Grand Roissy, la revanche du mal aimé

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1228  mots
Une vie virtuelle d'Europa City, le projet à 2 milliards d'euros et 11.000 emplois d'Auchan à Gonesse (Val-d'Oise)
Longtemps peu apprécié, le Grand Roissy est devenu attractif par la grâce d'un aéroport et bientôt d'un réseau de métro. 15 milliards d'investissements sont prévus, 130;000 emplois espérés. Mais comment éviter de reproduire les erreurs du passé et raisonner des politiques trop corporatistes ?

Si l'on aime les euphémismes, on dira du Grand Roissy que c'est un territoire compliqué ou paradoxal. Compliqué ? Il connaît le bonheur d'avoir, pour lui tout seul, cinq préfets différents (dont celui de l'aéroport Charles de Gaulle), quatre agences (dont celle de la région Île-de-France) qui s'occupent conjointement (ou parallèlement, c'est selon) de son développement économique, de voir se côtoyer quatre communautés d'agglomération (et deux villes «non mariées» avec quiconque en prime : Aulnay-sous-Bois et Livry Gargan), ainsi que trois contrats différents de développement territorial signés avec l'État. Aucune gouvernance administrative propre, aucune gouvernance politique décisionnelle propre, aucun leader politique fort. Cela explique que, traditionnellement, les implantations s'y sont souvent faites au petit bonheur la chance, en fonction des opportunités. Sans aucune vision globale. Paradoxal ?

L'aéroport, surpuissant moteur du développement

Ce territoire a beau ne pas exister, 15 milliards d'euros d'investissements privés y sont planifiés et 130.000 nouveaux emplois possibles, identifiés. Le plus fort potentiel économique d'Île-de-France et même de France ! Mais dans un lieu où les poches de pauvreté pullulent, et où le pourcentage de non-diplômés est deux fois supérieur à la moyenne nationale ou régionale.

« C'est un territoire étonnant, explique Emmanuel de La Masselière, en charge du développement de l'EPA Plaine de France et qui suit le Grand Roissy. Le nombre de projets est absolument invraisemblable. L'unité de compte, c'est la centaine de millions d'euros. Un projet en dessous de ce niveau, on ne le voit pas.»

Ainsi, la plus importante implantation industrielle française, c'est actuellement celle d'Eurocopter à Dugny, le long de l'aéroport du Bourget. La plus importante implantation commerciale française ou européenne, c'est Europa City, le projet d'Auchan à Gonesse. Les pelleteuses et les grues sont en action un peu partout : entre Tremblay et Villepinte pour construire l'Asia Business Center pour 300 sociétés commerciales chinoises, le long de l'aéroport Charles de Gaulle pour l'International Trade Center et ses 2.500 emplois, de l'autre côté de l'A1 pour l'A Park ou pour agrandir le premier parc d'affaires privé européen, Paris Nord 2. Et ce n'est pas fini : Parc Mail (Volkswagen vient de s'y installer), Roissy Park, le Hub de Fedex en discussion à côté de celui d'Air France, Roissypôle et ses 200.000 mètres carrés de bureaux, des hôtels qui poussent comme des champignons, etc.

Cet aéroport, qui n'était pour les élus et la population qu'une source de nuisance il y a à peine dix ans, est devenu le surpuissant moteur du développement économique. Paris Île-de-France Capitale économique va ainsi lancer un groupe de travail pour que ce soit LE territoire du Grand Paris vendu, dès 2015, aux investisseurs étrangers.

Le contre-exemple de Gonesse

Ce territoire était mal aimé, il est devenu hyperattractif par la grâce d'un aéroport et du prochain réseau de métro. Souci : comment ne pas reproduire les erreurs du passé et ne pas gaspiller les investissements. L'erreur type, c'est celle des Tulipes, une zone de logistique toute proche de l'aéroport du Bourget. Il y a vingt ans, la mairie de Gonesse a accepté cette zone et a pris sa décision seule. Personne, ni à Gonesse ni au-dessus, quelque part dans le millefeuille territorial, ne s'est interrogé sur la pertinence de l'implantation. Pourtant, à l'époque déjà, Amsterdam et Francfort avaient compris la nécessité de grands quartiers d'affaires autour de leurs aéroports. À Gonesse, personne n'a réfléchi. Un terrain en or à côté des pistes a été sacrifié à des hordes de 15 tonnes. Aujourd'hui, un quartier d'affaires au Bourget aurait un vrai sens.

Mais l'installer au milieu des camions... Ce genre de boulette a (très lentement !) fait comprendre aux élus la nécessité d'une vision commune du territoire et d'en unifier l'attractivité. Christian Blanc, en charge du Grand Paris sous Nicolas Sarkozy, les a d'ailleurs bien secoués pour qu'ils comprennent.

Vers une gouvernance territoriale concertée ?

Le 9 février, l'Institut d'aménagement urbain (IAU) de l'Ile-de-France, qui dépend du conseil régional, a organisé un séminaire de travail fermé consacré au développement et à la gouvernance de ce territoire.

« Ce séminaire aurait été impensable il y a cinq ans», explique Vincent Gollain, en charge du développement économique à l'IAU.

Mais « tout le monde a saisi que, si l'on ne réussit pas le maillage entre les grands quartiers d'affaires et une population où le pourcentage de sans-diplômes est le double de la moyenne en Île-de-France, on n'y arrivera pas».

Question du séminaire : le Grand Roissy a-t-il la capacité de digérer tous les projets qu'il voit naître sans déchirer encore plus un tissu social déjà effiloché ? Peut-il se doter d'une structure de gouvernance pour coordonner enfin son développement, en évitant les erreurs du passé ?

Lors du séminaire fermé du 9 février, on a ainsi beaucoup parlé du triangle de Gonesse et de ses deux projets majeurs : Europa City, le projet à 2 milliards d'euros et 11.000 emplois d'Auchan, et le quartier d'affaires, avec ses 30.000 emplois espérés d'ici à 2030.

Le premier projet est totalement privé, contesté par quelques associations locales et mollement soutenu par la gauche régionale, mais défendu fermement par tous ceux qui ont en charge le développement économique et la plupart des acteurs économiques du Nouveau Grand Paris.

L'autre émane du public, de l'établissement d'aménagement de Plaine de France. Ce devrait être, limitrophe d'Europa City, le quartier des entreprises mondialisées et des start-up, au pied de l'aéroport, avec vue sur la tour Eiffel et le clocher de l'église de Gonesse. Un concurrent de ce que Londres crée avec Chiswick Park et de ce qu'Amsterdam concocte avec Park20/20.

Les deux projets sont forts. Très forts. Mais la chronologie pose problème : d'abord, parce que le marché de l'immobilier d'affaires ne peut pas tout absorber. Ensuite, parce que lancer des nouveaux projets alors que l'existant n'est pas encore exploité comme il le faudrait pose problème. Faut-il préserver le foncier de Gonesse, éviter de fragiliser les projets déjà engagés dans le coin et réfléchir aux besoins des populations avant de tout bouleverser ? Ou bien faut-il avancer quand les projets d'investissements sont là, alors que les questions de gouvernance ne sont toujours pas réglées ? Et qu'elles ne sont visiblement pas près de l'être : malgré ce potentiel énorme, les élus du Val-d'Oise et de Seine-et-Marne se sont battus contre la création d'une intercommunalité de 340.000 habitants, qui, crime de lèse-majesté, aurait été à cheval sur les deux départements.

Patrick Renaud, le président UMP de l'association des Collectivités du Grand Roissy, est très remonté car il veut « affirmer le Grand Roissy en dehors de la métropole». Il est soutenu par son parti et refuse tout compromis avec la Métropole alors que les élus nationaux de l'UMP ont toujours critiqué le fait que Roissy et son aéroport ne soient pas dans la zone métropolitaine. Et, comme les socialistes de Seine-et-Marne refusent « le démantèlement de leur département», on se retrouve ces dernières semaines dans le genre de débats corporatistes absolument plus à la hauteur de la situation.