Heyer (OFCE) "Le bilan de Hollande serait plutôt bon pour un gouvernement de droite"

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  1041  mots
Eric Heyer, Directeur du département Analyse et Prévision de l'OFCE, enseignant à Sciences Po Paris
La présentation gouvernementale d’une politique fiscale finalement favorable aux bas revenus durant ce quinquennat, doit être nuancée, estime Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l'OFCE. Pour lui, le bilan de François Hollande est assez bon, s'agissant de la réduction du déficit public et du rétablissement des marges des entreprises. Soit des objectifs propres à un gouvernement de droite...

LA TRIBUNE - Le gouvernement estime que sa politique fiscale a permis, depuis le début du quinquennat, d'accroître le pouvoir d'achat des ménages les plus modestes (les 10% du bas de l'échelle), seuls les 30% les plus riches ayant été mis sensiblement à contribution. Mais il ne prend pas en compte dans son calcul l'impact de l'augmentation de la fiscalité indirecte, de toutes les taxes en hausse sur la consommation. Êtes-vous d'accord avec cette méthode et ce résultat?

ERIC HEYER - A l'OFCE, nous allons aussi essayer de notre côté d'évaluer l'effet des réformes fiscales. La question de la prise en compte de la fiscalité indirecte est effectivement posée. Peut-on faire abstraction de l'augmentation de la TVA et des autres taxes ? D'une certaine manière, oui, puisqu'elles sont de fait intégrées dans les prix à la consommation. Quand la TVA augmente et se trouve répercutée dans les prix des biens et services, l'indice des prix de l'Insee l'intègre. Le calcul du pouvoir d'achat le prend donc en compte. Si tous les revenus étaient parfaitement indexés sur les prix, la question pourrait donc être évacuée. Le problème, c'est que c'est loin d'être toujours le cas. L'augmentation de la TVA a une incidence forte sur les bas revenus, au-delà de ce que mesure l'indice des prix. Quant aux ménages un peu plus aisés, je pense aux salariés au-dessus du troisième décile, notamment, ils ne voient pas leur rémunération toujours indexée. Dès lors, l'augmentation des taxes a un effet sur leur pouvoir d'achat.

 Fallait-il baisser l'impôt sur le revenu pour redonner du pouvoir d'achat aux classes moyennes, comme l'a fait le gouvernement depuis 2014 ?

Tout dépend de l'objectif. S'il s'agissait de redonner du pouvoir d'achat, ce n'était pas la meilleure des stratégies. L'impôt sur le revenu au sens strict, c'est à peine plus de 3% du PIB. C'est loin d'être le prélèvement le plus important, dans l'ensemble des prélèvements obligatoires (45% du PIB). Donc, dans une optique de redistribution du pouvoir d'achat, de soutien de l'activité, mieux valait utiliser d'autres instruments. Il aurait fallu cibler les ménages les plus modestes, qui ne paient pas l'impôt sur le revenu. Il était possible d'augmenter le RSA (devenu prime d'activité), le minimum vieillesse...

En revanche, si l'objectif était avant tout symbolique, politique, alors pourquoi ne pas baisser l'impôt sur le revenu. Cela profite aux classes moyennes supérieures, mais il y a bien dans cette expression le mot classe moyenne, et c'est ce qui compte, symboliquement.

 Quel a été l'effet de l' augmentation des prélèvements sur les ménages, de plus de 35 milliards d'euros, soit près de deux points de PIB ?

Je ne pense pas que ce fut le meilleur choix. Baisser les prélèvements obligatoires payés par les entreprises pouvait se défendre. Cette politique de l'offre se justifiait par une compétitivité très dégradée. Donc, le pacte de responsabilité, les 40 milliards d'euros redonnés aux entreprises sous forme d'allègements de charges et d'impôts, n'avaient rien d'aberrant. Mais fallait-il financer cette politique par une hausse de la charge fiscale des ménages ? Fallait-il opérer un tel transfert ? Je ne le crois pas. Cela a évidemment pesé sur l'activité, le PIB en a été amputé de quelque 0,7 point de PIB.

Quelle était la solution, alors ? Baisser les dépenses ?

Puisque les cotisations sociales des employeurs ont été allégées, via le CICE, il aurait pu être logique de diminuer les prestations sociales qu'elles financent. Mais, dans de nombreux cas, l'effet aurait été négatif sur l'économie, puisque la baisse des prestations aurait été synonyme de chute du pouvoir d'achat, notamment pour les ménages les moins aisés. J'estime qu'il aurait mieux valu négocier avec Bruxelles une augmentation temporaire du déficit public, ce qui aurait permis d'éviter de peser sur la demande. Il était possible de dire à nos partenaires européens : le CICE, qui allège les charges des entreprises, va certes augmenter le déficit public, puisque les recettes vont être amputées, mais la compétitivité de l'économie va s'en trouver à terme augmentée. Avec, à la clé une croissance plus élevée, et donc des recettes fiscales supplémentaires. La hausse du déficit ne serait donc que temporaire. Il aurait été possible de baisser ce déficit par ailleurs, et de le présenter hors CICE. C'est la stratégie qu'a menée l'Allemagne sous Schröder, au milieu des années 2000: les réformes ont creusé dans un premier temps le trou des finances publiques, mais elles ont été le gage, ensuite d'une croissance supplémentaire.

Finalement, quel bilan faite vous de la politique économique durant ce quinquennat ? Quels sont les points positifs et négatifs?

Il faut analyser les différents objectifs que s'est donné l'exécutif en cours de mandat: la réduction du déficit public, l'amélioration de la compétitivité, la baisse du chômage. Sur le premier point, les finances publiques, ce n'est pas si négatif. Le déficit a été réduit sans croissance, ce qui n'a rien d'évident. Sa composante structurelle a donc été effectivement diminuée, comme le reconnaît Bruxelles. La France est le pays européen qui la plus réduit son déficit structurel depuis quatre ans.

S'agissant de la compétitivité, le bilan n'est pas non plus désastreux. Les marges des entreprises sont revenues non pas à leur niveau de 2012, mais, encore mieux, à celui d'avant crise. En revanche, sur le chômage, le bilan n'est évidemment pas bon. Il est plus haut aujourd'hui qu'il n'était en 2012. Réduction des déficits publics, amélioration de la compétitivité : en fait, le bilan de cet exécutif serait plutôt favorable pour un gouvernement de droite.

Les électeurs de gauche attendaient bien sûr autre chose d'une équipe socialiste: plutôt la baisse du chômage et l'augmentation du pouvoir d'achat. De ce point de vue, l'électeur de gauche peut à bon droit se sentir quelque peu floué.