale du mix énergétique du pays, son PDG, Matthieu Lassalle, défend la place de ces gaz dans la transition énergétique aussi bien pour l'habitat que pour les mobilités. Entretien.

La Tribune.- Aujourd'hui quelle est la place du gaz liquide dans le paysage énergétique français ?

Matthieu Lassalle.- Aujourd'hui, le mix énergétique pour se chauffer et s'alimenter est composé de 35% d'électricité, de 35% de gaz naturel et de 12% de fioul. Les gaz liquides (propane et butane) ne représentent, eux, que 2%. Nous occupons donc une place toute petite dans le mix énergétique. Par ailleurs, le marché de notre filière est en faible décroissance, de l'ordre de 1% à 2% tous les ans. Ce phénomène est lié à deux facteurs : les consommations énergétiques, notamment de chauffage, se réduisent au fur et à mesure que les habitations sont mieux isolées. Ensuite, de plus en plus de particuliers passent aux plaques à induction et aux pompes à chaleur électriques.

La France est un pays qui est très électrique de part notre culture nucléaire et [le poids d'] EDF. Or, si nous voulons réussir la transition énergétique, nous avons besoin d'un mix énergétique qui s'appuie sur l'électricité, le gaz naturel et les gaz liquides. Toutes ces énergies ont leur place dans la transition énergétique.

En quoi un acteur comme Primagaz peut accélérer la transition énergétique ?

Nous avons un vrai rôle à jouer dans la transition énergétique des territoires, notamment dans la sortie du fioul, voulue par le gouvernement. [Dès le 1er janvier 2022, il ne sera plus possible de remplacer ou d'installer une nouvelle chaudière au fioul 100% fossile, ndlr]. Celui-ci pèse encore 12% dans le mix énergétique. C'est énorme. Or, le gaz liquide est moins carboné que le fioul et, surtout, il n'émet aucune particule fine. La qualité de l'air obtenue est donc bien meilleure.

Ensuite, dès 2018, et Primagaz a été précurseur en France, nous avons commencé à distribuer du biopropane. Aujourd'hui, il s'obtient grâce à une technologie d'hydrotraitement, qui utilise de l'huile de cuisson recyclée et des huiles végétales. Ce procédé permet d'obtenir la même molécule que le propane classique, mais la grande différence c'est qu'elle n'est plus créée à partir du pétrole. Son empreinte carbone est donc beaucoup plus faible : de l'ordre de 80% inférieure au fioul. Le biopropane émet 60 grammes d'équivalent CO2 par kilowattheure. C'est 250 grammes pour le propane classique et au-delà de 300 grammes pour le fioul.

Quelle place occupe le biopropane dans vos activités ?

Aujourd'hui, nous sommes à un peu plus de 5%. Cela peut paraître peu, mais depuis 2018 nous ne faisons que doubler les quantités. L'idée c'est de doubler tous les ans pendant les trois ou quatre prochaines années, puis de passer à une croissance exponentielle. Nous pourrions être à 10% en 2022, puis atteindre 50% en 2030. Nous nous sommes fixés l'objectif d'atteindre 100% d'énergies renouvelables en 2040.

Toutefois, si nous souhaitons atteindre cet objectif de 100% d'énergies renouvelables dans 20 ans, cela ne pourra pas être qu'au travers de la technologie d'hydrotraitement. Il faudra s'appuyer sur d'autres technologies dont certaines sont en cours de développement, comme la production de biopropane à partir d'algues ou des flatulences de microorganismes. Or, la France n'est pas fer de lance sur ces sujets. Elle s'est beaucoup axée sur le biométhane car nous sommes un pays d'agriculteurs. [Le biométhane est obtenu à partir de l'épuration du biogaz issu de la fermentation de matières organiques, ndlr]

Les soutiens publics sont-ils suffisants pour faire décoller le biogaz ?

Aujourd'hui, il n'y a pas assez d'engagements du gouvernement. Que ce soit sur le biométhane ou le biopropane et le biobutane, les pouvoirs publics n'en font pas assez. Il y a un vrai tropisme électrique en France, c'est culturel. Nous avons un exercice de pédagogie à mener. Il faut expliquer pourquoi dans cette transition énergétique nous avons un vrai rôle à jouer et qu'il faut nous aider. En Irlande et au Royaume-Uni, il y a des incitations très claires, notamment en matière de taxation, pour accélérer le biopropane. En France, ce n'est pas le cas. Or, il serait intéressant que la taxation du biopropane soit alignée avec son empreinte carbone. Aujourd'hui, le biopropane est taxé au même niveau que le propane. Et le coût de production du biopropane reste entre 5% et 10% plus élevé que celui du propane classique. A ce rythme, nous pensons que le prix du biopropane pourrait être compétitif d'ici à cinq ans.

Le gouvernement estime que le gaz a plus un rôle à jouer dans la mobilité que dans l'habitat. Nous ne sommes pas d'accord avec cette vision et estimons que les gaziers ont un vrai rôle à jouer dans l'habitat. La question que le gouvernement se pose c'est : est-ce que la filière sera en mesure de produire autant de biogaz demain qu'elle ne produit de gaz aujourd'hui ? Et sa réponse aujourd'hui est non. La question doit être posée. C'est une bonne question. Nous estimons, au contraire, que nous sommes en capacité [de produire ces volumes, ndlr]. En revanche, cela doit passer par le développement d'autres technologies.

Quelles sont les ambitions de Primagaz sur le marché de la mobilité ?

Dans le domaine de la mobilité nous sommes présents sur les petits véhicules et les transporteurs routiers. Concernant les premiers, nous avons 1.600 stations essence qui proposent du carburant GPL (gaz de pétrole liquéfié pour les engins automobiles). Par rapport à l'essence, il a l'avantage de ne pas émettre de particules fines et d'émettre entre 20% et 25% de CO2 en moins. Ce marché a explosé dans les années 1990, car le coût des véhicules est très accessible, comparé aux véhicules électriques. Mais il y a eu un accident [en 2002, une explosion d'un véhicule au GPL dévaste un quartier en Seine et Marne, ndlr] qui a presque tué le marché. Depuis, ce marché décroît de l'ordre de 10% tous les ans, car les voitures sortent du parc automobile et il n'y a pas de renouveau. Mais il est en train de renaître depuis que Renault a équipé toute sa gamme low cost Dacia en motorisation GPL. Sur le seul mois de septembre, il s'est ainsi vendu plus de véhicules au carburant GPL que sur toute l'année dernière.

Aujourd'hui, nous échangeons bien entendu avec Renault afin d'introduire du biopropane dans toutes les stations de gaz GPL. Le produit est disponible. Il faut en revanche que les automobilistes aient envie de passer à une énergie 100% renouvelable. Il doit y avoir un signal du constructeur.

Primagaz est également présent dans le transport routier....

Oui. Lors de du lancement, en 2018, de Primagaz Next, notre nouvelle trajectoire d'entreprise, nous avions pour ambition de nous positionner sur la mobilité lourde et de créer 20 stations de gaz naturel liquéfié pour les véhicules (GNV) et de les positionner sur les grands axes routiers européens. Ce sont des réservoirs de plus de 20 mètres de haut que l'on installe sur les stations essence avec notre partenaire Avia. Cela représente un investissement de 20 millions d'euros. Aujourd'hui, neuf stations sont en fonctionnement, six devraient être finalisées en 2021 et quatre en 2022. Nous estimons que dans les cinq prochaines années, 50% de notre développement proviendra du GNV.

En parallèle, il y a une forte attente sur le bioGNV mais nous avons besoin de l'aide de l'Etat car dans ce contexte économique nous sommes confrontés à la problématique du surcoût pour liquéfier ce gaz.

Que vous inspire l'engouement actuel autour de l'hydrogène ? Quelles sont les réflexions de Primagaz sur ce sujet ?

Cet engouement est compréhensif mais l'hydrogène présente aussi certaines limites. C'est bien de parler d'hydrogène, mais derrière il y a entre cinq et dix années de développement pour en faire une énergie stabilisée permettant une utilisation réelle. En attendant, il ne faut pas oublier les solutions qui existent aujourd'hui. Par ailleurs, pour faire de l'hydrogène vert, il faut avoir une manne d'électricité verte.

Les réflexions se font à l'échelle du groupe. SHV Energy [la maison mère de Primagaz, ndlr] mènent des réflexions sur les opportunités que présente l'hydrogène, qui est aussi un gaz liquide. SHV Energy distribue de l'énergie, mais ne la développe pas. L'idée est donc de savoir comment nous pouvons nous positionner sur cette chaîne de valeur.

Propos recueillis par Juliette Raynal

Juliette Raynal

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Commentaires 3
à écrit le 24/11/2020 à 20:46
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qu ils commencent par neutraliser leurs vieilles citernes enterrée de butane qui traînent...

à écrit le 24/11/2020 à 15:38
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Le gaz doit disparaître pour les maisons neuves en 2021! Comment peut-on encore parler de développer une filière gaz?

à écrit le 24/11/2020 à 10:28
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A quel prix pour le consommateur final? Le butane/propane sont pour le chauffage les énergies les plus chères. Pour la moitié du prix du propane actuel (livré), je remets en marche ma chaudière à gaz, ce qui permettrait de réduire ma consommation d'...

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