Philippe Marini et la Cour des comptes tirent à boulets rouges sur le CNC

Par Sandrine Cassini  |   |  867  mots
Eric Garandeau Copyright REA
La Cour des comptes a mené une critique en règle du fonctionnement du Centre national du Cinéma. La cagnotte est bien trop élevée au regard des besoins réels. Et les résultats attendus ne sont pas toujours au rendez-vous.

Alors que les finances publiques sont exsangues, la cagnotte et l'insolente croissance des ressources du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) hérisse les cheveux des parlementaires. Le président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, qui s'appuyait sur un rapport de la Cour des comptes, a étrillé mardi le CNC, son mode de fonctionnement et son président Eric Garandeau, fustigeant les 800 millions d'euros de trésorerie du CNC.

De fait, les critiques à l'encontre du CNC sont grandissantes depuis 2007, année de la création d'une taxe supplémentaires sur les services de distribution de télévision (opérateurs télécoms compris). En cinq ans, les ressources ont explosé, passant de 512 millions d'euros en 2007 à 806 millions en 2011. Est-ce justifié? Comment est utilisé cet argent? Pas toujours, selon les conclusions du (très) sévère rapport de la Cour des comptes présenté mardi par la Commission des finances du Sénat.

Pas de lien de cause à effet entre nombre de films produits et vitalité du cinéma
Sans remettre en cause la nécessité d'une politique publique pour financer le cinéma français et la création audiovisuelle, la Cour des comptes a commencé par frapper au c?ur l'argumentaire du CNC, qui justifie la vitalité du cinéma français par la diversité et le nombre de films produits. «L'augmentation du nombre de films produits (272 en 2011 contre 204 en 2001) ne saurait constituer le seul critère d'analyse de la réussite du soutien public», note la cour, qui n'a pas établi de lien de cause à effet entre le nombre de films produits et le succès du cinéma français. La Cour des comptes souligne ainsi que si «la part de marché des films français est de 46,5%», la fréquentation est plus concentrée sur les 10 principaux succès. En revanche, elle note qu'une «part structurelle de films réalise un nombre très réduits d'entrée, notamment liée à «une exposition limitée». Il n'y a en effet pas assez de place pour toute la production dans les salles obscures, et un certain nombre de films (30 sur 10 ans) se contente d'une sortie en salle «technique», histoire de «mettre en paiement le contrat de pré-achat de droit par les télévisions. Pourquoi financer des films qui ne rencontreront pas leur public», se demande la Cour.

Autre interrogation: la création audiovisuelle. Malgré «un système d'aides unique», les «résultats d'audience des productions nationales sont parmi les plus faibles d'Europe», note la cour. Les audiences de la fiction française restent toujours très inférieures à la fiction américaine.

Une trésorerie de 800 millions pas vraiment justifiée
A quoi servent les 800 millions d'euros de trésorerie? C'est la principale interrogation de Philippe Marini. Eric Garandeau a indiqué que 550 millions d'euros était «gelés», car c'était les sommes qui pouvaient être réclamées à tout moment par les producteurs, les distributeurs, les exploitants. Ceux qui peuvent y prétendre ont de 1 à 5 ans pour les réclamer. «Leurs comportements sont impossibles à prévoir», a justifié Eric Garandeau. «C'est comme si un assureur n'avait pas de modèle d'écoulement de ses provisions. Il ferait faillite!», s'est emporté Patrick Lefas, président de Chambre à la Cour des Compte. Philippe Marini a aussi critiqué la «réserve» de 250 millions d'euros destinée à numériser les ?uvres et les salles. «Tous les élus locaux de France et de Navarre tiennent à leur salle comme à la prunelle de leurs yeux. Il ne faut pas trop les instrumentaliser», a rétorqué le sénateur. Globalement, c'est la méthodologie de provision du CNC qui fait tiquer Philippe Marini. «Si on appliquait votre méthode CNC au patrimoine de l'Etat, il faudrait provisionner 10 milliards d'euros!».

Une capacité d'autofinancement en très forte hausse
En dépit de provisions visiblement gonflées, le CNC dégage une très confortable capacité d'autofinancement: 134 millions d'euros en 2011, contre 21 millions en 2007! «L'augmentation des recettes a été bien plus dynamique que le rythme de constitution des dotations aux provisions», note la Cour.

Une gestion critiquée
D'autant que le CNC, qui n'a «pas contrat de performance», et dont le président n'a pas de «lettre de mission», ne fait pas preuve d'une gestion exemplaire: les frais de gestion ont fait un bond de 43% entre 2007 et 2011 à 60,9 millions d'euros, un niveau élevé par rapport aux besoins. La masse salariale a également progressé de 12% en 5 ans, notamment en raison de «la progression des traitements».

Partager les surplus
Pour remédier à ces problèmes, la Cour des comptes suggèrent trois pistes de réflexion. La première consisterait à «piloter le CNC par la dépense et non par la recette». Autrement dit, il s'agirait d'abord de déterminer les besoins pour la création, puis les recettes, et non l'inverse. Le CNC suggère aussi de créer un plafond de dépense, de mettre en place des «écrêtements ciblés», qui pourrait le conduire à octroyer le surplus de recettes à d'autres activités. Troisième voie, la Cour des comptes conseille de «budgétiser une partie de taxe distributeurs (sur les FAI)».