Renoncer à Notre Dame des Landes est irrationnel

Par Nicolas Zvéguintzoff  |   |  953  mots
(Crédits : Stephane Mahe)
Six mois après la décision du gouvernement français de renoncer à construire l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Nicolas Zvéguintzoff, président de NZ Consulting, revient sur ce choix qui n'était pas, selon lui, la bonne décision.

Au moment où, après des années d'analyses complexes et d'âpres discussions le parlement britannique vient de décider la construction d'une troisième piste à Londres-Heathrow, la décision en janvier de renoncer à construire l'aéroport de Notre-Dame -des-Landes laisse une très mauvaise impression quant à la méthode employée et la façon dont la décision a été justifiée. Céder à un groupuscule menaçant de violences locales n'était certainement pas la meilleure solution, vu les enjeux d'aménagement du territoire.

La décision d'investir c'est avant tout une décision rationnelle

La décision d'investir dans des infrastructures de service public est un art complexe : pourquoi un hôpital plutôt qu'une route, pourquoi ici plutôt que là ? Il en va de même de l'infrastructure aéroportuaire. Ce sont des études économétriques poussées qui conduisent au choix des lieux, à la configuration des pistes, des bâtiments etc. Pour Notre-Dame-des-Landes, ce travail a été mené à bien par quantités d'experts, notamment ceux de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) qui ont été en première ligne.

La nécessité de disposer de deux pistes pour traiter un trafic supérieur à 10 millions de passagers est avérée. Les alternatives (l'allongement de la piste et /ou l'augmentation de la taille des terminaux de l'actuel aéroport), ont été présentées. Le choix initial de construire Notre-Dame-des-Landes avait été fait, difficile certes (il y a toujours des mécontents qui savent où trouver des micros complaisants) mais il correspondait à la meilleure solution n'en doutons pas.

Ce qui aurait dû emporter la décision du gouvernement d'Edouard Philippe, ce sont les faits. Ils ont têtus. Renoncer à Notre-Dame-des-Landes pour maintenir le statu quo engendra infiniment plus de nuisances sonores.

Le « point à point » prend le pas sur le hub

Pour justifier sa décision, le premier ministre inférait que ce dossier étant débattu depuis 50 ans, était par nature mauvais. Ce n'est pas parce que l'Etat a su être stratège dans les années 60 en mettant sur place une politique audacieuse d'aménagement du territoire que le dossier était mauvais : l'Etat stratège avait envisagé ce qu'il adviendrait et avait pris de bonnes mesures conservatoires (gel des terrains etc...). En dépit d'un TGV largement subventionné, le transport aérien a connu une croissance foudroyante

avec l'émergence des compagnies à bas coût : Nice, Marseille, Lyon, Toulouse, Bordeaux bénéficient d'aéroports performants au service des régions. L'heure pour Nantes étant arrivée il y a une dizaine d'années, le dossier a été ouvert et travaillé. La décision de construire Notre Dame des Landes  avait été prise sur des critères objectifs. Tous les recours contre ce projet ont été rejetés.

Le transport aérien prend des formes nouvelles. Moins tributaires des hubs, il se développe via les liaisons de "point à point" opérées avec des avions type A320, domaine d'excellence des compagnies à bas coût. Ceci n'était certes pas envisagé il y a 50 ans, mais les fondamentaux n'ont pas changé : notre société de consommation et d'échange est toujours plus ouverte sur le monde, et si Notre-Dame-des-Landes n'a plus été conçu comme un aéroport de détournement pour Concorde (!) depuis fort longtemps, son rôle structurant ne saurait être contesté que par des arguments précis et décisifs. Ces arguments ont été insuffisants.

Des effets négatifs considérables

Prétendre qu'un aménagement de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique suffira est inexact : il ne sera pas possible de traiter 10 millions de passagers, et transférer la demande supplémentaire vers les aéroports parisiens par la route ou le train sera ruineux en vies (valeur d'une vie humaine : 2 millions d'euros), en émissions de CO2 (valeur marché de la tonne de C02 : 16 euros) et en temps gaspillé (valeur d'une heure : supérieure à 15 euros). Tout ceci est chiffré ou chiffrable. Passons sur le bruit supplémentaire auquel seront exposés les riverains de l'aéroport de Roissy, avec des milliers de vols supplémentaires imposés par le transfert artificiel de trafic depuis Nantes.

On a parlé chèvres, artichauts et zones humides sacrifiés. Certes le point faible du dossier de Notre-Dame-des-Landes était l'impossibilité de déplacer les usines d'Airbus, situées à proximité de l'aéroport actuel et donc de détruire ce dernier.

La Région pouvait cependant décider de fermer des aéroports voisins de petite taille et reconquérir ainsi des terres. L'Etat stratège lui-même pouvait imposer des mesures compensatoires pour l'environnement, en faisant en sorte que ferment trois ou quatre des cinq aéroports normands (Cherbourg, Caen, Deauville, Le Havre, Rouen réunis véhiculent moins de 300.000 passagers par an !). Il aurait ainsi montré qu'une politique intelligente de transport aérien et d'aménagement du territoire ne passe pas inéluctablement par le « toujours plus de béton ».

Les Britanniques ont approuvé la troisième piste à Heathrow

Le gouvernement et le parlement britanniques viennent de décider de construire une troisième piste à Heathrow, un acte courageux, décisif et révolutionnaire. Entre autres décisions difficiles, celle de détruire 750 maisons individuelles. Mais le meilleur dossier l'a emporté. La comparaison avec la façon dont la décision a été prise en France se passe de commentaire.

Le processus en œuvre concernant Notre-Dame-des-Landes préfigurait celui de la limitation de vitesse à 80 km/h : pas d'analyse de fond, pas de valorisation de la vie humaine ni de la valeur du temps ni retour d'expérience. Qu'a-t-on fait des travaux des experts de l'administration, payés précisément pour cela ?