Le clavier Azerty bientôt remplacé par un clavier franco-français ?

Par Sylvain Rolland  |   |  818  mots
Les caractères spéciaux comme À, É, Ç, œ, ñ ou ≤ sont très difficiles à écrire sur le clavier Azerty.
Le ministère de la Culture veut créer un clavier informatique spécialement adapté aux spécificités de la langue française et des langues régionales, comme les caractères accentués en majuscules, les doubles chevrons ou les ligatures.

« Étonnamment, l'œuvre de Lætitia exposée à L'Haÿ-les-Roses et intitulée « Señor » a été vendue 2 800 €. » Oui, écrire cette phrase a demandé à l'auteur de ces lignes une bonne minute. Et pour cause : elle comprend un accent sur une majuscule, des doubles chevrons (des guillemets "à la française"), les deux ligatures que compte la langue française - à savoir l'e dans l'o et l'e dans l'a -, une espace insécable pour garantir qu'un saut à la ligne ne séparera pas le 2 et le 800 de 2 800, un tréma sur le y, une tilde sur le n et le signe € (euro). Tout ça, c'est la faute au clavier Azerty, vraiment pas adapté aux spécificités de la langue de Molière.

Le ministère de la Culture s'en est ému. "Il est presque impossible d'écrire correctement avec un clavier commercialisé en France", déplore-t-il dans un rapport, publié le 15 janvier, de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Effectivement, il existe une grande diversité de claviers sur le marché français. Mais, selon son fabricant et le système d'exploitation (Mac OS, Windows...) certaines touches ne sont pas disposées au même endroit (les symboles @ et € notamment), ou ne sont pas disponibles du tout.

D'où des "difficultés dactylographiques" importantes qui peuvent ralentir la lecture d'un texte écrit en majuscules, voire aboutir à des contresens fâcheux.

"Les défauts techniques des claviers français introduisent de nombreux biais, à commencer par des erreurs de prononciation de mots, de noms de lieux et de noms de famille, souvent écrits uniquement en capitales. D'autres conséquences, orthographiques cette fois, sont observées, par exemple du fait de l'impossibilité de saisir en majuscule le "ç", explique le rapport.

Essayez donc d'écrire rapidement ‰,  ≥ ou ≤ !

Certes, des sites existent pour trouver facilement les caractères spéciaux. Les internautes partagent aussi des conseils pour décrypter les subtilités de leur clavier. Et des correcteurs automatiques transforment automatiquement un "oe" en œ sur certains mots, par exemple. Mais ce sont des palliatifs insuffisants car tous les utilisateurs n'ont pas accès à ces informations ni à ces logiciels. De plus, certains correcteurs sont plus complets que d'autres.

Pour mettre fin à cette incongruité déjà déplorée par l'Académie française et l'Imprimerie nationale, le ministère de la Culture a chargé l'Association française de normalisation (Afnor) d'élaborer un nouveau modèle de clavier. Avec une méthode collaborative : l'été prochain, lors de la présentation du projet de clavier, les citoyens pourront déposer leurs avis et contributions pour l'améliorer.

"Ce projet peut être mené à bien sans bouleverser la disposition Azerty à laquelle la plupart des usagers sont habitués", précise Philippe Magnabosco, le chef de projet. Certains caractères utiles, comme les symboles "supérieur ou égal" (≤), "inférieur ou égal" (≥) et le "pour mille" (‰) pourraient être ajoutés. Si la norme est validée, les fabricants et distributeurs de claviers pourront l'adopter, mais sans contrainte. Sauf dans le cas de l'administration, qui pourrait exiger la mise en conformité des matériels à cette norme.

Les langues régionales et européennes prises en compte

Le ministère demande également que le futur clavier bleu-blanc-rouge s'adapte non seulement au français, mais aussi aux langues régionales et étrangères, notamment européennes. Les défis sont nombreux. "En occitan, il doit être possible d'ajouter des accents graves et aigus sur toutes les voyelles, que ce soit en majuscule ou en minuscule", indique le rapport. Les Catalans apprécieront aussi de pouvoir recourir au point médian (·). Même les Outre-Mer ne seront pas oubliés. L'usage du "tārava" ou longueur vocalique, représentée par la voyelle surmontée d'un macron (ē), est très fréquent dans les langues polynésiennes.

Du côté des langues européennes, la nouvelle norme devra permettre de "saisir plus facilement" des caractères courants utilisés dans les langues à alphabet latin, comme l'espagnol, l'allemand, le polonais ou le hongrois. La tilde, que les Espagnols utilisent sur le n et les Portugais sur les voyelles comme dans le mot mãe (mère), les points d'interrogations et d'exclamation inversés castillans (¿ et ¡) ou encore le O barré (Ø) des langues danoise et norvégienne, sont particulièrement attendus.

Quelques conseils en attendant

En attendant de profiter d'un vrai clavier français, La Tribune vous donne quelques astuces pour mieux écrire avec un clavier Azerty.

Le site Lexilogos permet de copier-coller en quelques secondes les accents sur les majuscules et certains autres caractères (très utile pour la rédaction de cet article).

Cette page Wikipédia explique comment obtenir des lettres majuscules accentuées pour chaque système d'exploitation.

Le logiciel JLG, gratuit, permet d'insérer des caractères spéciaux sur un clavier Qwerty (pratique quand on est aux Etats-Unis).