La 5G menacée par le coronavirus  ?

Par Yves Gassot  |   |  794  mots
Yves Gassot est l'ancien ancien directeur général du think tank Idate DigiWorld, spéicialisé dans le numérique et les télécoms. (Crédits : DR)
OPINION. Aux yeux d'Yves Gassot, ancien directeur général du think tank Idate DigiWorld, le déploiement de la 5G, pilier de l'innovation numérique de demain, ne doit pas être oublié une fois l'épidémie passée.

Tout le monde parait s'entendre pour souligner que lorsque nous serons sortis de la pandémie, le cours des choses ne devra pas repartir comme avant. Certains n'hésitent pas à remettre en cause le sens du déploiement de la 5G. Il est peu probable que la fake-news rendant les ondes de la 5G responsables de la création et propagation du Covid-19 ait trompé beaucoup de monde, même si elle a coïncidé avec la destruction répétée d'antennes 5G à Londres. Plus sérieusement, on trouve dans les opposants ceux qui craignent les conséquences de cette technologie pour leur santé, bien qu'aucune étude n'ait conclu sur ces dangers (cf. le tout récent rapport de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non-ionisants  (ICNIRP)). C'est à ce titre que plusieurs cantons suisses viennent de voter un moratoire pour suspendre le déploiement de la 5G. D'autres voient dans la 5G un vecteur efficace pour consommer toujours plus d'énergie. Il faudra certainement un travail sérieux de dialogues et d'explication sur ces sujets.

La 5G, plus de bits d'information pour moins d'énergie

Précisons sur la question de l'énergie, qui parait avoir retenu l'attention des membres de la Convention nationale pour le climat, que si les premières stations 5G peuvent consommer effectivement plus que les 4G, les progrès des antennes, par focalisation des émetteurs (antennes dites massivement MIMO), par l'intégration de l'électronique, par des dispositifs de mise en veille, devraient très rapidement permettre d'économiser plus de 50% de l'énergie pour une bande passante (débit et capacité) cinq fois plus élevée. Bien sûr, cette efficacité énergétique (bits/unité d'énergie) peut se trouver annihiler par la poursuite de l'intensification des usages, pour des applications parfois malsaines ou médiocres, ou l'augmentation sans limite de la définition des images. Il y a donc place pour une certaine éducation des usages, mais ne caricaturons pas.

En 2008 nous n'avions pas la 4G

Pensons aux progrès réalisés ces dernières années. Ils permettent au coordinateur des services d'urgence et d'aide à domicile, au télétravailleur, au livreur de e-commerce, au grand-père qui aide son petit à distance dans ses devoirs... de disposer d'outils qui n'existaient pas lors de la crise de 2008 (par exemple, la 4G).

Les opérateurs, mobilisés présentement sur la maintenance de leurs réseaux, doivent donc à la fois rester conscients des craintes exprimées sur leurs technologies, prendre des engagements sur la diminution de leur consommation carbonnée et leur respect de la privacy, tout en poursuivant avec leurs partenaires les déploiements de la fibre, en amorçant celui de la 5G et en complétant le réseau de la 4G. Et ce, dans un contexte où du retard aura été accumulé durant la pandémie et où les contraintes sur les budgets d'investissement restent fortes.

Recréer un leadership européen dans le numérique

Enfin, les réflexions engagées en France et en Europe sur la ré-évaluation de la géographie de nos chaines de valeur dans le domaine de la santé (équipements, médicaments) nous paraissent aussi se rapprocher du débat amorcé autour des risques de différentes natures associées à une dépendance trop forte des opérateurs vis-à-vis de Huawei dans le domaine des équipements télécoms ou des grandes plateformes de l'Internet. La 5G peut en fournir l'occasion car ce n'est pas qu'un tuyau plus gros. La définition par étape de ce standard sert aussi de rendez-vous pour accélérer la virtualisation des réseaux, qui devrait donner plus de flexibilité aux opérateurs dans le pilotage de leurs services, répondre aux besoins de la nouvelle industrie, mais aussi apporter plus d'options dans le choix de leurs fournisseurs. C'est l'occasion pour les opérateurs européens, non seulement de soutenir nos champions Ericsson et Nokia, mais aussi de les doter d'un écosystème de nouvelles firmes innovantes dans le domaine du matériel et du logiciel. Au risque d'être un peu schématique, disons que l'enjeu est également d'éviter que les réseaux et services de communication ne tendent à être des infrastructures sans valeur ajoutée pilotées par les clouds des GAFAM.

En conclusion, il va certes falloir faire des choix qui donnent une priorité plus claire aux budgets dans la santé, la transition énergétique et écologique, l'enseignement et la recherche, mais cela ne doit certainement pas se faire au détriment de l'innovation numérique. Celle-ci peut et doit bien au contraire être gérée comme un atout au service d'une société plus résiliente et plus juste.