Une réforme des retraites qui n'en est pas une

Par Laurent Pahpy  |   |  838  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Le projet du gouvernement ne répond pas à l'enjeu de la réforme des retraites car il conserve un système de répartition qui va peser de plus en plus sur les actifs en raison de l'évolution démographique. En écartant le recours à la capitalisation, il se prive d'un moyen qui a été adopté avec succès par de nombreux pays de l'OCDE. Par Laurent Pahpy, ingénieur, analyste pour l'Institut de recherches économiques et fiscales (IREF).

Deux tiers des Français sont favorables à la réforme des retraites. C'est le résultat d'un récent sondage qui contraste avec la popularité d'Emmanuel Macron. Chacun sait que le système actuel met en péril les générations futures et qu'il est indispensable de le réformer. Face à ce constat ressassé depuis bientôt trente ans, pas moins de sept réformes ont été menées sans pour autant résoudre l'insoutenabilité intrinsèque de la répartition. Malheureusement, le projet du gouvernement ne s'approche pas non plus d'une véritable transformation dont nous avons besoin.

Sur la forme, le projet a tout pour plaire. Avec la mise en place d'un système universel et unique à points, tout sera désormais simple et juste. Fini les régimes spéciaux privilégiés. Fini l'opacité. Fini les déficits. Les comptes notionnels fonctionneront en pilotage automatique et resteront équilibrés. Cette promesse séduisante laisse croire que la solution est enfin là. Ce discours qui plaît légitimement aux Français est pourtant un leurre.

Le ratio démographique continuera à chuter

Certes, certains privilèges des régimes spéciaux pourraient être abolis à condition que le gouvernement tienne face aux corporations syndicales. Mais le principe de la répartition hérité du régime de Pétain n'est pas remis en cause. Derrière l'accumulation virtuelle de points, les 18 millions d'actifs français continueront de payer pour les 14 millions de retraités. Système notionnel ou pas, la dépendance forcée des séniors vis-à-vis de la génération antérieure ne peut que s'aggraver. Le ratio démographique, qui est passé de 3 actifs pour un retraité en 1975 à 1,5 aujourd'hui, continuera de chuter. Les séniors et les travailleurs sont inéluctablement condamnés à voir baisser les pensions, augmenter les cotisations et retarder l'âge de départ à la retraite.

L'exécutif ne s'attaque donc pas à la racine du mal : la dépendance intergénérationnelle. Celle-ci n'a rien à voir avec la solidarité. Les pensions restent proportionnelles aux revenus et chacun sera un jour créditeur et débiteur. La solution existe, c'est la capitalisation. Mais elle reste taboue dans notre pays. Le retour sur investissement de l'épargne étant supérieurs au taux de croissance, un euro capitalisé permet d'obtenir un « rendement » double de celui de la répartition, et ce, malgré les crises et les krachs boursiers.

Face à ce constat, la plupart des pays du monde ont su trouver des solutions. En 2016, 17 des 35 pays de l'OCDE étaient dotés à des degrés divers de régimes capitalisés publics ou privés, obligatoires ou quasi obligatoires. Le Danemark, les Pays-Bas et l'Australie offrent les meilleures retraites du monde. Dans ces trois pays, un solide pilier d'épargne individuelle ou collective a été développé. Aux Pays-Bas, les actifs dans les fonds de pension atteignent 180 % du PIB, ce qui est le taux le plus élevé de l'OCDE. Au Danemark, chaque génération finance ses propres droits. Des régimes professionnels négociés par des conventions collectives et par capitalisation intégrale complètent les retraites pour 90 % de la population, fonctionnaires compris. En Australie, l'épargne retraite privée est encouragée par le biais d'allègements fiscaux. Les gestionnaires des 100.000 fonds australiens disposent d'une grande marge de manœuvre et d'une liberté de choix en termes de placements, ce qui favorise la concurrence.

Pas de place à la capitalisation en France

En France, l'importance du régime général et des complémentaires obligatoires ne laissent quasiment pas de place à la capitalisation, qu'elle soit obligatoire ou facultative. Elle est réservée aux plus riches qui peuvent souscrire des épargnes retraites supplémentaires, ce qui crée une inégalité avec les plus pauvres qui restent enfermés dans une répartition insoutenable. Celle-ci assure moins de 50 % des ressources des personnes âgées néerlandaises, danoises ou australiennes, alors qu'en France, la répartition génère 77 % des revenus des retraités.

Le Haut-commissariat à la réforme des retraites ne s'attarde pas sur la soutenabilité de la répartition. La réforme est censée s'inspirer du modèle suédois. Le pays du consensus a su instaurer les comptes notionnels, mais, surtout, il a introduit une part de capitalisation, ce que les partisans de la réforme omettent systématiquement ! C'est pourtant ce qui permettra aux Suédois de tenir face au choc démographique que nous connaissons et qui touche toute l'Europe.

La réforme annoncée est une tromperie car les Français penseront à tort que le problème des retraites sera derrière eux. Les générations futures seront toujours plus enfermées dans un régime unique et nationalisé qui accroîtra le risque de guerre intergénérationnelle. Nos voisins du Nord nous montrent pourtant la marche à suivre. Inspirons-nous-en pour introduire progressivement un solide pilier de capitalisation et épargner les générations futures du déclassement. Il est encore temps.