France-Europe : Paris, si loin de Bruxelles !

Par Bruno Alomar  |   |  858  mots
Bruno Alomar, économiste, enseignant à Sciences Po.
Non seulement, la France n'est pas capable de faire jouer ses atouts dans la construction européenne, mais elle privilégie l'Europe de l'accessoire dans sa traduction en droit interne des directives et manque l'occasion offerte par l'Europe de se projeter dans le temps long. Par Bruno Alomar, économiste, enseignant à Sciences Po.

La dernière tournée de Barack Obama l'a confirmé : en Europe, pour la diplomatie américaine, Berlin est l'interlocuteur privilégié. Alors que d'importantes échéances électorales se profilent en France et en Allemagne, que le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union, la question du rapport de la France à l'Europe constituera l'élément clef de relance ou de déclin d'un projet européen passablement affaibli.

Répétons-le : la perte d'influence de la France en Europe, alors même que la France est mère de l'idée européenne, est sans précédent. En renforçant, de fait, l'emprise de l'Allemagne, sur l'édifice communautaire, elle remet en cause le principe même d'une Union imaginée pour se prémunir de l'hégémonie de tel ou tel. Il n'est pas inutile de s'arrêter sur les raisons d'un tel fiasco.

Un refus obstiné de se réformer

D'abord, la France souffre de son refus obstiné de se réformer. La différence avec l'Allemagne est manifeste. Alors qu'Outre-Rhin les conséquences ont été tirées à partir du début des années 2000 de l'entrée sur le marché de 3 milliards de personnes suite à la chute du mur de Berlin (lois Hartz), la France reste aveugle à trop de réalités économiques. L'écart de performance entre la France et l'Allemagne, mortifère pour l'Europe, est désormais considérable, si l'on prend en considération des données comme la position extérieure ou l'état des finances publiques. Ce dernier aspect est particulièrement inquiétant : avec une dette publique française autour des 100% du Pib et une dette allemande se rapprochant des 60%, la restructuration inévitable de la zone euro ne pourra se décider qu'à Berlin.

Une France incapable de faire jouer ses atouts

Ensuite, l'incapacité de la France à faire jouer ses atouts. On touche ici à l'un des malentendus les plus nocifs du rapport à l'Europe : ne pas avoir compris que non seulement l'Europe n'intervient que dans le champ économique, et que même dans ce champ, ses compétences sont réduites. La France, si affaiblie économiquement, se comporte depuis trop longtemps comme si, en Europe, les questions politiques, géopolitiques, militaires, il est vrai largement méconnues par les institutions européennes, n'existaient pas. Une telle situation est d'autant plus paradoxale que les problèmes de terrorisme, l'instabilité chronique du Moyen-Orient, la montée en puissance de la Russie, l'affirmation de la Chine, devraient, au contraire, donner de la force à un pays qui dispose du deuxième réseau diplomatique, d'une place de membre permanent au conseil de sécurité de l'Onu, et de l'arme atomique.

L'Europe de l'impuissance

Face à une telle situation, la France n'a pas été capable de repenser son rapport à l'Europe. Deux traits l'attestent.

 Premièrement, la France, au lieu d'utiliser l'Europe comme un levier démultiplicateur de sa propre puissance, privilégie l'Europe de l'impuissance, l'Europe de l'accessoire, celle qui, à juste titre, exaspère les français. Ainsi, non contente de se priver d'utiliser le Conseil pour forcer les institutions européennes à penser en stratège, elle met un zèle étonnant quand il s'agit d'aller au-delà de ce que prévoit telle ou telle directive, elle-même déjà largement intrusive. Les exemples ne manquent pas, dont le plus récent tient sans doute à la manière dont Paris s'est ingénié à durcir les dispositions européennes en matière de paquet de cigarettes neutre, ou en matière de fessée.

Croit-on réellement que la construction européenne a été imaginée pour légiférer sur des sujets d'une telle nature, et, de surcroît, que l'on rend service à l'Europe en durcissant des mesures européennes si peu en phase avec les soucis légitimes de populations frappées par la faiblesse de l'emploi, la faiblesse de la croissance, le sentiment de déclassement d'une partie de la population ? La Commission Juncker elle même l'a compris, qui a décidé de concentrer son action et de définir une série de priorités. Il n'est que temps que la France fasse son aggiornamento en la matière.

Deuxièmement, le rapport au temps long. La construction européenne devrait être pour la France, pays sans cesse en élections, l'occasion de se projeter dans le temps long, c'est-à-dire de prendre du champ par rapport à des cycles électoraux réduits, qui empêchent les politiques publiques de se projeter dans l'avenir. En réalité c'est le contraire qui est fait : la France fait une utilisation opportuniste des mécanismes européens, qu'elle plie aux nécessités de son cycle électoral. Ainsi, dans l'affaire Alstom - quelle que soit l'opinion que l'on puisse nourrir sur le fond du dossier - un gouvernement s'empresse de prendre des mesures d'aides d'Etat qu'il sait en infraction vis-à-vis des règles européennes, mais que son successeur aura à gérer.

 De tout ceci une conclusion émerge : il est urgent que la France remette à l'endroit son rapport à l'Europe.

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Bruno Alomar, économiste, enseigne les questions économiques et institutionnelles européennes à Sciences Po.