La décadence de la voiture du peuple

Par Harold James  |   |  1033  mots
Comme le démontre de manière frappante l'affaire Volkswagen, les excuses des entreprises et remontrances réglementaires ne suffisent pas.
L'affaire Volkswagen le montre, règlementer ne suffit pas. Mieux vaut associer des incitations aux règles purement administratives. Par Harold James, professeur, Princeton

Jusqu'à présent, le scandale Volkswagen s'est déroulé selon un scénario éprouvé. Des révélations concernant le comportement délictueux d'une entreprise surgissent (dans ce cas-ci, l'utilisation par le constructeur automobile allemand d'un logiciel permettant de réduire les émissions de gaz polluant de 11 millions de véhicules diesel, mais uniquement lorsque la voiture était soumise aux conditions spécifiques des tests de l'administration américaine). Les dirigeants s'excusent. Certains perdent leur emploi. Leurs successeurs s'engagent à corriger la culture d'entreprise. Les gouvernements s'apprêtent à imposer des amendes énormes. La vie poursuit son cours.

Ce scénario est devenu familier, en particulier depuis la crise financière de 2008. Les banques et autres institutions financières l'ont suivi à de multiples reprises, alors même que les scandales successifs érodaient la confiance dans l'ensemble de l'industrie. Ces affaires, comme la fraude du « diesel propre » de Volkswagen, sont l'occasion de repenser les pratiques douteuses des entreprises.

Comportements responsables: des engagements insuffisants de la part des entreprises

L'engagement pris par les entreprises à se comporter de manière plus responsable est clairement insuffisant, comme le démontre le nombre apparemment infini de scandales secouant l'industrie financière. A peine les législateurs avaient-ils réglé une affaire de manipulation des marchés qu'une autre surgissait.

Le problème de l'industrie bancaire est qu'elle est basée sur un principe qui crée des incitations à se conduire de manière frauduleuse. Les banques connaissent mieux les conditions du marché (et les probabilités de voir leurs prêts remboursés) que leurs déposants. Cette politique du secret est au cœur de l'industrie financière. Les analystes polis la qualifient de « gestion de l'information ». Les critiques y voient une forme de délit d'initiés.

Les banque vulnérables

Les banques sont aussi particulièrement vulnérables au scandale parce qu'une partie de leurs employés agissent simultanément d'une manière qui peut affecter la réputation, voire le bilan, de l'ensemble de l'institution. Dans les années 1990, un seul trader basé à Singapour a causé la faillite de la vénérable Barings Bank. En 2004, les activités de banque privée de l'américain Citigroup au Japon ont été fermées par les autorités parce qu'un opérateur financier avait manipulé le marché des obligations d'État. Et chez JPMorgan Chase, un seul trader, surnommé la « baleine de Londres », a été à l'origine de 6,2 milliards de dollars de pertes.

Les promesses creuses de changer la culture d'entreprise

Ce que ces scandales à répétition démontrent est que les excuses ne sont que des vœux pieux et que les promesses d'un changement de la culture d'entreprise sont généralement creuses. Tant que les incitations existent, la culture restera la même.

L'affaire Volkswagen est un rappel utile du fait que les délits commis par les entreprises ne se limitent pas à l'industrie bancaire, et qu'imposer des amendes ou renforcer la réglementation ne suffira sans doute pas à résoudre le problème. En fait, c'est la loi d'airain de la physique d'entreprise : pour chaque nouvelle réglementation existe une prolifération proportionnelle d'innovations pour la contourner.

Les similitudes entre la finance et Volkswagen

Il ne faut pas s'étonner que l'industrie automobile ait également des incitations à contourner le système. Chacun sait que la consommation de carburant ne correspond pas à la notice affichée par les concessionnaires, résultant d'essais effectués avec un vent arrière ou sur des routes avec un revêtement très lisse. Et quiconque s'est trouvé à proximité d'un véhicule avec un moteur diesel, même équipé d'une technologie de « diesel propre », a pu sentir qu'il est plus polluant qu'un véhicule à essence.

Il existe deux similitudes importantes entre les scandales affectant l'industrie financière et Volkswagen. La première est que des entreprises de cette envergure, que ce soient les banques ou les constructeurs automobiles, sont étroitement imbriquées dans le contexte politique national et que les responsables élus comptent sur elles pour la création d'emplois et les recettes fiscales. Volkswagen est en particulier une icône du secteur manufacturier allemand. La chancelière Angela Merkel a fait son possible pour soutenir le constructeur, comme son prédécesseur, Gerhard Schröder, en 2003 lorsque la Commission européenne a contesté la légalité de la structure de holding du groupe.

La deuxième similitude est que les deux industries sont soumises à de multiples objectifs réglementaires. Les législateurs veulent d'une part que les banques soient plus sûres, mais de l'autre qu'elles prêtent davantage à l'économie réelle, ce qui implique souvent une plus grande prise de risques. Ils imposent en conséquence des réglementations qui ne vont pas clairement dans un sens ou dans l'autre.

Pas de recherche de compromis entre pollution atmosphérique de proximité et changement climatique

Les réglementations concernant les gaz d'échappement des véhicules présentent le même problème. Dans le contexte de l'atténuation du réchauffement climatique, les constructeurs ont été fortement incités à fabriquer des voitures qui produisaient moins d'émissions de gaz à effet de serre, même si cela impliquait, comme pour les moteurs diesel, qu'elles produiraient des particules fines et d'autres gaz plus nocifs encore pour la santé. Il n'y a jamais eu de discussion sur le compromis à trouver entre la limitation de la pollution atmosphérique de proximité et la lutte contre le changement climatique.

Comme le démontre de manière frappante l'affaire Volkswagen, les excuses des entreprises et remontrances réglementaires ne suffisent pas. Il est temps de mener une discussion approfondie sur la manière dont nous pourrions élaborer des réglementations comportant les incitations permettant d'atteindre les objectifs que nous voulons vraiment : le bien-être économique et social. Ce n'est que lorsque cette discussion aura eu lieu que nous aurons les banques, les voitures et d'autres biens et services auxquels nous aspirons.

Traduit de l'anglais par Julia Gallin

Harold James est professeur d'histoire et des relations internationales à l'université de Princeton, professeur d'histoire à l'Institut universitaire européen de Florence et membre (senior fellow) du Centre for International Governance Innovation (CIGI).

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