Les régions refusent de se laisser déposséder de la Banque Publique d'Investissement

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  803  mots
Alain Rousset, président de l'Association des Régions de FranceCopyright Reuters
Le pré-projet de Pierre Moscovici sur la Banque Publique d'investissement n'est absolument pas conforme à celui élaboré par les présidents de régions pendant la campagne de François Hollande. Celles-ci veulent pouvoir administrer l'établissement au niveau national et assurer ses missions au niveau local. Du coup, l'Association des Régions de France prépare un texte de réplique. Le débat s'annonce musclé.

 

«Je crois qu'on va se faire avoir». C'est le constat désabusé d'un président de région qui, comme ses collègues, a frémi lorsque Pierre Moscovici a évoqué la création de la Banque publique d'investissement en conseil des ministres sans prononcer une seule fois le mot «région». Il n'a ensuite, comme ses collègues également, guère été rassuré lorsque François Hollande, essayant de les rassurer a indiqué, devant le CESER (Conseil Économique, Social et Environnemental de la Région Ile-de-France), qu'il «veillerait à ce que les Régions soient associées à la gestion de la BPI». Aucun président de région n'a trouvé cela suffisant ni convaincant. Et lorsque les mêmes ont entendu Arnaud Montebourg expliquer qu'il allait nommer 22 commissaires de la république au redressement productif dans les 22 régions, ils ont compris qu'en plus du financement des entreprises, ils risquaient également de perdre une bonne partie de la maitrise de la stratégie industrielle.


«Le pré-projet de Bercy n'est absolument pas conforme à celui du candidat»

«Il est clair que le projet de Moscovici n'est absolument pas conforme à celui que nous avions élaboré pour le candidat François Hollande, continue le même président déçu qui connaît depuis longtemps le ministre de l'Economie. Moscovici sait que la BPI est un sujet potentiellement conflictuelle. La direction du Trésor lui a donc conseillé de préempter le dossier le plus rapidement possible. Pour elle, une BPI dirigée par les régions et au service des PME, c'est quelque chose qu'elle ne peut même pas concevoir. Le Trésor ne peut pas accepter d'être dépossédé à ce point là! Il a donc poussé le ministre qui y a vu également un moyen pour lui d'exister face à Montebourg».
Ce que ne dit pas ce président est que Pierre Moscovici sait que la BPI ne fait pas l'unanimité dans les régions. Si Alain Rousset, le président de la région Aquitaine, a produit des kyrielles de textes pendant la campagne pour définir une BPI pilotée par les régions en charge du développement des PME et des ETI, il sait aussi que les «grandes» régions s'y intéressent beaucoup plus que les «petites », et qu'au sein même de l'Association des Régions de France qu'il préside, il y a des débats. La problématique défendue par Alain Rousset et le délégué général de l'ARF, Michel Yahiel (aujourd'hui conseiller social à l'Elysée), était la création d'une société holding publique codétenue par l'Etat et la CDC, englobant OSEO, tous les dispositifs sectoriels existants ainsi que le FSI, CDC-entreprises et France Investissements, ces 3 établissements étant fusionnés. Tout cela pour délivrer des financements bancaires et de capital-risque «innovants et socialement responsables» et reposant sur «une contractualisation entre l'Etat et les régions pour la mise en ?uvre de la stratégie industrielle». Les régions étaient donc responsables de la définition et la conduite des politiques au plan local et siègaient au conseil d'administration de la BPI.

Les régions veulent administrer et mettre en oeuvre

Le pré-projet de Pierre Moscovici est loin de cela : jacobin dans son principe et flou dans son périmètre. L'ARF travaille sur un texte de réplique qui sera débattu par les présidents de région le 20 juin. Officiellement il porte sur le nouvel acte de la décentralisation, mais il a surtout pour but de faire réaffirmer à François Hollande que le développement économique est de la compétence entière des régions (ce dernier l'a oublié la semaine dernière devant le CESER) et que celles ci déterminent les orientations stratégiques pour leurs territoires.
Alain Rousset voudrait sortir de cette réunion avec un texte affirmant que les régions doivent être «représentées dans les instances de gouvernance nationales de la BPI, être parties prenantes dans la définition de sa doctrine d'investissement et dans les décisions d'investissement prises au niveau national». Et pour être bien clair il demande «au niveau régional la présidence des comités d'orientation de la BPI et la mise en ?uvre des instruments financiers». Pour l'instant le combat a été feutré pour ne pas troubler la campagne des législatives, mais les «grandes» régions et Bercy sont sur deux logiques fondamentalement opposées. L'instrument pyramidal mis au point par Bercy permettra à l'Etat contrôler la plupart des financements. Et les présidents de régions qui ont compétence sur le développement économique, la recherche, l'innovation, l'enseignement supérieur et la formation, risquent de se retrouver en position de perpétuels quémandeurs