Ni Pigeons, ni espions !

Par Manuel Diaz  |   |  1064  mots
Pour Manuel Diaz, Président d’Emakina.fr, la loi sur le renseignement aurait des conséquences désastreuses pour l'économie française
Le projet de loi sur le renseignement est une menace non seulement pour nos libertés individuelles, mais aussi pour notre économie. Par Manuel Diaz, Président d’Emakina.fr

La France s'apprête à voter une loi donnant aux services de renseignement les moyens de lutter efficacement contre le terrorisme, notamment au travers de la surveillance d'internet. Cette loi entend ainsi donner aux autorités publiques la capacité d'écouter tout ce qui se transite sur l'internet français.

Une démarche terrifiante

Si l'"esprit du 11 janvier" a vécu et n'est plus qu'un lointain souvenir, le contexte « post Charlie » a une nouvelle fois donné l'occasion aux politiques d'être à l'initiative d'une loi opportuniste et de circonstance. Certes les évènements tragiques de ce début d'année nécessitaient une prise de conscience collective et des mesures fortes pour assurer la sécurité de nos concitoyens.

Mais au nom de la sécurité on ne saurait justifier la mise en œuvre d'un dispositif de surveillance généralisée des internautes français. L'ancien ministre Benoit Hamon avait déjà montré la voie quand il prononça cette phrase restée dans les annales : « Quand on n'a rien à se reprocher, ce n'est pas grave d'être sur écoute ». Une phrase terrifiante qui porte en germes toutes les justifications au totalitarisme. Dans le même esprit la loi que nos parlementaires s'apprêtent à voter sans état d'âme vient reléguer le Big Brother d'Orwell au rang d'amateur en ne faisant aucun cas des vives protestations pourtant de plus en plus nombreuses.  Tout ce que la société civile compte en effet de personnes attachées à nos libertés fondamentales ainsi que de nombreux leaders de l'économie digitale s'insurgent contre les dispositions de cette loi. Et ce n'est pas par hasard. Car cette loi non seulement pourrait s'avérer extrêmement liberticide, mais aura, si elle est appliquée, un impact non négligeable sur notre attractivité économique pour les entreprises du digital.

Le prix de la sécurité ?

Il parait que la fin justifie les moyens. Dans ce cas commençons par nous interroger sur la finalité de cette loi. La sécurité ? De nombreux exemples récents nous montrent que de tels dispositifs ne solutionnent rien et se révèlent d'une relative inefficacité. La force du big data c'est de détecter des tendances significatives dans le temps alors qu'un acte de terrorisme est une action ponctuelle d'un groupe très restreint de personnes. Inaudible. Indécelable. A moins d'écouter tout et tout le monde, ce qui, on nous le promet, n'est en aucun cas l'objectif. De deux choses l'une : soit le dispositif n'est pas adapté à l'objectif poursuivi, soit l'objectif réel des promoteurs de cette loi n'est pas celui que l'on veut bien nous vendre...

La sécurité a bien sûr un prix. Mais dans le cas d'espèce le caractère très intrusif des dispositions de la loi que le Gouvernement entend faire voter mériterait que chacun prenne bien conscience du prix à payer, pour un objectif dont personne n'est par ailleurs certain qu'il sera in fine atteint.

 
Où s'arrête l'intérêt public ?

Le prix en terme de libertés tout d'abord car dans sa volonté de s'adapter à tous les cas possibles, connus ou encore inconnus, cette loi est une véritable loi fourre-tout qui permettra de traquer n'importe quoi, n'importe qui et pour n'importe quelle raison. Est-ce que les actes de terrorisme sont une menace contre les « intérêts publics » de la France, pour reprendre les termes même du texte législatif ? Certainement.

Mais la notion d'intérêts publics peut s'avérer relativement large et nous pouvons avoir la certitude qu'elle sera interprétée de manière extensive par ceux qui auront en charge l'application de la loi. Nul doute que l'espionnage économique et industriel concerne également les intérêts publics. Et les intérêts personnels de tel ou tel haut dignitaire également. On a déjà eu des écoutes téléphoniques pour moins que ça...

Aucun contre-pouvoir

Il faudrait, pour garantir que la loi ne soit pas utilisée pour des objectifs autres que ceux fixés au départ par ses instigateurs, des mécanismes de contrôle dignes de ce nom. Dans le cas présent le pouvoir judiciaire est totalement mis sur la touche par l'exécutif puisqu'il n'y a nul besoin de demander l'autorisation d'un juge a priori et que le seul moyen d'agir a posteriori pour faire cesser une manœuvre illégale sera de passer par le premier ministre, un membre éminent du pouvoir... exécutif. Aucun contre-pouvoir, donc aucune garantie du bon usage des instruments de surveillance qui seront mis en place.

Des conséquences économiques désastreuses

Il y aura également un prix économique à payer. Pendant des années l'industrie numérique française a tiré avantage de ne pas avoir de Patriot Act, se posant ainsi comme un territoire « digne de confiance » pour les entreprises soucieuses de la confidentialité de leurs informations. Aujourd'hui nombre d'industriels du secteur, et notamment les hébergeurs, envisagent sérieusement de délocaliser leurs opérations pour ne pas à avoir à subir les contraintes que la loi va faire peser sur eux et, surtout, garder la confiance de leurs clients. Entre des emplois qui partent et des entreprises qui s'inquiéteront légitimement sur la sécurité de leurs données, c'est tout un secteur d'avenir qui se trouve être en danger.

Et, pour finir, rien n'est fait contre la vraie menace, celle que constitue le cyber terrorisme. L'affaire TV5 nous montre bien que nous avons besoin d'un « cyber GIGN », davantage que d'un dispositif de flicage à grande échelle qui ne résoudra rien.

Hold up sur nos libertés fondamentales, insécurité des affaires et efficacité plus que contestable : trois raisons qui devraient faire que n'importe quel parlementaire censé refuse de voter une loi aussi dangereuse qu'inutile. Et pourtant... La passivité de la classe politique sur le sujet montre bien à quel point elle est déconnectée des enjeux et ne comprend pas ce qu'elle est en train de mettre en place. Ou alors qu'elle le comprend très bien et qu'elle fait peu de cas de la préservation de nos libertés... La loi sur le renseignement est en elle-même un acte de terrorisme contre nos libertés et notre économie. Mais visiblement personne n'a l'intention de l'empêcher. Sauf ceux qui, nombreux, ne veulent être #NiPigeonsNiEspions...