Privatisation des aéroports  : des gains probables, des risques contrôlables

Par Didier Bréchemier, Emmanuel Combe, Gabriel Schillaci  |   |  770  mots
(Crédits : Air France)
Votée à l'Assemblée nationale, la loi Pacte qui inclut la privatisation d'ADP va repasser au Sénat en avril. Didier Bréchemier, associé sénior chez Roland Berger, Emmanuel Combe, Professeur des Universités, Skema Business School et Gabriel Schillaci, directeur de Roland Berger nous livrent leur analyse.

Comme on pouvait s'y attendre, la privatisation d'ADP suscite de vives réactions politiques. Les privatisations d'infrastructures n'ont pourtant rien de très nouveau dans notre pays : rappelons que le gouvernement Jospin a privatisé en 1997 la distribution de l'eau et de France Telecom, tandis que le gouvernement de Villepin procédait en 2006 à la « privatisation déguisée » du gaz, au travers de la fusion entre GDF et Suez. Pour poser les termes du débat, une analyse en termes de risques et de gains apparaît bienvenue.

Les risques ne doivent pas être surestimés

Pour ce qui est des risques d'une privatisation des grands aéroports, ils ne doivent pas être surestimés. Tout d'abord, il ne s'agit pas de privatiser des monopoles naturels au sens strict du terme. Les grandes plateformes sont soumises à une forme de pression concurrentielle, qui vient limiter leur incitation à augmenter les tarifs : concurrence entre les grands hubs européens et du Moyen-Orient pour le long courrier ; concurrence intermodale sur le court/moyen courrier, à l'image du train à grande vitesse qui reste en France le premier concurrent de l'avion.

Sur le front de l'emploi, les aéroports emploient une main-d'œuvre qui est peu délocalisable, des agents de terrain jusqu'aux fonctions de direction. Pour ce qui concerne la souveraineté du pays, les aéroports sont certes des actifs importants par leur localisation, mais les fonctions de défense nationale sont assurées d'abord par les nombreux aéroports militaires, sans compter que les aéroports civils peuvent être réquisitionnés si besoin. L'État conserve également la totale maitrise de ses frontières, via le contrôle des douanes, sur les personnes comme les biens.

Financer le développement

Du côté des gains à attendre d'une privatisation des aéroports, elle va permettre à des investisseurs privés d'apporter des moyens financiers conséquents pour financer leur développement et améliorer l'expérience des passagers. Ce n'est pas un hasard si de grands pays, pourtant soucieux de leurs frontières, privatisent leurs aéroports, à l'image du Japon, du Brésil, de la Russie ou de la Turquie. Parmi les 600 plus grands aéroports commerciaux au monde, plus de la moitié (en nombre et en trafic) sont privatisés ou en cours de privatisation.

En Europe, cette proportion a doublé récemment, passant de 20% du total en 2010 à 40% en 2016. Une analyse approfondie de la performance opérationnelle et financière des aéroports en Europe révèle que les aéroports privés affichent des performances souvent supérieures à celle de leurs équivalents publics. Ainsi, plus de la moitié des aéroports au top des classements internationaux de référence sur la qualité de service sont privatisés.

De même, sur un échantillon de grands aéroports en Europe, il apparaît que les aéroports privés investissent sensiblement plus que les aéroports publics tandis que leurs taxes croissent au rythme de l'inflation, conservant ainsi un équilibre dans le partage de la valeur entre compagnies aériennes, passagers et aéroports. En réalité, la privatisation des plateformes aéroportuaires alimente un cercle vertueux de croissance : les investissements - que ce soit en rénovation, maintenance, ou innovations technologiques et commerciales-  conduisent à une amélioration de la qualité de service pour le client/passager, laquelle entraine à son tour un accroissement du trafic, qui permet de financer de nouveaux investissements.

Droit de regard

Mais pour que la privatisation des aéroports délivre toutes ses promesses et contienne les risques, encore faut-il que l'État garde un droit de regard sur les sujets les plus stratégiques : si la privatisation marque le désengagement de l'État du capital d'une entreprise au bénéfice d'autres investisseurs, elle n'implique pas pour autant qu'il n'ait plus son mot à dire. En particulier, en matière de taxes aéroportuaires, il est crucial que les pouvoirs publics disposent d'un régulateur indépendant : à cette fin, l'ASI (Autorité de Supervision Indépendante des redevances aéroportuaires) a été créée en 2016, qui a déjà refusé trois augmentations de prix à des aéroports. L'État change ici de rôle : il délaisse celui de "Gestionnaire", impliqué dans la vie quotidienne de l'entreprise, pour celui, plus redoutable, de "Régulateur", s'assurant que l'intérêt général soit préservé. De plus, dans le cas particulier d'ADP, il est envisagé une concession de la société d'exploitation : l'Etat restera donc propriétaire des actifs, qu'il récupèrera en fin de bail. L'État garde donc la main sur l'essentiel, sans prendre de risque industriel.