Hollande ou l'hypocrisie fiscale

Le candidat socialiste de 2011, alors héraut de la justice fiscale et protecteur des classes moyennes, a en réalité taxé ces dernières, tout en laissant les plus riches passer à travers les mailles du filet. Et il a créé une prime d'activité pour les pauvres, financée pour partie en ponctionnant les couples de smicards.
Ivan Best
François Hollande avait entamé sa campagne de 2012 sur le thème de la justice fiscale

On l'a peut-être oublié, François Hollande avait entamé sa campagne électorale en vue de la primaire socialiste de 2011 avec un thème principal : celui de la réforme fiscale et de la justice dans la répartition des impôts.

"La fiscalité sera au cœur de la campagne, (...) Nicolas Sarkozy cherchera à faire croire contre toute évidence que le pays pourra échapper à des prélèvements supplémentaires après 2012. disait-il dans une interview à La Tribune le 29 septembre 2010. Je suggère à la gauche d'éviter le piège qui lui est tendu : il ne faut pas dire impôts, impôts, mais dire lesquels et qui les paiera" .

Et d'insister sur la nécessaire réforme : il faut "promouvoir l'idée d'une réforme fiscale, acte préalable à tous les autres , (...) il faut commencer par la réforme fiscale sans laquelle il ne peut y avoir d'appel à l'effort ". Le candidat à la primaire se faisait fort de dénoncer les funestes projets du président sortant Sarkozy, accusé de vouloir frapper les classes moyennes de plein fouet : "le plus grave, c'est que ce seront les classes moyennes qui supporteront la totalité de la charge" disait-il alors.

Les classes moyennes surtaxées, mais pas seulement

Le plus grave ? Ce rappel est évidemment cruel. Car qui a payé sous François Hollande, si ce n'est d'abord les classes moyennes ? Elles ont été surtaxées, nul ne l'ignore. Mais ce ne sont pas les seules. Au passage, François Hollande a obéré le pouvoir d'achat de ménages plus modestes via les taxes indirectes et la création d'une prime d'activité (née de la fusion du RSA et de la Prime pour l'Emploi) qui a eu lieu au détriment des... couples de smicards. Ou comment un président socialiste affirmant vouloir faire contribuer les riches finit en fait par laisser passer ceux-ci à travers les mailles du filet, et taxe les classes moyennes ainsi que certains ménages à peine moins pauvres que les pauvres. Sans le dire, évidemment. Vous avez dit hypocrisie fiscale ?

Mise au barème en trompe l'oeil

Une idée-force se dégageait du programme Hollande et des premières mesures fiscales mises en œuvre par le président élu en 2012 : l'alignement de la taxation des revenus du capital sur celle des revenus du travail. L'ensemble serait désormais soumis au barème de l'impôt sur le revenu. Un barème progressif, rappelons-le, au taux supérieur fixé par François Hollande à 45%. N'était-ce pas là, avec le rétablissement, également, d'un barème progressif pour l'ISF, le meilleur moyen de faire contribuer les plus aisés, au nom de la justice fiscale ? Sur le papier, peut-être.

En réalité, la taxation du capital n'a pas vraiment augmenté, en tous cas s'agissant des grandes fortunes. Trois mouvements importants ont fait de cette annonce de François Hollande une pure chimère.

D'abord, à la suite du mouvement des Pigeons, le gouvernement est largement revenu sur la taxation des plus-values financières. Désormais assorti d'abattements pour durée de détention, le système revient parfois à moins taxer ces plus-values que sous Sarkozy. Du reste, même Bercy  admet désormais que l'imposition au barème des intérêts et dividendes a très peu rapporté: le gain affiché est de 3,7 milliards d'euros, mais il résulte pour 3 milliards du transfert vers l'impôt sur le revenu du prélèvement forfaitaire libératoire. En réalité, cette taxation au barème n'a donc rapporté que 700 millions, selon les données officielles de Bercy.

Ensuite, sous l'injonction du Conseil constitutionnel, l'exécutif a rétabli sans le dire un bouclier fiscal -le fameux bouclier tant dénoncé sous Sarkozy. De fait, depuis 2013, le total de l'ISF, de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux afférents ne peut dépasser 75% des revenus. Cette proportion de 75% des revenus peut paraître importante, ce niveau de taxation étant pas loin d'être confiscatoire (le taux était de 50% sous Sarkozy). En réalité, cette différence entre le bouclier Sarkozy et celui de Hollande n'en est pas une. Tous les conseillers fiscaux savent jouer du nouveau système. Ils expliquent à leurs riches clients comment minorer fortement leurs revenus -ou même les annuler- afin de plafonner ainsi l'ISF. Voire l'annuler?  75% de zéro revenu, cela fait bien.. zéro. Donc, il suffit d'éviter de déclarer des revenus pour échapper totalement à l'ISF, même avec une fortune de plusieurs milliards d'euros. Ce qui n'est pas si compliqué, à entendre les spécialistes.

Comment expliquer autrement que Mme Bettencourt paie exactement zéro euro d'ISF, comme l'a révélé le Canard Enchaîné, alors qu'elle devrait théoriquement s'acquitter d'un impôt sur la fortune de plus de 60 millions d'euros ? Comment expliquer autrement que les 50 ultra-riches français qui bénéficient le plus du bouclier fiscal version Hollande, ne paient que 10% de l'ISF qu'ils devraient acquitter, comme l'a révélé également le Canard ? Cette annulation des revenus, d'un point de vue fiscal, est facilitée par l'existence de l'assurance-vie. La rémunération de ces contrats n'est pas considérée par le fisc comme un revenu, tant que les sommes n'en sont pas retirées. Il suffit donc de transférer sa fortune en assurance-vie.

Un engouement soudain pour l'assurance-vie

C'est, enfin, plus globalement  cette exploitation de l'assurance-vie qui a achevé de rendre inopérante la réforme fiscale selon Hollande, en tous cas s'agissant des riches.  Les bancassureurs ont su déployer tous leurs talents de conseil pour faire basculer les comptes-titres des riches particuliers vers l'assurance-vie à la douce fiscalité (7,5% d'impôt sur le revenus acquis, quand ils sont retirés du contrat, pas d'imposition tant qu'ils y restent, plus 15,5% de prélèvements sociaux). Comment expliquer autrement l'engouement soudain pour ce placement à partir du premier janvier 2013, quand les revenus du capital ont été soumis au barème de l'impôt sur le revenu ? Bien sûr, il existe des produits d'épargne, largement défiscalisés, en faveur de l'investissement en actions, tels que le plan d'épargne en actions (PEA), lancé par la gauche au pouvoir, au début des années 1990. Il permet d'investir librement dans tous les titres assimilés à des actions, et offre l'avantage d'une fiscalité nulle (prélèvements sociaux mis à part), huit ans après l'ouverture du plan. L'idée est, là aussi, de favoriser l'investissement à long terme. Mais, du point de vue des plus riches, le PEA présente un gros défaut : les sommes investies sont plafonnées à 150.000 euros. Même si l'on ajoute le nouveau PEA, destiné à l'investissement dans des titres de PME, cumulable avec le premier, le total est limité à 225.000 euros. Bien insuffisant, au regard de la clientèle dite "patrimoniale". L'assurance-vie présente, elle, l'immense avantage de n'être assortie d'aucun plafond. Il est ainsi possible de placer plusieurs centaines de millions tout en conservant le bénéfice d'une fiscalité douce.

Voilà pourquoi le concentration des patrimoines en assurance-vie n'a cessé de s'accélérer : les quelque 15.000 foyers français les plus fortunés, qui ont accès à ce qu'on appelle la "gestion privée" (une gestion personnalisée) ont représenté 32 % des sommes collectées par les assureurs en 2015, selon le cabinet spécialisé Facts & Figures. Au cours des six dernières années, le montant global des contrats de ces 15.000 épargnants particulièrement choyés par les banquiers a plus que doublé, passant de 71 milliards d'euros en 2009 à 154 milliards en 2015. Soit une moyenne de plus de 10 millions d'euros par épargnant !

Et pour ceux qui veulent échapper à la réglementation française, rien de plus facile : il suffit d'investir au Luxembourg. Non pas pour profiter d'une fiscalité encore plus favorable qu'en France, nulle question ici d'évasion fiscale : c'est la législation fiscale française qui s'appliquera en la matière aux épargnants. Si les grandes banques françaises et les assureurs spécialisés dans la clientèle la plus aisée y possèdent des filiales, c'est pour proposer à leurs clients bien dotés des contrats à la liberté de gestion incomparable.

Comment expliquer autrement la progression exceptionnelle des placements dans les filiales luxembourgeoises d'établissements financiers français ? En 2011, Cardif Luxembourg Vie, filiale en joint-venture de BNP Paribas Cardiff et d'un établissement luxembourgeois, avait encaissé pour 1,795 milliard d'euros de primes (les fonds apportés par les épargnants). Trois ans plus tard, le flux d'épargne a crû de 60 %, à 2,85 milliards. Le groupe Société générale a fait mieux, avec une multiplication par 3,7 de l'épargne collectée sur 12 mois, à 2,4 milliards d'euros. Natixis est passée de 502 millions à 1,41 milliard, tandis que la Mondiale multipliait par 2,6 les sommes encaissées dans l'année, à 2,81 milliards. Chez les autres assureurs, non français, implantés au Luxembourg, règne au contraire un certain calme, loin de cette euphorie. Preuve que le phénomène est vraiment français...Bref, contrairement à ce qu'a pu affirmer l'exécutif, les vraiment riches n'ont pas vraiment eu à souffrir du quinquennat Hollande, surtout quand ils sont rentiers.

Les classes moyennes supérieures ont, elles, payé les majorations d'impôt sur le revenu, à travers le gel confirmé du barème, la baisse du quotient familial ou la taxation de la part employeur de la complémentaire santé. Bercy, qui affirme qu'au total l'impôt sur le revenu n'a pas augmenté sous Hollande, admet bien volontiers que les ménages du dernier décile, soit la classe moyenne supérieure, ont vu leur facture alourdie.

Une prime d'activité au détriment de certains ménages modestes

Et les ménages modestes ? A priori, ils ont été épargnés par les mesures gouvernementales. En réalité, ils ont subi la hausse des taxes indirectes, et certains d'entre eux ont été directement victimes d'une réforme mise en œuvre pendant ce quinquennat : la fusion du RSA et de la Prime pour l'emploi en une Prime d'activité. Ce n'était évidemment pas l'objectif annoncé. Il s'agissait, comme l'expliquait l'exposé des motifs du projet de loi, de "fusionner le RSA activité et la PPE, et permettre d'encourager l'emploi, de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et de lutter contre la précarité... ".

Mais, les décrets d'application, discrètement publiés fin décembre 2015, ont montré la réalité du projet : la configuration se rapprochait beaucoup plus de celle du RSA activité que de la Prime pour l'emploi. Ce qui signifiait un changement de logique, souligné par une étude d'avril 2016 du Centre d'études pour l'emploi. "Bien que présentée comme innovante, la prime d'activité a été conçue sur le même modèle que le RSA-activité et s'en distingue uniquement par l'existence d'un bonus individualisé... Elle s'oppose au modèle de la PPE, un dispositif fiscal individualisé, marquant ainsi le retour vers des politiques de lutte contre la pauvreté fondées sur le besoin, au détriment d'une politique de soutien aux faibles revenus du travail."

Que signifie concrètement ce passage d'une logique de soutien aux faibles revenus du travail (la PPE) à celle de la lutte contre la pauvreté ? Très simplement, les couples de smicard, qui bénéficiaient de la Prime pour l'emploi, ont perdu du pouvoir d'achat. Selon les calculs de Marc Wolf, ancien directeur adjoint de la Direction générale des Finances publiques (1), en prenant en compte la baisse de l'impôt sur le revenu, un célibataire payé au smic est sorti gagnant de cette réforme, à hauteur de 373 euros par an. Un couple avec un seul actif est encore plus avantagé (+3.150 euros par an). En revanche, un couple avec deux smicards perd 1.041 euros par an. Autrement dit, la réforme a été financée, au moins partiellement, par les couples de salariés au salaire minimum. Ou "quand les pauvres payent pour les plus pauvres", ainsi que le souligne Marc Wolf. Qui ajoute :

"On reste admiratif de la communication du ministère des Affaires sociales pour défendre cet arbitrage historique qui aura permis que son action contre la grande pauvreté soit supportée par la fraction des travailleurs à peine moins pauvres, en l'espèce ceux rémunérés au niveau du Smic et vivant en couple qui sont devenus les invisibles de la solidarité nationale. Entre la hantise du « ras-le-bol fiscal des classes moyennes » et l'urgence due aux plus pauvres, ce sont ainsi près de deux millions de smicards dont la seule aisance était d'être en ménage qui ont payé." (1)

Ainsi, quand le gouvernement affirme dans le dossier de presse annexé au projet de budget 2017 que "l'ensemble des mesures prises pendant ce quinquennat du point de vue de la fiscalité et des prestations sociales auront préservé le niveau de vie des ménages appartenant aux 6 premiers déciles de revenu" on peut affirmer à coup sûr que cela n'est pas vrai concernant les couples de salariés touchant chacun un smic. Mais qui s'en soucie vraiment?

 (1) Dans un article à paraître, "Redistribution à rebours : de la PPE à la prime d'activité", Revue Française des Finances publiques

Ivan Best

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Commentaires 11
à écrit le 29/09/2016 à 16:55
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Joli tour d'horizon des manipulations fiscales du gouvernement. A peine le temps d’apercevoir vos articles, qu'ils ont déjà disparus. Trop incisifs sans doute !

à écrit le 29/09/2016 à 7:05
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Qui est capable de comprendre qu'en matière de fiscalité, ce qui est important, c'est le point du prélèvement, sur la production ou sur la consommation. Il faut trouver un optimum. En particulier, il faudrait réduire les prélèvements sur la productio...

à écrit le 28/09/2016 à 16:53
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quelle est la différence entre les dirigeants de la République populaire de Chine et nos socialauds? Idéologiquement pas grande chose. Les dirigeants chinois sont milliardaires et les nôtres ne sont que millionnaires officiellement en dessus de l'ISF

à écrit le 28/09/2016 à 16:30
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"socialistes menteurs" = éviter les pléonasmes / ne pas accumuler inutilement les synonymes !

à écrit le 28/09/2016 à 14:19
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L'Hypocrisie des socialistes d'une manière générale ne se limite pas à la fiscalité. Tant pis pour les sans dents ils ne mordent pas!

à écrit le 28/09/2016 à 13:09
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Au PS, tous des félons, et resteront des félons

à écrit le 28/09/2016 à 11:32
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Le pire de ces hausses d'impot?L'argent a été gaspillé n'importe comment.Exemple:la cotisation patronale syndicats qui va abonder des syndicats nocifs et paresseux sur le dos des salariés a qui on demande des efforts.De mem la baisse de dotation aux ...

à écrit le 28/09/2016 à 10:38
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qu'attendre d'un type dont l'hypocrisie est inscrite dans es gènes ? hypocrisie d'autant plus éclatante quand il envoie El-Kohmry au front pour expliquer que les chiffres du chômage qui explose, témoignent d'une amélioration du marché du travail. Fau...

à écrit le 28/09/2016 à 10:21
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Entièrement d'accord avec cet article. Hollande et beaucoup de ministres qui l'accompagne c'est de l'hypocrisie pur. Le front national risque d'être le grand vainqueur des élections à venir. Je vois déjà le slogan UMPS tous pareil les mêmes hypocrit...

à écrit le 28/09/2016 à 10:19
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il a surtout reussi a decourager toute initiative......... ca commence a peine a se payer......et ca va se finir en front national, comme prevu pour l'assurance vie, avec des taux qui vont a zero il sera urgent de ne plus en avoir, sachant que les r...

à écrit le 28/09/2016 à 10:09
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Une présidence infecte, un non-président cynique et menteur, un gouvernement d'incompétents, pas étonnant que la France soit aujourd'hui le champion toutes catégories de la pression fiscale des pays de l'OCDE. Lamentable mais hélas réel.

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