L'Allemagne étouffe dans son ordolibéralisme

Par Michel Santi  |   |  740  mots
Arrivée d'Angela Merkel au sommet des leaders européens à Bruxelles, le 12 décembre 2019. (Crédits : Reuters)
OPINION. Quand cette Allemagne, si fière de ses excédents, se rendra-t-elle compte que leur diminution au profit de ses propres citoyens et de ses propres infrastructures lui sera en premier lieu bénéficiaire? Par Michel Santi, économiste (*).

Les Allemands qui, dans leur écrasante majorité, sont farouchement opposés à ce qu'ils qualifient de "Haftungsunion", autrement dit une union de transfert qui sous-entend que leur pays paie trop d'argent pour l'Europe, vivent-ils dans un univers parallèle? Les Allemands seraient-ils devenus populistes, dans le sens où ils n'hésitent pas à brandir une argumentation spécieuse, fallacieuse, facile afin de faire - et de se faire - peur?

Cette manipulation, ce sentiment qu'ils sont les créanciers de l'Europe, cette amertume savamment entretenue selon laquelle nous en voulons tous à leur argent ne relèvent pourtant que du fantasme. Le Mécanisme européen de stabilité (MES)? Celui-là même qui a soutenu - non seulement la Grèce - mais également et surtout les banques allemandes et françaises a, en réalité, sauvé la mise au contribuable allemand.

Partage du fardeau

Du reste, le concept même d'Union et l'essence même du projet européen ne consistent-ils pas, précisément, en un partage du fardeau, en des risques mis en commun, en la souscription par les adhérents à une sorte de police d'assurance censée bénéficier à tous les membres de la famille?

La philosophie de l'intégration européenne a hélas été foulée aux pieds ces dernières années, un peu comme ces affiliés à une assurance-maladie qui se voient refuser l'accès aux soins et à leurs droits car ils ont la mauvaise idée de tomber malade. La base même d'une assurance n'est-elle cependant pas que ceux qui sont en bonne santé acceptent de jouer le jeu et de payer pour les autres, que ceux qui sont souffrants en auront plus pour leur argent? Dès lors, doit-on supprimer toute assurance car celle-ci ne nous profite pas, au risque de nous retrouver nous-mêmes sans protection le jour où la bise sera venue?

Mais, en fait, pourquoi feindre l'étonnement vis-à-vis de l'attitude d'un pays qui abandonne même les siens car 20% de ses citoyens vivent sous le seuil de pauvreté? En 20 ans, les revenus des plus modestes n'y ont que décliné en tandem avec la productivité de ses entreprises. Au final, l'Allemagne offre aujourd'hui un spectacle ravagé par les inégalités qui y sont encore pire qu'en Grande Bretagne et qu'aux États-Unis car 40% des allemands n'ont strictement aucune épargne ni richesse.

Quant à leurs banques, elles ne veulent ni ne peuvent les soutenir car il faut bien admettre qu'elles ont été de tous les fiascos, des subprimes, à la bulle immobilière espagnole, irlandaise, et - sans vouloir évoquer les déboires qui n'en finissent plus de fragiliser la Deutsche Bank - reconnaissons qu'elles ont été particulièrement volages dans le placement de l'épargne de leur pays.

Règle d'or et investissements indigents

En Europe, l'Allemagne est donc un cas particulier, y compris pour son iniquité fiscale consistant à taxer lourdement les revenus du travail tout en étant d'une clémence inouïe envers les plus fortunés. Système entièrement construit afin de préserver les dynasties industrielles qui ne paient virtuellement pas de droits de succession (1% dès 10 millions d'euros d'héritage) tandis que ceux qui héritent de 400.000 euros sont taxés à 10%... Le creusement des inégalités est donc une mécanique parfaitement assumée dans ce pays qui pénalise lourdement le travail.

Il en est de même pour la règle d'or exigeant d'équilibrer le budget de l'État qui exerce des ravages au niveau local et fédéral, et qui explique pourquoi les investissements publics et en infrastructures sont si indigents dans un pays riche comme l'Allemagne. La décision prise il y a un peu plus d'une dizaine d'années par le gouvernement fédéral contraignant les États et les municipalités de ne plus avoir de dette piétine ainsi toute la palette des investissements vitaux, y compris sur l'éducation et sur la santé. Quand cette Allemagne, si fière de ses excédents, se rendra-t-elle compte que leur diminution au profit de ses propres citoyens et de ses propres infrastructures lui sera en premier lieu bénéficiaire?

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

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