« Microsoft pourrait racheter Nokia et tirer profit du futur déclin d'Apple »

Par Propos recueillis par Delphine Cuny  |   |  692  mots
George Colony, Pdg de Forrester Research, prédit l'avènement de l'Internet des applications. Copyright Forrester.
La fin de l'ère PC oblige le géant des logiciels à se réinventer en sortant de son métier pour fabriquer sa propre tablette. Alors qu'Apple, privé de son chef charismatique Steve Jobs, va voir sa croissance ralentir, Microsoft a une carte à jouer selon George Colony, le Pdg du cabinet d'études Forrester Research. Il parie sur un rachat de Nokia.

Pourquoi Microsoft fabrique-t-il sa propre tablette ?
George Colony: C'est la fin du monde du PC. Steve Jobs avait raison, Bill Gates avait tort, même s'il avait sans doute raison il y a vingt ans. Il faut contrôler l'intégralité de l'expérience utilisateur. Microsoft l'a compris, donc il lance sa propre tablette (Surface). C'est aussi pour cela que Google a racheté Motorola. Je pense que Microsoft va devoir se mettre à construire aussi des ordinateurs. L'expérience de Microsoft dans le matériel est assez limitée : bonne avec la console Xbox, très mauvaise avec le baladeur Zune. Or Apple a placé très haut la barre en termes d'expérience utilisateur. On ne se contente plus de quelque chose de correct. C'est une autre expertise, qu'ils n'ont pas, ils n'ont pas les personnels qu'il faut. Je fais le pari que Microsoft va racheter Nokia. Il y a une chance sur deux qu'il le fasse, mais peut-être attendra-t-il que Nokia soit restructuré.

Quel modèle va succéder à celui du PC ?
Nous entrons dans une nouvelle ère. Le vieux modèle du PC est mort, car il ne sait pas tirer parti de toutes les possibilités du « cloud computing », de l'informatique à distance. Mais le modèle du Web associé au « cloud » aussi est mort, parce qu'il ne profite pas de la puissance que vous avez dans votre poche, des capacités des nouveaux appareils mobiles, les smartphones et les tablettes. Par exemple, en termes de puissance, l'iPad se serait classé dans le top 30 des ordinateurs existants en 1993. Le modèle qui va dominer à l'avenir est celui que j'appelle l'Internet des applications. Il y a une formidable opportunité de business dans ce que j'appelle "l'engagement sur mobile", qui se chiffre en milliers de milliards de dollars: une entreprise devra être en contact avec le consommateur n'importe où, n'importe quand, pas sur le Web, mais sur le mobile. La localisation, la cartographie sont des technologies fondamentales dans cette ère de l'engagement sur mobile, ce qui explique pourquoi Apple a développé sa propre application de plans et abandonné celle de Google.

Qui va gagner la partie dans l'Internet des applications ?
Il y a trois écosystèmes qui émergent dans ce modèle d'Internet des applications. Apple bien sûr, le plus puissant, avec 30 milliards d'applications téléchargées au total pour iPhone ou iPad, Google et Android qui a dépassé les 15 milliards d'applications téléchargées, et enfin Amazon et sa tablette Kindle Fire. Deux d'entre eux disposent d'un avantage majeur, ils possèdent les coordonnées bancaires de millions d'utilisateurs : Apple (400 millions de comptes actifs sur iTunes), et Amazon (173 millions). Google fait face à une menace : il est encore trop dépendant du Web, ce qui crée beaucoup de débats en interne. Il ne faut pas oublier deux concurrents potentiels dans cet univers : Microsoft et Facebook. Je pense que Facebook a vraiment du souci à se faire : il est encore trop centré sur le Web, c'est une société de l'ère Html [le langage de balisage des pages Web, NDLR]. Or le Web va devenir la radio AM à l'ère du numérique. Facebook avait besoin d'expertise dans le mobile, c'est pour cela qu'il a racheté l'application mobile de partage de photos Instagram et qu'il réfléchit à lancer un Facebook phone. En outre, nous entrons dans l'ère du post-social, l'usage des réseaux sociaux diminue dans les pays développés, les gens ont le sentiment d'y perdre leur temps et mettent moins souvent à jour leur profil.

Microsoft peut-il vraiment rivaliser avec Apple ?
Comme Sony après le départ de son cofondateur Akio Morita, Apple va fatalement décliner après la disparition de son patron charismatique Steve Jobs, sa croissance va ralentir. Il y a là une opportunité pour Microsoft et Google. Dans la high-tech, il y a des cycles : tous les dix ans, une grosse boîte endormie fait son come-back. En 1980 c'était Intel, en 1990 IBM, en 2000 Apple. La prochaine pourrait être Microsoft. Tout dépendra du succès de Windows 8, la nouvelle version de son système d'exploitation.