Grand Paris : une métropole à deux vitesses ?

Par Mathias Thépot  |   |  637  mots
Comment endiguer le risque de gentrification de la métropole ?
Les objectifs de développement économique du Grand Paris impliquent une gentrification de la métropole et une polarisation des emplois. D'un côté, les jobs à haute valeur ajoutée, de l'autre les précaires. La gouvernance de la métropole pourra-t-elle lutter contre ces phénomènes ?

Le développement économique des territoires du Grand Paris est l'un des actes fondateurs de la mise en œuvre de la métropole. Mais le risque adjacent à cet objectif est d'attirer uniquement les emplois à forte valeur ajoutée, bien rémunérés, et d'accentuer ainsi un phénomène d'embourgeoisement au sein de la métropole, chassant les revenus les plus modestes. « Nous vivons une période qui se matérialise par une tendance puissante pour une société à deux vitesses, et qui implique de vraies difficultés », s'inquiète Pierre Veltz, PDG de l'établissement public Paris Saclay.

Ce phénomène est bien connu des économistes et ne concerne pas que l'agglomération parisienne. « Dans beaucoup de "villes mondes", un processus de désindustrialisation s'est enclenché depuis plusieurs décennies, et a été remplacé par une vague de tertiarisation », explique Philippe Askenazy, chercheur au CNRS-Ecole d'économie de Paris. « La disparition des emplois industriels a engendré une polarisation sur le marché du travail avec d'un côté les emplois à très haute valeur ajoutée, et de l'autre des emplois de service » que l'on peut définir comme de la main d'œuvre précaire, explique l'économiste.

On oublie le capital humain

Dont acte. Mais la gouvernance du Grand Paris doit-elle se résoudre à subir cette tendance, qui concrètement n'implique pas de hausse du niveau de vie des populations modestes résidentes ? « Si le Grand Paris est réellement porteur de création de richesses, il faudra que tout le monde puisse en bénéficier », prévient Philippe Askenazy. Or, peu de choses ont pour l'instant été faites pour contrer ce processus de gentrification de la metropole. « Les aspects résidentiels et éducatifs sont très peu analysés dans leur globalité, en comparaison avec les problématiques de transports, d'activité économique, d'implantation de bureaux etc... On oublie le capital humain ! », regrette Philippe Askenazy,

Pour introduire de la mixité, l'arme du logement social pourra toujours être brandie, certes. Mais se limiter au seul sujet du logement, sans penser les services publics qui accompagnent l'implantation des populations, ne fera que retarder l'échéance. Assurément le problème ne pourra se résoudre qu'au niveau d'une gouvernance métropolitaine cohérente, qui organise l'urbanisme et la répartition des moyens pour limiter la création de ghettos. Sur ce point fondamental, rien n'est encore décidé. Du reste, la métropole a encore du temps devant elle pour se structurer.

Des emplois violemment percutés

Faute de solutions à court et moyen terme, la réponse se trouverait dans les politiques d'éducation. Car s'il n'y a pas de problème majeur en ce qui concerne les emplois hautement qualifiés, « les emplois moyennement qualifiés sont très violemment percutés, et le seront au moins autant à l'avenir, notamment par l'informatique et la robotique », redoute Pierre Veltz. Ainsi « il y a un point où, quelles que soient les anticipations, tout le monde s'accorde : les entreprises demanderont en proportion de plus en plus de salariés qualifiés », ajoute Philippe Askenazy.

Si l'on anticipe de manière pragmatique les futurs besoins des entreprises franciliennes, il faudra donc que la métropole investisse massivement sur l'éducation et la jeunesse. Afin aussi de rattraper le retard pris sur certains de nos voisins européens : « par classe d'âge, la Grande-Bretagne possède par exemple entre 5 % et 10 % plus de jeunes étudiants à l'Université qu'en France », explique Philippe Askenazy.

Pour Pierre Veltz, plus pessimiste - l'école en France est selon lui « gravement malade »- « Il faudra aussi que les entreprises aient le courage d'embaucher des jeunes qui n'ont pas de diplôme, mais qui ont toutes les compétences requises pour exercer certains métiers »... Ou comment prôner une révolution des mentalités.