Transport aérien : les coûts d’une grève

Par Emmanuel Combe  |   |  829  mots
Emmanuel Combe
Les coûts directs et indirects d'une grève dans le transport aérien vont bien au-delà de la période du conflit. Une analyse d'Emmanuel Combe, professeur à l'université de Paris 1, professeur affilié à ESCP Europe.

Après celle des Personnels Navigants Techniques (PNT) en juin 2016, Air France vient de faire face à une seconde grève, initiée par les Personnels Navigants Commerciaux (PNC). Sans porter de jugement sur le bien-fondé de ce mouvement social, il n'est pas inintéressant de lister les différents coûts qu'un tel évènement peut faire peser sur une compagnie aérienne comme Air France.

Selon une approche optimiste, une grève s'apparente à un simple choc transitoire sur les finances de l'entreprise : il s'agit alors d'un "bruit blanc", qui disparaît une fois que l'activité a retrouvé son niveau normal. On peut d'ailleurs faire un parallèle avec l'impact d'un accident aérien, qui est aussi un évènement non anticipable et temporaire : les études économétriques sur données boursières montrent que, suite à un crash, le cours de la compagnie concernée décroche fortement mais l'effet négatif s'efface assez rapidement, comme l'a illustré encore récemment le drame de Germanwings.

Impact conjoncturel

Dans le cas d'une grève, l'effet financier conjoncturel se décompose en plusieurs éléments. Certains clients vont choisir de se reporter sur un autre vol : l'effet n'est pas neutre dans la mesure où ces reports viennent prendre des places de dernière minute, qui auraient pu être vendues plus chères. D'autres clients choisissent d'annuler leur voyage : ils doivent être remboursés ; ceux qui ne peuvent être transférés sur d'autres vols perçoivent, outre le remboursement de leur billet, une compensation : en Europe, elle peut atteindre, selon le règlement 261/2004 jusqu'à 600 euros pour un vol long courrier. N'oublions pas aussi que si le client doit attendre un autre vol, la compagnie a l'obligation de prendre en charge ses frais de repas et d'hôtel. On peut également imaginer que la compagnie recourt à de l'affrètement pour que le client puisse effectuer son voyage. Bref, même si l'impact financier est transitoire, l'addition peut vite être salée ! Elle se chiffrerait pour Air France, selon les estimations de la direction, à près de 90 millions d'euros pour la grève du mois de juillet.

Effets durables sur l'activité et la rentabilité

Mais ce n'est pas tout : une grève peut avoir un effet plus durable sur l'activité et la rentabilité de la compagnie. En interne, une grève affecte la productivité à venir de l'entreprise : durant les grèves, l'ensemble des équipes (escales, programme, commercial, etc) est mobilisé sur la résolution des problèmes du moment, au détriment de la préparation de l'avenir. Dit en termes économiques, la grève présente en interne un coût d'opportunité. Par exemple, pour les équipes de "revenu management", activité stratégique pour une compagnie aérienne, une grève à l'été 2016 désoptimise le processus de prévision pour la saison 2017, puisque l'historique (prix, taux de remplissage, etc) de 2016 est faussé par l'effet du mouvement social.

Du côté des clients, un effet de halo négatif peut apparaître, s'ils considèrent que la grève n'est pas un évènement rarissime mais une composante intrinsèque et structurelle de la vie de la compagnie. Craignant d'être "cloués au sol" demain par un mouvement social, ils vont alors réserver ailleurs, à I'image de ce qui a pu se passer pour la SNCM dans le transport maritime. Il en résultera une perte durable de chiffre d'affaires, soit par baisse de la demande, soit parce que la compagnie est obligée demain de baisser ses prix pour compenser ce risque.

L'impact sur la réputation peut être particulièrement fort en période estivale, où la clientèle étrangère, en visite ou de passage en France, "teste" la compagnie du pays, notamment sur le long courrier, activité stratégique pour l'image de marque.

Plus inquiétant encore : dans un univers ultra-concurrentiel comme l'aérien, des clients pourtant fidèles à la compagnie vont avoir la tentation - ou l'obligation, faute de vol - de tester les concurrents, aériens ou non, pour s'apercevoir que ce n'est finalement pas si mal et .... ne plus revenir demain. Ce risque est particulièrement grand pour Air France qui affronte une redoutable concurrence - low cost, intermodale, des compagnies du Golfe ou asiatiques - sur tous ses segments de marché : la grève d'Air France est sans doute la meilleur alliée de concurrents comme Lufthansa, Emirates, easyJet ou la SNCF. S'il est très difficile de chiffrer le coût indirect d'une grève sur la valeur d'une marque, on peut toutefois se tourner vers les marchés financiers et constater que la valeur boursière d'Air France reste faible, comparativement à celle de ses homologues européens de taille comparable : Air France KLM "vaut" environ 1,5 milliards d'euros, contre 4,8 pour Lufthansa et 8,2 pour IAG. Au-delà des différences de rentabilité entre les trois compagnies, on ne peut exclure que cette forte décote s'explique par un effet de réputation négatif.