Trop de projets de centres commerciaux en Ile-de-France ?

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  801  mots
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En 2012, la Seine-Saint-Denis va battre tous les records de surfaces de ventes commerciales. Des investissements fortement soutenus par les collectivités mais de plus en plus risqués.

 «Epicentre» va bientôt ouvrir. «Epi» c'est pour Epinay, et «centre» parce que c'est en plein milieu de la ville (c'est même encore mieux, puisque c'est en «hypercentre», selon la plaquette du promoteur). Epicentre est donc un nouveau centre commercial d'Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis. 19 000 m², 1 200 places de parking, un montage financier sécurisé à 50% par l'Etat, la Région et Plaine Commune.... une opération comme il en existe beaucoup autour de Paris. Mais peut être un peu trop en Seine-Saint-Denis qui est resté de loin, le département le plus pourvu en centres commerciaux de l'Ile de France.

En 2011, ont été ouverts le « Plein Air » au Blanc-Mesnil ( 33 000m² dont un hypermarché Leclerc de 8 000 m²) et surtout le projet-phare du centre commercial interdépartemental « Le Millénaire » à Aubervilliers (56 000 m²). En 2012 vont suivre le «Grand Angle» à Montreuil (près de 11 000 m²), l' «Epicentre » d' Epinay-sur-Seine (19 000 m²) et dans la foulée, début 2013 l'énorme projet « Aéroville » à Tremblay-en-France (82 000 m²). Total fin 2013 : 26 centres commerciaux sur 900 000 m² . Le record absolu d'Ile-de-France avec 3 fois plus de surfaces que dans les Hauts-de-Seine.

Des centres de plus en plus proches les uns des autres et de plus en plus gigantesques

Cette course est logique pour les promoteurs. Mais elle commence à devenir inquiétante pour les élus et les enseignes elles-mêmes. Logique car les investisseurs en immobilier commercial trouvent en Seine-Saint-Denis tout ce qu'ils souhaitent : une aide publique importante dans un département en crise, une excellente position géographique (tous ces centres sont desservis par métro, périphérique et autoroutes), des friches industrielles et commerciales bien situées, un prix du m² bien moins élevé qu'à Paris et dans la petite couronne et, enfin, une main d'oeuvre à profusion sur place.

Chaque fois le calcul est le même : ainsi, à Montreuil la clientèle primaire (celle à 5 minutes à pied) représentera 46 000 personnes, l'autre clientèle, celles des Parisiens ou des Séquanodyonisiens en représentera 140 000. «Petits ou grands, tous ces centres commerciaux de Seine St-Denis visent une clientèle localisée bien au-delà des limites départementales» explique un responsable de la chambre de commerce. C'est le cas des petits comme des grands centres sites (O'Parinor à Aulnay-sous-Bois avec ses 115 000 m², Rosny 2 et Domus à Rosny-sous-Bois ou Les Arcades à Noisy-le-Grand).

La "menace" d'Aéroville

Même calcul pour l'énorme Aéroville, à cheval sur le Val d'Oise et la Seine-Saint-Denis. Ce projet initié par Aéroports de Paris sur ses terrains est officiellement destiné aux 100.000 salariés de Roissy. Mais il cherchera surtout à drainer les Parisiens et les voyageurs en transit. Personne ne peut être sûr de la réussite d'Aéroville, car un rival monstrueux risque de tout chambouler : Europa City, le méga projet d'Auchan lancé par Nicolas Sarkozy dans le cadre du Grand Paris, à Gonesse au pied de Roissy. Pour l'instant, Europa City en est encore à la période de «déminage politique» avec les riverains et les associations écologiques, mais Immochan, la filière immobilière d'Auchan est quasi prête.


Rien ne se fait sans l'engagement du secteur public


Le phénomène est néanmoins inquiétant car les Français sont en train de perdre l'habitude, crise oblige, de fréquenter les centres. En 2011, la baisse a été, comme en 2010, de 1,3 % après un recul de 3,7 % en 2009. La tendance est structurelle, même si la baisse du chiffre d'affaires de ces centres a été stoppée en 2011. Le marché est très tendu. Le Millénaire, un projet de 400 millions d'euros lancé par une filiale de la Caisse des Dépots, qui s'est ouvert en avril 2011 enregistre une fréquentation très largement inférieure aux attentes. Le Centre ne doit un regain de fréquentation depuis décembre qu'à une dérogation du préfet Christian Lambert, d'ouvrir le dimanche en 2012 : l'un des deux seuls de la Seine-Saint-Denis !

Le "Millénaire" a une fréquentation bien inférieure aux espérances

Mais commerçants et syndicats sont vent debout et la dérogation ne sera pas éternelle. Les concurrents ne sont guère plus heureux : ces centres s'installant à moins de dix kilomètres les uns des autres, l'ouverture dominicale est un avantage déterminant. Le risque, c'est l'emploi : Le Millénaire, comme la plupart des centres ne peut se faire sans un investissement public fort. En échange, il y a l'engagement auprès des financeurs publics (Ville de Paris ou Plaine Commune) de 75% d'embauches locales (des juenes âgées entre 18 et 25 ans majoritairement) dans les deux arrondissements parisiens concernés (18 ème et 19 ème), à Pantin et Aubervilliers. Pour l'instant, il semble que cet engagement (sur à peu près 900 emplois) soit tenu. Mais le risque est là. Il est d'autant plus grand que MK2 n'a pas voulu finalement construire le complexe cinématographique qui aurait rendu Le Millénaire plus attractif.