BeFC invente la pile écolo de demain à base de papier

Par Marie Lyan  |   |  1302  mots
La pile miniature et écologique de BeFC pourrait révolutionner le secteur de l'électronique. (Crédits : DR)
Série CES 2021. C'est le premier portrait de notre série consacrée à l'édition 2021 du CES de Las Vegas, qui se tient cette année en version digitale. Ultraplate, flexible et miniature, la pile écolo de cette deeptech pourrait bien révolutionner le secteur de l’électronique. Présente pour la seconde année consécutive au CES de Las Vegas, la deeptech grenobloise BeFC n'en est pas à son coup d'essai puisqu'elle avait remporté l'édition 2020 du prix 10.000 startups pour changer le monde, organisé par La Tribune. Retour sur les ambitions de cette jeune pousse.

(Publié le 07/09/2020 à 14:00, réactualisé le 11/01/2021)

De l'idée d'une pile implantable, à celle d'une biopile à faible impact environnemental, il n'y a eu qu'un pas pour BeFC. Spin-off du CNRS, la startup grenobloise s'est appuyée sur plusieurs décennies de travaux réalisés au sein du centre de recherche, ayant conduit au dépôt de six brevets au sein de différents domaines : génie électronique, bioélectrochimie, "smart paper"... Alors qu'elle se destinait à l'origine à développer un nouveau modèle de biopiles implantables, s'appuyant sur un système de pompe, ses travaux ont été réorientés suite à une découverte réalisée en collaboration avec le Dr Jules Hammond, avec le développement d'une première batterie en milieu aqueux. "Nous avons alors eu l'idée de produire une pile plus petite, transférée sur du papier, qui se destine au marché des composants jetables", explique ce dernier.

Lire aussi : Prix #10000 startups de La Tribune : découvrez les gagnants 2020 !

En finir avec la pollution des piles à base de lithium

Car l'enjeu est de taille : "Nous avions remarqué une tendance au sein de l'industrie de l'Internet des objets (IoT), qui était de fournir des packagings connectés à usage unique. Dans la santé par exemple, des capteurs sont intégrés sur des patchs à usage unique ou des produits comme un test de grossesse ou d'ovulation", résume Jules Hammond.

Or, jusqu'à présent, les piles existantes, généralement à base de lithium, étaient aussi jetées à la poubelle, sans pouvoir prétendre à un recyclage ni être démantelées. Une situation critique sur le plan écologique puisque, malgré un taux de collecte avoisinant les 8 %, les piles miniatures ne parviendraient à être recyclées que dans moins de 3 % des cas.

La biopile ainsi imaginée par BeFC, à base de papier et de sucre, permettrait au contraire de proposer une alternative s'inscrivant dans une démarche de recyclage et de transition énergétique. De la taille d'une pile bouton, elle vise à utiliser la microfluidique, inhérente au papier, pour y adjoindre un procédé de conversion enzymatique du glucose et de l'oxygène en vue de produire de l'électricité. Avec plusieurs atouts du côté du papier : "Cela nous permet de proposer une biopile fine, portable et légère, qui puisse s'insérer dans un grand nombre d'objets du quotidien : vêtements, patchs, etc", fait valoir Jules Hammond.

Des applications tournées vers l'Internet des objets

Une occasion d'ouvrir également de nouveaux débouchés pour la jeune pousse, qui imagine déjà pouvant intégrer ses biopiles jetables pour différentes applications : la logistique, à travers le suivi de colis, les dispositifs médicaux, et tous types d'objets connectés à Internet.

Car avec sa petite taille et sa faible puissance, inutile de songer à utiliser les biopiles de BeFC au sein de votre voiture ou de votre smartphone. Son avenir se dessine plutôt dans tous les dispositifs de basse puissance, où son caractère économique et jetable peut devenir un atout. C'est le cas, par exemple, des objets connectés, dont la part est amenée à grossir au sein de notre société d'ici à 2030. "Le marché de l'IoT est colossal puisque certaines études prévoient que l'on atteigne les 24 milliards de dispositifs connectés d'ici 10 ans", souligne Jules Hammond.

En fonction de l'usage, BeFC est en mesure d'adapter les caractéristiques de ses piles pour fournir une énergie répondant à une consommation plus ou moins fréquente, de l'ordre du microwatt au milliwatt. "Tout dépend du contexte d'application : la durée de vie de notre biopile dans un test de grossesse peut être de 5 à 10 minutes pour une utilisation rapide, et de 2 à 3 semaines pour un packaging connecté, allant même jusqu'à un mois en fonction des utilisations, dépendamment de si le signal doit être envoyé tous les jours ou tous les deux jours", reprend Jules Hammond.

Pour mener à bien l'aventure de BeFC, Jules Hammond, titulaire d'un master en électronique puis d'un doctorat en électronique et biodétection, s'est entouré d'une équipe pluridisciplinaire depuis 2018 : le Dr Michael Holzinger pour sa spécialisation dans le domaine des nanotechnologies et nanomatériaux, le Dr Jean Francis Bloch pour son expertise du papier, ainsi que le Dr Andrew Gross, spécialisé dans l'électrochimie et les matériaux de surface.

Une usine de production en projet pour 2022

Et depuis juillet 2020, les choses s'accélèrent : après avoir été lauréate de plusieurs prix internationaux pour ce projet, dont le premier prix du MIT GSW-GEM challenge, l'équipe vient de lever 3 millions d'euros auprès de plusieurs investisseurs privés (Demeter, BNP Paribas développement et Supernova Invest) en vue de monter sa première ligne de production, à Grenoble, à compter de 2022.

Et étant donné la petite dimension de ses biopiles, BeFC n'aura besoin que de 50 à 100 mètres carrés pour monter sa chaîne de production robotisée. Elle prévoit de compléter son industrialisation en renforçant son équipe, pour l'heure essentiellement composée de docteurs : de 8 collaborateurs, la jeune pousse devrait passer à 14 d'ici à la fin de l'an prochain.

Marché colossal en vue

Bien que discrète sur ses partenaires et clients, elle collaboreraitavec les sociétés STMicroelectronics et 3M, notamment pour la fourniture de composants électroniques et de matériaux adhésifs.

"Nos prospects sont pour l'instant confidentiels, mais nos premiers débouchés pourraient intervenir dans le domaine des patchs pour le suivi du diabète d'une part, ainsi que des emballages connectés", glisse Jules Hammond. Il ajoute que le premier segment pourrait constituer très rapidement un marché de taille : "A titre d'exemple, le premier producteur de patchs pour le diabète produit près de 100 millions d'unités par an", affiche Jules Hammond.

Avec une capacité de production visée de 5 millions d'unités en 2022, pour un coût unitaire qui avoisinerait celui des piles au lithium, BeFC se fixe l'objectif d'atteindre les 4 millions d'euros de chiffre d'affaires la même année. Un chiffre qui serait rapidement amené à tripler dès 2023, pour s'élever à 12 millions d'euros, puis en 2024, à 56 millions d'euros d'après ses projections.

Face à la concurrence, la deeptech ne tremble pas :

"Nous avons développé un positionnement unique, qui ne se place ni dans le domaine des batteries, ni dans le domaine des piles à combustibles. Notre technologie brevetée de stockage de carburant dans du papier nous permet à la fois de produire de l'énergie, mais aussi de la stocker comme une batterie", résume Jules Hammond.

Car grâce à une biocatalyse, les enzymes détenues dans le sucre de sa technologie sont capables de produire des milliwatts d'électricité plusieurs jours après leur activation par quelques gouttes de liquide. Un atout de taille pour conquérir des secteurs comme le secteur des transports ou le milieu hospitalier, là où il n'est pas toujours possible d'exposer une pile aux rayons de soleil pour la recharger, comme le demandent certaines technologies photovoltaïques.

------------------------------

Le prix 10.000 startups pour changer le monde, organisé par La Tribune et soutenu par BNP Paribas, Enedis, WeHealth Digital Medicine, Bpifrance et Business France, récompense depuis 8 ans les startups françaises les plus prometteuses dans six catégories qui incarnent les défis de demain : Environnement & Energie, Industrie du futur, Data & IA, Smart tech -innovations d'usage-, Santé et Start -pépites en phase d'amorçage. Lors d'un tour de France entre janvier et mars dans 8 métropoles françaises (Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Paris, Lille et Strasbourg), son jury d'experts et de journalistes a récompensé dans chaque région 6 startups, une par catégorie, soit 48 finalistes. Après sa victoire lors de la sélection régionale de Lyon, BeFC est le grand lauréat national dans la catégorie Environnement & Energie.