Comment répondre à l'urgence énergétique ? En rendant les réseaux électriques intelligents

Par Réseaux intelligents  |   |  1430  mots
L'expérimentation d'Issy Grid à Issy-les-Moulineaux (92) porte sur 160000m2 de bureaux, 10000 employés et 1800 logements, soit 5000 habitants. / BOUYGUES IMMOBILIER
En dotant les réseaux de capteurs communicants, d'automatismes et de superviseurs, les smart grids (réseaux électriques intelligents) visent à la fois à développer les énergies renouvelables, à maîtriser les consommations et à développer de nouveaux usages, comme le véhicule électrique. Le tout d'ici à 2020...

Le temps presse ! D'ici à 2030, les besoins mondiaux en énergie devraient croître de 50%, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). En outre, les États membres de l'Union européenne devront diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 %, améliorer leur efficacité énergétique de 20 % et augmenter de 20 % la proportion des énergies renouvelables (EnR) dans leur mix énergétique d'ici à 2020. Pour les électriciens, ce défi baptisé « 20-20-20 » sera d'autant plus dur à tenir que la production des énergies renouvelables (photovoltaïque, éolienne, hydrolienne, etc.) est naturellement soumise aux caprices de la météo - ce qui la rend difficilement prévisible.

Autre difficulté : le réseau électrique devra accueillir les bornes de recharge pour les 2 millions de véhicules électriques attendus en France à l'horizon 2020. Pour répondre à toutes ces contraintes, les opérateurs électriques devront moderniser le réseau de distribution basse et moyenne tensions qui dessert les particuliers et les professionnels. « Or ce réseau n'a pas été conçu pour cela », remarque Patrice Mallet, responsable Smart Grids chez Accenture France.

Capteurs, automatismes de contrôle-commande, compteurs électroniques, analyse des données massives (big data), superviseurs de systèmes complexes appelés Scada (Supervisory Control and Data Acquisition, « télésurveillance des automatismes et acquisition de données »), communication temps réel... les réseaux basse tension, notamment en France celui d'ERDF (Électricité réseau distribution France, 1,3 million de kilomètres de lignes électriques, 95 % du territoire), réclament désormais leur informatique industrielle. Comme dans une usine.

Vers des tarifs d'électricité fluctuants

On parle alors de smart grids ou de « réseaux électriques intelligents ». Leur mission ? Délivrer une quantité d'électricité suffisante à chacun, au meilleur prix, quel que soit le moment de la journée et de l'année... sachant que les tarifs fixes du kWh sont appelés à disparaître au profit d'un système de prix fluctuant en permanence en fonction de l'offre et de la demande.

« Les smart grids s'appliquent déjà aux réseaux de haute et très haute tensions qui sont, pour l'essentiel, très bien équipés en automatismes pour contrôler les équipements primaires - disjoncteurs et transformateurs. Mais ils vont surtout s'appliquer aux réseaux de moyenne et basse tensions qui vont connaître une nouvelle vague d'investissement. Il faudra en effet d'autant plus les automatiser qu'ils seront soumis aux EnR », analyse Laurent Schmitt, vice-président Innovation et Stratégie Alstom Grid, la division Smart Grids d'Alstom qui génère déjà près de 4milliards d'euros de chiffre d'affaires. « Les nouveaux smart grids devront intégrer non seulement la production décentralisée des EnR intermittentes, mais aussi les EnR de masse, comme l'éolien offshore », souligne-t-il.

À cela s'ajoutent des missions telles qu'améliorer l'efficacité énergétique en minimisant les pertes dans l'écoulement du réseau. Et de maintenir un bon niveau de résilience malgré les incidents climatiques. « Les systèmes d'information des réseaux électriques vont hériter des standards technologiques ouverts d'Internet. Les smart grids seront comme une sorte de gigantesque intranet, la Toile de l'électricité », prophétise Olivier Seznec, directeur de la stratégie technologique pour Cisco France.

« La démarche des smart grids s'étend à présent aux réseaux de gaz et d'eau », décrit Géraldine Trapp, commissaire générale du congrès Smart Grids 2013, dont la troisième édition aura lieu du 4 au 6 juin à Paris. On parle ainsi de Smart Pipe pour le gaz. D'ailleurs, GRDF (Gaz réseau distribution de France), qui exploite un réseau de 193340 km desservant plus de 9000 communes, a lancé le projet Gazpar, un compteur communicant pour la télé-relève dédiée au gaz. Lequel devrait, à terme, remplacer les 11 millions de compteurs analogiques installés. On parle également de Smart Water pour la télé-relève des compteurs d'eau. « Ces compteurs communicants visent notamment à détecter les fuites d'eau dans le réseau », reprend Géraldine Trapp.

Un marché mondial annuel de 77 milliards d'euros

Reste que, pour l'heure, les smart grids électriques tirent le secteur vers le haut. Selon une étude de novembre 2012 d'Items International, ils devraient générer un marché mondial estimé à 100 milliards de dollars par an (environ 77 milliards d'euros) dès 2020. Parmi les acteurs opérant en France, les fournisseurs d'énergie sont évidemment sur les rangs.

Outre RTE et ERDF, on trouve Bouygues Énergies et Services, Veolia-Dalkia ou encore Cofely Ineo-GDF Suez qui s'implique à Toulouse dans un projet de stockage d'énergie avancé reposant sur un volant d'inertie et sur des batteries. Suivent les grands équipementiers électriques et fournisseurs d'automatismes industriels avec, entre autres, ABB, Alstom Grid, Emerson, GE, Hager, Iskraemeco, Itron, Landis & Gyr, Legrand, Rockwell Automation, Schneider Electric, Siemens, etc.

Les fondeurs de silicium comme Inside Secure ou STMicroelectronics ne sont pas en reste. Ainsi que les équipementiers des télécommunications comme Alcatel-Lucent, Cisco, Ciena ou Ericsson. À cet égard, Ericsson a fourni la plateforme d'Acea, à Rome, qui collecte et met en forme les données provenant de 1,7 million de compteurs électriques intelligents depuis six ans. De même Sagemcom Energy & Telecom a commercialisé plus de 2 millions de compteurs intelligents en Europe en 2012. « En Allemagne, nous avions 90 % du marché des MUC [Multi Utilities Controller : passerelles de comptage pour la télé-relève d'eau, gaz et électricité, ndlr] », confie Éric Rieul, DG délégué de Sagemcom Energy & Telecom (1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires, 4"600 salariés). « Les déploiements ont été gelés en raison d'une nouvelle réglementation sur la protection des données informatiques personnelles. »

Enfin, citons les géants de l'informatique et des télécoms tels que Accenture, Bouygues Telecom, Capgemini, IBM, Microsoft, Orange, SFR ou Steria. Sans oublier les géants de la construction : ETDE et Bouygues Immobilier qui bâtit des bâtiments à énergie positive. Outre les très nombreuses expérimentations, il faut mentionner l'initiative SmartGrids France qui regroupe 2"500 partenaires dans neuf pôles de compétitivité spécialisés dans l'énergie et les technologies de l'information et de la communication.

Une chose est sûre : aucun acteur ne peut aborder ce marché seul. Et de formidables alliances vont se constituer à la faveur de projets d'expérimentation.

Grid4EU : 6 projets, 6 pays, 6 distributeurs

« À l'échelle européenne, le projet Finseny qui, démarré en 2011, rassemble une trentaine d'acteurs, dont Siemens et Orange, traite particulièrement de l'apport des TIC dans les réseaux. Aujourd'hui, les spécifications sont définies et des discussions sont en cours avec les opérateurs électriques pour passer à l'étape des pilotes », précise Régis Hourdouillie, directeur Smart Grid chez Ericsson. Dans le sillage du 7e Programme cadre de recherche de la Commission européenne, le projet Grid4EU se décline en six projets dans six pays et implique six distributeurs (ERDF, Enel Distribuzione, Iberdrola, CEZ Distribuce, Vattenfall Eldistribution et RWE) qui, à eux seuls, représentent la moitié des foyers européens.

« Financé à hauteur de 54 millions d'euros, dont 25 millions proviennent de la Commission, Grid4EU et ses 27 partenaires explorent l'insertion du photovoltaïque résidentiel, le stockage sur batterie, l'îlotage [séparation du microréseau d'un quartier par rapport au réseau régional ou national], l'agrégation des données de consommation et de production locales, détaille Patrice Mallet. Le programme étudie également l'impact du véhicule électrique sur les réseaux, le Demand Response, à savoir l'effacement ou l'activation de la consommation de certains appareils électriques à certains moments clé... Il y a aussi beaucoup d'études sur le comportement des consommateurs. »

Investir davantage dans les systèmes de production locale d'énergie

Pour s'y préparer, une quarantaine de projets sont menés en France avec le soutien actif des collectivités territoriales et locales. Comme Cannes, Issy-les-Moulineaux, Lyon ou encore Nice. Pas étonnant, car le Plan climat national et les Plans climat énergie territoriaux leur confèrent une véritable responsabilité en matière d'énergie. Ce qui les amène à investir dans des systèmes de production locale d'énergie (panneaux solaires sur le toit des bâtiments publics, production d'électricité à partir du traitement des déchets). « Nous sommes engagés avec des collectivités dans une quinzaine de projets qui portent sur l'intégration d'énergies renouvelables dans le réseau ou sur l'optimisation énergétique à l'échelle d'un quartier », indique le représentant d'ERDF. L'opérateur a d'ailleurs prévu de consacrer 28 millions au démonstrateur Nice Grid qui vise à créer un quartier solaire intelligent où résident 1500 habitants et professionnels.