Pologne : les vraies raisons de la chute d'Airbus Helicopters

Par Patrick Edery  |   |  919  mots
Le choix polonais d'annuler le contrat avec Airbus pour l'achat d'hélicoptères est celui d'un pays qui a peur, et qui ne compte que sur la protection des Etats-Unis. Par Patrick Edery, PDG de Partenaire Europe

Pourquoi la Pologne a-t-elle annulé l'appel d'offres gagné par Airbus Helicopters (AH) et ses Caracal, situation exceptionnellement rare à ce stade des négociations ? Pourquoi humilier un pays ami, pilier de l'U.E., institution contribuant largement au miracle économique polonais ? Lors d'une précédente tribune, il y a un an et demi, nous avions été très étonnés de l'exploit d'AH réussissant à convaincre les Polonais d'acheter des hélicoptères non américains. En effet, depuis la chute du mur, la Pologne a identifié une seule menace réelle et immédiate : la Russie et une seule puissance en capacité de la défendre : les États-Unis. Les stratégies polonaises et américaines sont remarquablement identiques face à « l'ogre russe »: priver la Russie de toute ambition « impériale ». C'est d'ailleurs un américain d'origine polonaise, Conseiller à la sécurité nationale du Président J. Carter, qui l'a largement inspirée : Z. Brzeziński.

Hollande s'est rangé du côté des perdants

Pour autant, sur le plan intérieur, de nombreux facteurs ont motivé le pouvoir en place à prendre cette décision. Il faut rappeler que le choix du Caracal a été fait par le gouvernement précédent, celui de M. Tusk, actuel président du Conseil européen. Des liens personnels s'étaient créés entre M. Hollande et le président polonais d'alors : M. Komorowski, seul dirigeant européen en place, à le recevoir avant son élection. M. Hollande  a également été un allié exemplaire face à la Russie, tant en paroles qu'en actes, notamment en renonçant à la livraison des Mistral aux Russes. Hélas les élections polonaises de 2015, dont le parti conservateur PiS sort vainqueur, déclenchent une lutte intra polonaise qui déborde sur la scène européenne.

M. Hollande, comme nombre de dirigeants de l'UE, se range du côté des perdants : la PO, parti de M. Tusk. Ce dernier est rapidement suspecté par le PiS d'avoir obtenu le soutien de la France à sa nomination à la présidence du Conseil Européen, contre son choix du Caracal. Le PiS ne s'arrête pas là et martèle que le Caracal coûte, pièce, deux fois plus cher à la Pologne qu'au Koweït. Il invoque aussi la menace que fait planer le choix du Caracal sur les milliers d'employés polonais des deux concurrents d'AH : Lockheed Martin et Augusta. Côté français, on rappelle qu'AH était prêt à réaliser des investissements historiques en Pologne créant des emplois de production et de R&D. D'aucuns sous-entendent que ces emplois intéressaient moins le PiS car non situés dans ses circonscriptions, mais dans celles de PO. Il est très difficile de faire la part du vrai et du faux dans cette guerre de « propagandes » entre la France et la Pologne, guerre d'autant plus étonnante qu'elle se passe au sein de l'U.E. et entre deux alliés militaires. A notre sens, la décision polonaise ne peut être expliquée, seulement, par ces éléments qui ont tout au plus conforté un choix.

Le choix d'un pays qui a peur

Ce choix, c'est celui d'un pays qui a peur, confronté à une menace russe qui ne cesse d'augmenter et qui vise désormais ouvertement ses voisins baltes. Afin de conjurer un sort qui n'a cessé de se démentir au cours des trois derniers siècles, la Pologne remet son destin à la seule puissance pouvant, dans les faits, la défendre : les Etats-Unis. Il est vrai que M. Hollande, n'a cessé de dénoncer les décisions expansionnistes de M. Poutine, mais la Pologne sait bien que la France n'a pas les moyens de mettre en cohérence ses paroles et ses actes. Dès lors, quel intérêt de miser sur elle? Mais surtout, la décision de Varsovie a été accélérée par les assurances de M. Trump.

La France s'aligne sur l'Allemagne, preuve d'une absence de leadership

Que s'est-il passé entre le salon de l'armement polonais, le 2 septembre, où AH affichait une grande sérénité et le 4 octobre, date de l'arrêt des négociations ? Le 16 septembre, le sommet de Bratislava, où la France s'est une fois de plus alignée sur l'Allemagne, démontre aux Polonais que nous ne sommes pas encore décidés à prendre le leadership de la défense européenne. Le 28 septembre, M. Trump, potentiel président des Etats-Unis, précise ses propos concernant sa protection de notre continent. Jusqu'à présent il suggérait qu'il laisserait les mains libres à la Russie dans son étranger proche, notamment dans les pays baltes et en Ukraine. Sans revenir réellement sur ses déclarations, il a tenu, fait assez exceptionnel pour ce dernier, à rassurer Varsovie en se déplaçant devant le Polish American Congress pour souligner son attachement à la protection de la Pologne. Il est intéressant de noter que Lockheed Martin (concurrent préféré à AH) est un des principaux donateurs du parti de M. Trump. Le 4 octobre, les Polonais annoncent la fin des négociations avec AH.

Le président français a eu raison de rappeler que le parapluie américain n'était pas éternel, mais il ne propose pas non plus de réelle alternative et refuse d'assumer notre rôle de première puissance militaire de l'U.E. Il est regrettable qu'avec les bouleversements mondiaux en cours, l'Union Européenne, encore une fois, se divise et se laisse manipuler par des acteurs extérieurs.