« Les utilisateurs de BlackBerry veulent un outil, pas un jouet »

Par Propos recueillis par Delphine Cuny à Barcelone  |   |  1072  mots
Le directeur marketing monde de BlackBerry, Frank Boulben.
Le pionnier des smartphones présente à Barcelone, au Mobile World Congress, son nouveau système d'exploitation BlackBerry 10 et son nouveau modèle tactile, le Z10. Le fabricant canadien joue-t-il son va-tout ? Le directeur marketing monde, Frank Boulben, répond à La Tribune.

BlackBerry n'arrive-t-il pas trop tard avec ce nouveau système d'exploitation, alors que vous avez déjà perdu beaucoup de parts de marché ?
Frank Boulben : Il y avait énormément d'attentes de clients fidèles qui voulaient que BlackBerry revienne dans le jeu. Notre image de marque est encore excellente. Si on regarde nos positions dans le monde, nous sommes toujours numéro un (dans les smartphones) en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie du Sud Est. En Indonésie, ils s'appellent eux-mêmes « the BlackBerry nation », en Afrique du Sud nous sommes la première marque devant Coca-Cola. Au Royaume-Uni, où vient de sortir le Z10, c'est le meilleur lancement de l'histoire d'un BlackBerry.

C'est d'ailleurs, à ma connaissance, le plus gros lancement de produit dans l'histoire du mobile : notre smartphone va être lancé chez 150 opérateurs entre fin janvier et mars. En France, il est chez Orange, SFR et Bouygues Telecom. C'est aussi la nouvelle plateforme qui se lance avec le plus grand nombre d'applications au premier jour : BlackBerry 10 en propose déjà plus de 70.000 et il y en aura plus de 100.000 au moment du lancement aux Etats-Unis en mars. Nous avons facilité la vie des développeurs en adoptant une approche beaucoup plus ouverte : nous avons mis à disposition des outils pour porter en quelques jours ou semaines une application sur BlackBerry 10, mais nous proposons aussi un environnement qui permet de faire tourner les applications Android et un environnement en Html 5.

Pour gagner sa place de 3e écosystème face à Android et Apple, les applications ne sont-elles pas un élément clé ?
- Aujourd'hui, dans la bataille des smartphones, il y a trois domaines dans lesquels il faut être compétitif : le navigateur doit être performant, le nôtre est en Html 5, il faut être bon en multimédia, or la résolution de notre écran est meilleure que celle de l'iPhone 5 ou du Galaxy SIII, et il faut beaucoup d'applications, les plus utilisées comme Facebook, et puis des dizaines de milliers d'autres, c'est important du point de vue de la perception d'avoir un catalogue riche, même si l'on couvre 95% des besoins avec 1.000 applications.

Cependant, ce n'est pas la source de différenciation de BlackBerry. Nous avons BBM, notre messagerie instantanée, qui a été enrichie et permet dorénavant de faire aussi de la voix sur IP ou des appels vidéo avec la fonction exclusive de partage d'écran : je peux montrer ma présentation PowerPoint ou un email sans l'envoyer. Nous avons aussi développé le « hub » qui centralise toutes les communications et permet d'accéder à son agenda sans sortir d'une application, de consulter un email sans arrêter sa navigation. C'est un nouveau paradigme, qu'on appelle « always in » : pas besoin de choisir entre plusieurs applications, d'en quitter  une pour une autre.

Quid du clavier qui était votre marque de fabrique ?
Nous étions effectivement réputés pour avoir le meilleur clavier physique du marché. Nous voulons maintenant être reconnus pour avoir le meilleur clavier tout court ! Notre clavier virtuel utilise une technologie prédictive propriétaire très efficace qui scanne vos messages pour apprendre votre syntaxe, les mots que vous utilisez souvent, en mélangeant trois langues. La suggestion apparaît au-dessus de la lettre que vous allez toucher plutôt que sur le texte. Les bancs d'essai nous situent vraiment au-dessus du lot dans ce domaine.

Face aux Windows Phone, qui proposent tous les outils bureautiques de Microsoft, comment BlackBerry peut-il rivaliser en entreprise ?
L'un de nos points majeurs de différenciation est la sécurité. Nous avons une solution unique, BlackBerry Balance, qui permet de faire coexister deux profils complètement séparés, personnel et professionnel, mais présentés sur le même écran pour l'utilisateur et sans compromis pour les directeurs informatiques. Il est par exemple impossible de copier un email professionnel pour l'envoyer dans un email personnel, car tout est crypté jusque dans le code. On peut aussi verrouiller la partie professionnelle si on prête son smartphone à son enfant par exemple et on peut effacer à distance cette partie lorsque le salarié quitte l'entreprise. Sur la sécurité, nous n'avons pas de rivaux sur le marché.

La tendance du « Bring your own device » (amener son propre appareil mobile au bureau) n'est-elle pas une menace sur votre cible de cadres d'entreprises ?
Si l'on regarde dans le monde, 70% de nos utilisateurs ont acheté leur BlackBerry en dehors de l'entreprise. En France, nous vendons aussi bien aux adolescents qu'aux grandes entreprises du CAC 40. Avec BlackBerry 10, nous visons les utra-connectés, qui sont multitâches et « orientés productivité » : ils veuillent que ça aille vite ! Ils veulent un outil plus qu'un jouet. C'est aussi bien le cadre comme moi que la mère de famille qui jongle entre vie personnelle et vie professionnelle ou un étudiant comme ma fille de 18 ans, qui est hyperconnectée et hyperactive. En France, cela représente un gros tiers des utilisateurs actuels ou potentiels de smartphones. Quand on regarde le marché global, environ 20% des utilisateurs de mobiles seulement ont un smartphone et ce n'est que 50% dans les marchés développés : il y a un potentiel de croissance gigantesque !

Est-ce que BlackBerry joue sa survie avec ce nouvel OS comme le considèrent de nombreux experts ?
Un changement de plateforme constitue toujours une mutation importante, ce n'est pas spécifique à BlackBerry. Le groupe n'a pas de problèmes financiers, notre trésorerie dépasse les 3 milliards de dollars, nous n'avons pas de dette et avons généré du cash au dernier trimestre. Nous avons près de 80 millions d'utilisateurs fidèles dans le monde. Surtout, BlackBerry est maître de son destin. L'entreprise a fait le choix courageux de ne pas être un licencié Android ou Windows Phone mais de construire sa propre plateforme, son propre système d'exploitation.

Notre vision est radicalement différente de celle d'Apple ou Microsoft qui privilégient la fluidité, le « sans couture » entre les terminaux. La nôtre est celle du « mobile computing » (l'informatique mobile) : nous pensons que vous avez assez de capacités informatiques dans votre smartphone pour tous vos besoins, sans recourir à un autre terminal (tablette, etc). Dans un marché « coupe-gorge », où il est difficile d'être compétitif sur les coûts avec les fabricants asiatiques, nous sommes un des rares à posséder sa plateforme, c'est un élément de différenciation durable.